Ludovic*, 15 ans, est rongé par un mélange de sentiments fait de culpabilité, de honte, de regret, de souffrance. «Si seulement je t’avais écouté et que j’étais resté à la maison, je n’aurais pas subi tout cela», ne cesse-t-il de répéter à son père Philippe* depuis qu’il a pu se libérer du lourd secret qui lui pesait depuis plus d’un mois. Ce jeune habitant de la région Ouest allègue avoir subi des attouchements sexuels dans la nuit du samedi 25 avril au dimanche 26 avril 2015. Il a porté plainte à la police. Selon lui, l’auteur de son agression ne serait autre qu’un prêtre du diocèse catholique, le père Joseph Moctee.
Ce dernier a été arrêté sous une charge provisoire d’agression sexuelle sur mineur. Présenté en cour le mardi 14 juillet, il a retrouvé la liberté après avoir fourni une caution de Rs 10 000 et signé une reconnaissance de dette de Rs 25 000. Il nie les accusations portées contre lui et a retenu les services de Me Bernard Marie. Contacté concernant toute cette affaire, l’homme de loi s’est refusé à tout commentaire. «Mon client ne fera pas non plus de déclaration», nous a-t-il déclaré. De son côté, Mgr Maurice Piat a pris la décision de suspendre les activités pastorales du père Joseph Moctee en attendant les conclusions de l’enquête (voir hors-texte).
Depuis qu’ils ont appris ce qu’aurait subi leur fils, Anna* et Philippe sont abasourdis. «Nous avons eu un choc lorsque notre fils nous a fait ces révélations. Il ne peut pas avoir inventé une telle histoire. Il était tellement peiné lorsqu’il nous a raconté ce qu’il avait subi. Il a pleuré, hurlé presque, tellement il avait mal. On ne l’avait jamais vu dans cet état», confie Anna, complètement horrifiée. «Notre fils est complètement brisé», lâchent les parents de Ludovic, laissant exploser leur colère.
Les faits se seraient produits le samedi 25 avril. Ludovic, enfant de choeur au sein de sa paroisse, est invité à passer la soirée chez le père Joseph Moctee avec un de ses camarades, également enfant de choeur. Malgré l’objection de son père, Ludovic, lui, persiste à y aller. «Le prêtre est passé le récupérer en bordure de route, non loin de chez nous, vers 19h30», témoigne Anna, la mère de Ludovic. Une fois à la cure, le religieux aurait préparé à dîner pour ses deux invités alors que Ludovic, lui, filmait la scène avec son portable. «Il voulait garder des souvenirs de cette soirée. Mais après ce qui s’est passé, il a même effacé la vidéo en question.» Après le dîner, les trois seraient allés à la plage avant de rentrer. C’est à ce moment-là que la soirée de Ludovic aurait viré au cauchemar.
«Mon fils était dans une chambre avec l’ami qui l’accompagnait. Il était sur un matelas posé au sol, recouvert de la couette qu’il avait emmenée avec lui, alors que son ami était installé sur un lit. Ils regardaient une comédie locale sur un ordinateur qu’ils avaient emmené lorsque le prêtre les aurait rejoints. Selon mon fils, il s’est installé sur le matelas avec lui et s’est glissé sous la couette. Il a commencé à le caresser. Pris de panique, mon fils n’a pas su quoi faire. Il est resté là, paralysé par la peur», confie Anna péniblement.
«L’évêque nous a écoutés»
Quelques minutes plus tard, quand l’ami de Ludovic se lève pour aller aux toilettes, ce dernier l’accompagne afin de ne pas se retrouver seul avec le prêtre. «Mais là aussi, il les a suivis. Et lorsque l’ami de mon fils a eu fini de faire ses besoins aux toilettes, Ludovic y est allé à son tour. Le prêtre est alors entré dans la pièce et a demandé à mon fils de le caresser. Ludovic lui a dit non et l’a repoussé.» Traumatisé, Ludovic n’aurait pas fermé l’oeil cette nuit-là. Par la suite, il aurait décidé de garder cet épisode secret.
