Jessie Sarah et sa petite-fille Jessica pleurent la disparition de Medgée et son fils Dylan sont désormais unis dans la mort.
Melissa Philippe et sa grand-mère Thérèse Lamour sont sous le choc après le décès de Michael (à droite).
Nos routes continuent à faire des morts et ce, malgré l’entrée en vigueur du permis à points. Cette semaine a été des plus sanglantes, avec huit morts dans des accidents, dont les quatre victimes de Bel-Étang. Alors qu’à Camp-Levieux, des enfants de 5 à 12 ans ont vu la mort de très près. Les familles témoignent.
Quatre-vingt morts sur nos routes depuis le début de l’année. Soixante-cinq accidents fatals. Trop, c’est trop ! Au-delà de ces chiffres qui choquent, de ces statistiques morbides de la Traffic Branch Unit, ce sont de véritables drames humains qui se jouent semaine après semaine sur nos routes. Des vies, des destins et des rêves sont brisés à jamais. Ceux qui partent sans crier gare laissent toujours derrière eux des proches complètement anéantis, engloutis par une vague de chagrin que seul le temps pourra estomper.
Jessie Sarah, 68 ans, est de ceux-là. Cette semaine, son monde s’est écroulé lorsqu’elle a appris la disparition tragique de sa fille Medgée, 45 ans, du compagnon de celle-ci, Michael Philippe, 38 ans, et de son petit-fils Dylan Botte, âgé de 11 ans seulement. Ils ont connu une fin brutale aux petites heures du matin le mardi 11 juin. Ils étaient dans une voiture en stationnement à Bel-Étang quand celle-ci a été heurtée de plein fouet par un camion. Cet accident a fait deux autres victimes : Michael Philippe, le compagnon de Medgée, et Cyril Madone, un habitant de Camp-Levieux, Rose-Hill (voir le témoignage de la fille de ce dernier et les circonstances du drame en hors-textes).
«Mo leker fermal», lance Jessie Sarah dans un cri de désespoir à un des proches venus lui rendre une visite de sympathie chez elle, à la Cité CHA d’Olivia, après le drame de mardi. Des larmes de douleur coulent sur son visage dévasté, la faisant presque suffoquer. La vieille dame essaie tant bien que mal de reprendre son souffle, de retrouver le courage pour parler de la tragédie qui s’est abattue sur elle.
Car du jour au lendemain, cette sexagénaire a vu sa joie de vivre se transformer en une tristesse sans nom. «Je me suis mise à trembler lorsque j’ai appris cette nouvelle. Au début, on m’a annoncé uniquement la mort de ma fille», raconte péniblement Jessie Sarah. À ce moment-là, elle se trouvait chez son beau-frère Guillaume Sarah, à Bel-Air. D’ailleurs, ce dernier, qui souffrait de problème cardiaque, a rendu l’âme en revenant de la veillée mortuaire de Medgée et du petit Dylan.
Jessie Sarah poursuit son poignant récit d’une voix tremblante : «J’ai reçu un appel téléphonique de mon fils m’annonçant que Medgée est morte. Je ne voulais pas y croire. Je me suis précipitée hors de la maison pour essayer d’avoir un autobus pour rentrer chez moi. En chemin, j’ai dû m’arrêter sept fois, une personne m’a même donné de l’eau à boire. Ce n’est qu’en arrivant à la maison que j’ai su pour mon petit-fils et le compagnon de Medgée.»
Et dire que la veille de cet accident, elle était en compagnie de Medgée et du petit Dylan chez eux, à Sébastopol. «Depuis peu, ils ont emménagé à Sébastopol. Et lundi, je suis allée voir Medgée. Je voulais qu’elle vienne passer la nuit à la maison pour pouvoir m’accompagner chez mon beau-frère le lendemain. Mais je ne sais pour quelle raison elle a préféré rester chez elle», poursuit la grand-mère.
Elle n’oubliera jamais les derniers moments qu’elle a passés avec son petit-fils. «Ce jour-là, Dylan a couru de toutes ses forces vers moi pour se jeter dans mes bras. C’était un gentil garçon qui rêvait d’avoir sa voiture quand il serait grand. Il était fasciné par les voitures, un peu comme tous les enfants de son âge.»
Dans son malheur, Jessie Sarah se raccroche à sa petite-fille Jessica, 27 ans, la fille aînée de Medgée, elle aussi terrassée par le chagrin. «C’est dur d’avoir perdu comme ça, d’un seul coup, ma mère et mon petit frère qui était aussi mon filleul. C’était un petit gars plein de vie qui devait prendre part aux examens du CPE cette année. Ma mère, elle, était une personne joviale. Femme au foyer, elle ne ratait jamais la récolte des pistaches lorsque la saison était arrivée. Une passion pas comme les autres qu’elle assumait», raconte Jessica qui a aussi une pensée émue pour son beau-père Michael Philippe qui allait fêter ses 39 ans le 20 juin.
«C’était un beau-père exemplaire. Il nous aimait comme ses enfants. Il ne nous a jamais manqué de respect. Ma mère était très heureuse avec lui», confie Jessica, les larmes aux yeux. Michael Philippe laisse également derrière lui d’autres proches effondrés, dont sa mère qui n’a plus la force de tenir sur ses jambes. C’est allongée sur un matelas à même le sol dans son salon – elle habite non loin de chez Jessie Sarah - qu’elle essaie de dire quelques mots pour lui rendre hommage.
