Elle s’amuse souvent à faire deviner ses origines. Nadine Ramsamy, danseuse de Bharatanatyam, intrigue. Pourtant, face aux questions quelques fois déplacées sur sa religion, la jeune femme de 30 ans n’hésite pas à mettre les points sur les «i» : «Je ne comprends pas que les gens puissent s’arrêter à votre appartenance religieusepour porter un jugement sur vous.» Née d’un père tamoul et d’une mère catholique qui lui ont apporté, chacun à sa manière, leurs valeurs, leurs traditions et leurs cultures, Nadine fait partie de ceux qui vivent leur métissage pleinement. Ses parents, raconte-t-elle, ont toujours bien vécu leur différence religieuse et, à la maison, cela n’a jamais été un problème : «Mon père se rend souvent à l’église et ma mère au temple. Ils nous ont grandis dans le respect de l’autre et la tolérance. Ce sont des valeurs importantes de notre famille. Chez nous, tout le monde pratique les deux religions qui s’accordent parfaitement au sein de notre foyer.»
Les Ramsamy ont trouvé l’équilibre parfait entre la religion tamoule et la religion catholique. Les célébrations et fêtes religieuses, quelles soient tamoules ou catholiques, sont synonymes de joie, de partage et de rassemblement. «Nous participons tout aussi bien au Cavadeequ’à la Pâques, par exemple. On ne se pose jamais de questions, car pour nous, c’est naturel. D’ailleurs, mes deux belles-sœurs sont de foi hindoue. Leurs enfants vivent tout aussi bien leur mixité»,souligne notre interlocutrice qui se sent à l’aise dans les différents rites et rituels tamouls ou catholiques.
En elle vivent deux cultures, deux traditions qui s’accordent à la perfection. Devenir danseuse de Bharatanatyamétait d’ailleurs une évidence. Passionnée par cet art, elle arrive à exprimer à travers la danse son métissage dont elle est plus que jamais fière : «J’ai même plusieurs fois dansé dans les églises catholiques à l’occasion de différentes célébrations. Cet échange, ce partage, je trouve ça tellement beau.»Vivre quatre ans en Inde, plus précisément à Chennai, lui a permis, explique-t-elle, de vivre encore plus profondément les deux religions qui coexistent en elle : «J’habitais juste entre une église et un grand temple tamoul. C’est fou parce que ce sont les mêmes personnes qui fréquentaient ces deux lieux de dévotion. Je trouvais ça magnifique. Il n’y avait aucune barrière. C’était une expérience formidable.»
Nadine a compris très jeune que grandir dans une famille mixte pouvait être une richesse. Sa personnalité flamboyante en est d’ailleurs la preuve : «Je n’ai jamais eu de problème d’identité,car mes parents ont toujours bien vécu leur différence qui, finalement, n’en est pas vraiment une et m’ont toujours bien guidée.»Grâce à son histoire, elle est aujourd’hui capable de voir l’île Maurice différemment, dans toute sa pluralité. L’amour, le partage et la tolérance sont des valeurs qui l’animent au quotidien. «On ne juge pas quelqu’un selon son appartenance religieuse. En tout cas, je ne pense pas que c’est la première question qui doit être abordée. Pour moi, c’est l’humain avant tout. Tout le reste vient après»,soutient Nadine.
Libre choix
En la voyant avec ses traits fins, sa silhouette longiligne et ses longs cheveux droits, on devine parfaitement ses origines. Et puis il y a Alvina, son prénom à consonance hindoue, qui dissipe les derniers doutes. Pourtant, lorsqu’elle parle de sa religion, le catholicisme, il y a toujours une petite pointe d’étonnement chez ses interlocuteurs. «Toi, catholique ?»lui disent-ils. En fait, le père de la jeune femme est hindou, de la culture marathi plus précisément, et sa mère catholique. Lorsqu’ils tombent amoureux, ses parents décident de s’unir dans les deux religions et de laisser à leurs enfants le libre choix concernant la voie qu’ils souhaitent prendre à l’avenir. Mais comme de nombreux couples, les parents d’Alvina finissent par divorcer alors qu’elle est âgée de 3 ans. «Mon frère et moi, nous avons été placés sous la responsabilité de notre mère. C’est elle qui nous a grandis et élevés. Depuis, nous avons suivi sa religion. J’ai été baptisée à 3 ans et mon frère a suivi peu après»,confie Alvina.