De retour chez lui, le lendemain, il ne laisse rien transparaître. «Il paraissait normal et est même allé à la messe. Mais deux semaines plus tard, il a commencé à se renfermer sur lui-même. Il ne voulait plus se rendre à l’église. Ensuite, il a aussi refusé de se rendre à ses leçons particulières», souligne Philippe. Replié sur lui-même et rongé par la culpabilité et la honte, Ludovic décide finalement d’en parler à son cousin de 14 ans. C’était le 30 mai. «Je lui ai conseillé d’en parler à ses parents. Mais lui voulait en discuter avec le psychologue de l’école», précise le cousin de Ludovic, en présence de sa mère.
Entre-temps, Ludovic s’isole de plus en plus chez lui. Il ne parle pas, ne sort pas et cesse toute activité. «Nous étions très inquiets de le voir dans cet état. Nous l’avons questionné à maintes reprises. Il nous a dit qu’il ne pouvait pas en parler, qu’il n’y avait que son cousin et lui qui savaient ce qui se passait et qu’il préférait en parler au psy de son collège. Mais j’ai insisté pour qu’il nous dise ce qui n’allait pas. Il s’est finalement confié avec beaucoup de difficultés», avance Philippe.
«Un traumatisme»
Anna et son époux sont consternés en entendant les révélations de Ludovic. Et c’est auprès d’un ami prêtre qu’ils se tournent pour être conseillés. «Il nous a écoutés et nous a dirigés vers l’évêché. L’évêque nous a accueillis, nous a écoutés et a averti la Child Development Unit. Mon fils ne peut pas avoir inventé cette histoire. Nous sommes catholiques et très pratiquants. Nous n’avons aucune raison de salir la réputation d’un prêtre, encore moins celle de l’Église. Mais il s’agit là d’un cas d’attouchements sexuels, un délit grave. En dénonçant le prêtre, on veut aussi protéger d’autres enfants d’un éventuel abus», fait ressortir Anna.
Aujourd’hui, dit-elle, sa famille est montrée du doigt par certaines personnes de la région qui pensent que son fils a inventé toute cette histoire. «Ils disent qu’on accuse un prêtre. Ils mettent la parole de mon enfant en doute. Alors que moi, je vois le traumatisme qu’il a subi», dit Anna. Selon elle, son fils était très proche du religieux avant. «Il aidait même mon fils à apprendre à conduire. Et lorsque Ludovic n’allait plus à la messe après ce qui s’était passé, il me demandait où il était lorsqu’il me croisait à l’église. Nous ne savions pas que nous devions protéger notre enfant d’un prêtre. De quelqu’un à qui on faisait entièrement confiance.» Son mari et elle espèrent que justice sera rendue à Ludovic qui bénéficie actuellement d’un soutien psychologique qui lui permettra de se reconstruire.
La police, de son côté, continue son enquête en vue d’établir la culpabilité ou l’innocence du prêtre qui a été mis en retraite temporaire en attendant.
(* prénoms modifiés)
Mgr Maurice Piat, évêque de Port-Louis, «profondément bouleversé par ces événements»
Selon un communiqué de l’évêché, émis en début de semaine, c’est le 24 juin que les autorités diocésaines ont pris connaissance qu’un prêtre du diocèse a fait l’objet d’une allégation d’abus sur un mineur. «Mgr Maurice E. Piat a immédiatement nommé un comité diocésain pour faire une première vérification interne. Cette vérification révèle qu’il est impossible à ce stade de dire s’il y a eu une faute ou non de la part du prêtre incriminé. Cependant, la vérification révèle aussi que les faits allégués sont graves et qu’il faut une enquête plus approfondie», peut-on lire dans le communiqué.
