Et si ces jeunes Népalais qui campent actuellement au jardin de la Compagnie étaient des Mauriciens qui étudiaient dans un autre pays ? Imaginons qu’il s’agissait d’un de nos enfants ou d’un frère, d’un neveu, d’une cousine qui s’était rendu à l’étranger pour des études. Imaginons notre révolte, notre colère, notre degré d’indignation si on apprenait que nos compatriotes qui avaient fait des sacrifices pour ce voyage, ces études, s’étaient fait avoir, que les promesses n’étaient pas tenues, que les conditions du départ n’étaient plus respectées. Imaginons le tollé que cela aurait soulevé dans la presse mauricienne, sur les radios privées, les réseaux sociaux…
Et pensons maintenant à la solitude de ces jeunes venus de ce pays poétiquement considéré comme le toit du monde, et qui découvrent amèrement le sol froid du jardin de la Compagnie. Ceux-là, depuis plusieurs semaines maintenant, tentent de faire entendre leur voix, dénoncent une arnaque à leur encontre, crient leur détresse, ont expliqué dans la presse comment leurs parents ont vendu terrain et bijoux pour qu’ils aient la chance de poursuivre des études à Maurice. Ayant découvert que la situation n’est pas celle promise, ces étudiants demandent, à juste titre, qu’on leur rembourse leur argent pour qu’ils retournent dans leur pays. Ni plus, ni moins ! Simple, logique, juste. Mais les voix des Népalais sont inaudibles.
Pour attirer l’attention des autorités, un courageux Mauricien, le guruji Jhummun a commencé une grève de la faim. Une grève de la faim pour attirer l’attention des autorités ! On en est là parce que ces Népalais manifestent dans une indifférence presque totale. Pas de représentant, pas d’ambassade, pas de consul. Qu’ils souffrent, qu’ils pleurent, qui s’en soucie ? Injustice ? Who cares ? En sus, le regard des Mauriciens sur ces Népalais ressemble à celui que beaucoup ont eu sur ces travailleurs bangladais, escortés à l’aéroport par des policiers, et déportés d’une manière indigne d’un pays qui se veut moderne. N’a-t-on pas entendu dans le courant de cette semaine, des Mauriciens soutenir le ministre du Travail, Shakeel Mohamed (par ailleurs grotesque avec sa formule sucre d’orge nous rappelant celle de Bérenger SMF/biberon) sous prétexte que des étrangers n’ont pas le droit de manifester à Maurice ?
Bien évidemment, tout acte de violence est condamnable, qu’il vienne des Bangladais, des Népalais, des Chinois ou des Mauriciens. Mais la rue reste, malheureusement, souvent le dernier rempart. Pour exprimer colère, révolte et ras-le-bol. Et la nationalité importe peu quand les droits sont bafoués. Qu’il s’agisse des travailleurs mauriciens de la CNT, des ouvriers bangladais, ou des étudiants népalais, s’ils sont traités injustement, notre indignation ne peut être tributaire de leurs origines. Regardons les Népalais en pensant à ces milliers d’étudiants mauriciens qui quittent le pays chaque année. Et s’ils étaient traités de cette façon ailleurs ?
Quant aux travailleurs bangladais, même si nous savons dans quelles conditions ils débarquent, même si nous sommes conscients que, mondialisation oblige, ces esclaves modernes sont considérés comme des machines, sinon des machines à sous, même si nous n’ignorons pas leurs conditions de vie dans des logements indécents, même si nous savons que parfois c’est la mort et non l’eldorado qui les attend (souvenons-nous de ces dix Bangladais morts lors d’un accident de la route le 12 janvier 2011, quelques jours seulement après leur arrivée), nous demeurons intolérants envers ces misérables.
Nous oublions que ce sont des hommes et des femmes qui ont quitté femmes, maris et enfants, la tristesse au cœur, en acceptant de suer et de se saigner au travail pour un avenir meilleur. C’est pas parce qu’ils sont pauvres qu’ils n’ont pas droit au respect. C’est pas parce qu’ils sont pauvres qu’on a le droit de bafouer leurs droits. C’est pas parce qu’ils sont pauvres qu’on doit adopter des attitudes frisant la xénophobie…