Aujourd’hui, elle se sent entièrement catholique. Depuis le divorce de ses parents, confie-t-elle, elle a perdu tout contact avec son père ainsi qu’avec la famille de celui-ci. Comme elle n’a pas connu et vécu la religion et la culture de son père, Alvina ne se sent pas proche de la culture indienne. Pourtant, elle aurait aimé apprendre, connaître et vivre son métissage pleinement : «J’aimerai pouvoir vivre des choses pour enrichir ma connaissance, mais toute ma vie, cette autre partie de moi a été inexistante.»
Chez certaines personnes, cependant, il y a eu, à un moment donné, la nécessité du choix. C’est le cas de Ryan Atchia qui a décidé, à l’adolescence, de recevoir le baptême. «Sur le coup, c’était dur pour mon père, mais il a fini par respecter ma décision et accepter mon choix,confie celui dont le papa est musulman et la maman catholique. Pour certaines personnes, grandir entre deux religions n’est pas toujours évident car elles ont la sensation d’être assises entre deux chaises. Ryan Atchia avoue que cela n’a pas toujours été facile à la maison de cohabiter avec deux religions sous un même toit : «Je me souviens de mon père qui essayait de nous inculquer les valeurs de l’islam en nous emmenant à la mosquée, mais aussi de l’influence religieuse de ma mère. Il fallait savoir trouver un équilibre entre les deux, ne pas blesser l’autre et respecter à titre égal les deux religions.»
Dans ses souvenirs, il revoit les fêtes religieuses musulmanes et catholiques autour desquelles toute la famille se réunissait. Il sent encore les parfums de la cuisine orientale et créole, une diversité de saveurs et de couleurs, qui fait aussi partie intégrante de son enfance. «Mes parents nous ont toujours dit, à mon frère et à moi, que nous étions libres de choisir quelle religion suivre ou pas, mais que nous devions ne pas oublier nos deux cultures et surtout ne pas tirer un trait sur nos racines»,se rappelle-t-il.
Avant son adolescence, Ryan ne s’était jamais vraiment posé la question de savoir quelle voie il allait suivre une fois adulte. Sa décision de devenir catholique a été motivé parce qu’il se sentait, dit-il, plus proche de cette religion. Mais cela ne l’empêche pas de partager la culture de son père. Connaître cette diversité culturelle, dit-il, est une chance qui lui permet aujourd’hui de n’avoir aucun préjugé sur les autres religions et de se sentir Mauricien avant tout.
Le métissage religieux, «une bombe à retardement»
Une richesse pour beaucoup, une difficulté pour d’autres. Selon la psychologue française Catherine Grandsard, auteure de Juifs d’un côté, le métissage religieux n’en est pas moins «une bombe à retardement». Dans son livre, la psychologue, elle-même née d’une mère juive américaine et d’un père catholique français, fait le récit de son enquête auprès d’hommes et de femmes issus de tels mariages et nous relate les solutions trouvées par chacun face aux problématiques rencontrées. «On grandit en pensant que ce double bagage ne pose aucun problème et, subitement, ça explose, souvent à l’occasion d’un mariage, d’une naissance, d’un décès… Tout est remis en cause»,explique la psychologue.
Hélène, dont l’histoire est racontée dans son livre, grandit entre une mère juive et un père protestant :«De leur vivant, ses parents étaient fusionnels. Son père meurt d’abord et il est enterré dans un cimetière chrétien. Quand sa mère disparaît à son tour, elle est inhumée dans le cimetière juif de la ville. Se pose alors la question à laquelle Hélène n’avait jamais pensé auparavant et qui va bouleverser sa vie : “Et moi, où vais-je être enterrée ?”»
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