Celui-ci indique aussi que toutes les procédures prévues par la loi civile du pays comme par la loi de l’Église ont été respectées. «Une déposition a été faite à la Child Development Unit et le prêtre a également été éloigné de sa paroisse pour faciliter l’enquête. Pour le moment, nous ne pouvons nous prononcer sur le bien-fondé des faits allégués ni sur la culpabilité du prêtre incriminé. Nous devons tous attendre les conclusions de l’enquête.»
Dans le communiqué, le diocèse avance également que «les mesures prises par les autorités de l’Église dans ce cas précis suivent le protocole promulgué en 2013 par le diocèse de Port-Louis, sur demande du Saint Siège, concernant les procédures à suivre lors d’allégations d’abus sexuel sur mineurs par des prêtres. Dans l’introduction à ce protocole, Mgr Maurice E. Piat souligne l’esprit qui guide ces mesures : la recherche de la vérité, le respect des droits tant de la victime que de la personne mise en accusation, le respect de l’Église diocésaine pour la législation civile en vigueur et l’engagement de l’Église pour que la vérité soit faite et la justice rendue.»
Par ailleurs, Mgr Maurice Piat, dans une lettre aux catholiques, exprime sa peine par rapport à cette affaire. «Moi, comme vous, sommes profondément bouleversés par ces événements. Dans l’Église, nous sommes une famille et il est bon que nous en parlions franchement. Portons dans notre prière le jeune concerné, sa famille, le prêtre incriminé ainsi que les communautés chrétiennes de sa paroisse», dit-il, entre autres. Il demande aussi à la communauté chrétienne de se soutenir mutuellement dans ce temps d’épreuve. «Demandons au Seigneur de nous apprendre à vivre cette situation douloureuse dans la dignité et le respect des personnes.»
Pédostop : «La parole de l’enfant est capitale dans ces situations»
Contactée pour une réaction sur cette affaire, l’ONG Pédostop insiste sur le fait que toutes les violences sexuelles sont des délits ou des crimes. «La parole de l’enfant est capitale dans ces situations. Toutefois, la honte, la peur, le sentiment de culpabilité, le tabou, la pression sociale, entre autres, rendent très difficile pour toute personne victime de signaler un abus sexuel. Donc, quand un enfant parle des agressions subies, il est précieux de le croire, car il est souvent très embarrassant et douloureux pour une personne qui a été victime de mettre des mots sur ce type d’agressions», avance l’ONG.
Celle-ci ajoute que le fait de briser le silence qui entoure les abus sexuels est très important, tant pour la reconstruction de l’enfant victime que pour la protection des autres enfants des environs. Car selon les recherches, un pédocriminel continue d’agresser des enfants sauf s’il est en prison, accepte la castration chimique et bénéficie d’un accompagnement thérapeutique en prison et après le temps d’emprisonnement.
Pédostop met aussi l’accent sur l’importance de dénoncer les abus sexuels commis sur des enfants aux autorités concernées. «Il est primordial de les signaler à la CDU et à la police ; la loi de la République doit gérer ces situations. Et ce, peu importe qui est l’agresseur. Les instances de protection de l’enfance doivent être informées dans cette situation, ce qui est capital.»
Toujours selon l’ONG, les recherches sur le plan international indiquent que les pédocriminels sont dans plus de 90 % des cas, des personnes proches, issues du cercle de confiance de l’enfant. Des enseignants, religieux, membres de la famille, des voisins, moniteurs d’activités extrascolaires, etc. Des personnes en qui l’enfant et sa famille ont confiance. Des personnes qu’il est difficile de soupçonner. Des personnes de toutes les catégories socioprofessionnelles, de tous les milieux, de tous les corps de métier, de toute confession religieuse.
«Il est souvent difficile pour l’environnement, les proches, de penser qu’une personne aussi proche, gentille, qu’on connaît de longue date, qui est impliquée dans les activités sociales, etc., ait pu commettre des violences sexuelles sur des enfants. Car dans les situations d’agression sexuelle, on
est dans l’impensable tant ces violences sont sources de souffrance et de dégâts sur les plans psychologique, social, physique et sur la vie sexuelle de toute personne victime», précise l’association.