Le moins qu’on puisse dire, c’est que la vie n’a pas fait de cadeau à Thérèse Lamour. À 76 ans, c’est le troisième enfant qu’elle enterre. «Une de mes filles est décédée d’une maladie il y a deux ans et un fils est mort suite à une agression il y a quelques années. Maintenant, je perds un deuxième fils dans un accident. C’est beaucoup trop pour moi. Cela me brise le cœur de devoir enterrer mes enfants. Il ne m’en reste que deux», pleure Thérèse Lamour qui n’a pu accompagner Michael Philippe jusqu’à sa dernière demeure. «Pann kapav ale. Mo tro sagrin. Il était heureux aux côtés de Medgée. Ce qui leur est arrivé ainsi qu’à Dylan, qui était comme mon petit-fils, est tellement triste.»
Michael laisse derrière lui deux enfants et d’autres proches qui ne l’oublieront jamais, comme le souligne sa fille Melissa Philippe, 17 ans. «Mon père était très apprécié dans la localité. Il avait le cœur sur la main et répondait présent à chaque fois qu’on faisait appel à lui. On s’est parlé pour la dernière fois en avril dernier. Je devais entamer des démarches pour me marier civilement. Comme je suis mineure, je lui avais demandé son accord. La cérémonie devait avoir lieu en décembre mais on a tout annulé», confie Melissa Philippe qui a perdu sa mère il y a quelques années.
Orpheline, elle compte désormais sur le soutien de sa famille mais surtout sur celui de son demi-frère, le fils aîné de Michael. «Il avait eu cet enfant alors qu’il était très jeune. Il l’avait pour ainsi dire abandonné. Mais il y a quelques années, il a décidé de le rechercher, il l’a retrouvé et me l’a présenté. Au moins, j’ai un frère.»
Semaine après semaine, les accidents continuent d’arracher des êtres chers à leurs familles, laissant des vides impossibles à remplir. Pour les proches de Medgée Sarah, Dylan Botte et Michael Philippe, la vie ne sera plus jamais pareille. Leurs larmes ne se tariront pas de sitôt et leur cœur portera à jamais une immense souffrance.
Les circonstances du drame
Une simple panne. C’est à partir de là que tout a commencé. Le mardi 11 juin, peu après minuit, les neuf passagers de la voiture immatriculée FD 38 sont contraints de passer la nuit dans ce véhicule, en attendant le lever du jour. Mais avant même que le soleil ne pointe le bout de son nez, l’imprévisible s’est produit. Un camion a heurté de plein fouet le véhicule dans lequel ils se trouvaient. Bilan de l’accident : quatre morts et cinq blessés.
Le chauffeur du camion, Bhajansing Beeharry, un habitant de Sébastopol, a été arrêté. Il a été soumis à un alcotest qui s’est révélé positif. Il a retenu les services de Me Vedakur Rampoortab. Ce dernier souligne : «Mon client a reconnu avoir bu trois ‘pegs’ de rhum la veille de l’accident. Mais il n’était pas ivre au matin des faits. L’alcotest s’est révélé positif parce que l’alcool était toujours dans son sang au moment du test. Il nie le fait que la voiture était stationnée. Il dit que celle-ci a surgi devant lui et qu’il n’a pas pu l’éviter»
Par ailleurs, Bhajansing Beeharry a participé, hier, samedi 15 juin, à une reconstitution des faits.
Isabelle, la fille de Cyril Madone : «La mort de mon père ne doit pas rester impunie»
Elle a appris la tragique nouvelle alors qu’elle se trouvait à des milliers de kilomètres de l’île, soit en France, où elle vit depuis 13 ans. «J’ai eu le choc de ma vie lorsqu’on m’a annoncé le décès de mon père au téléphone», confie Isabelle Madone, d’une voix cassée par le chagrin. Et le jour même, raconte-t-elle, elle a entamé des démarches pour rentrer au pays, afin de dire un dernier au revoir à son père Cyril Madone.
«Je suis bouleversée. On s’est vus l’année dernière lorsque j’étais venue en vacances. Nous avons passé de très bons moments en famille. Je me souviens qu’un jour, il s’était réveillé très tôt pour aller pêcher. Il voulait préparer un bon plat mauricien pour moi avant que je ne reparte pour la France. Cela m’avait beaucoup touchée», confie la jeune femme qui a du mal à cacher ses émotions. Du haut de ses 57 ans, Cyril Madone était apprécié dans sa localité, à Camp-Levieux, Rose-Hill.
«Il y vivait depuis plus de 30 ans. Mon père était un bon vivant. Il faisait la joie de la famille. Il était pêcheur et travaillait à son compte. Il aimait sortir avec ses amis et sa famille. Il laisse un grand vide derrière lui. Sa mort ne doit pas rester impunie», lâche Isabelle Madone, toujours sous le choc. Car, dit-elle, son père était un homme aimé, un homme de famille qui aurait de plus fêté ses 58 ans le 5 août.
Ces autres victimes de la route
Cette semaine, quatre autres personnes ont péri dans des accidents. Louis Michael Gontron, un habitant de Grand-Baie, âgé de 50 ans, a été victime d’un délit de fuite dans cette localité. Il a été transporté à l’hôpital où son décès a été constaté.
Satish Padaruth, un habitant de Bon-Accueil, a, lui, succombé à ses blessures le dimanche 9 juin, soit trois jours après avoir été renversé par une mobylette.
Krishna Chengadu, un habitant de Batimarais, âgé de 46 ans, a rendu l’âme le mardi 11 juin. Il a été heurté de plein fouet par une fourgonnette le 7 juin, alors qu’il traversait la route.
Alvino Rabe, un habitant de Mahébourg, se trouvait sur sa mobylette quand il a perdu le contrôle du véhicule qui s’est écrasé contre la porte d’entrée d’un restaurant le 8 juin. Il a rendu l’âme le jeudi 13 juin.