Sheila Bappoo, ministre de la Sécurité sociale
Vidya Narayen
Abus sexuels, fermeture des centres, transfert des résidents dans un abri appartenant au gouvernement… Le Foyer Namasté ne cesse de faire parler de lui. Dernière polémique en date : deux de ses anciens résidents ont été admis d’urgence à l’hôpital.
Ludovic Pénélope, un jeune homme de 18 ans, souffre d’épilepsie sévère. Il y a quatre ans, ses proches l’ont placé au Foyer Namasté, ne pouvant s’occuper de lui. Et depuis l’éclatement de cet abri le mercredi 10 avril, secoué par un scandale impliquant son co-fondateur, Steve Savrimootoo, accusé d’agression sexuelle sur un ex-résident du centre, Ludovic Pénélope a d’abord été placé à l’hôpital Brown-Séquard. Cela, avant d’être envoyé dans un abri du ministère de la Sécurité sociale, le lundi 15 avril.
Toutefois, deux jours plus tard, il a été pris d’une violente crise épileptique. C’est dans un état comateux qu’il a été conduit à l’hôpital de Flacq. Contacté au téléphone à ce sujet, la doctoresse Veenu Basant-Rai, attachée au ministère de la Sécurité sociale, a précisé que l’adolescent «était inconscient à son arrivée. Il a été admis aux soins intensifs, où il a été placé sous respiration artificielle. Son état de santé s’est amélioré et depuis vendredi. Hier (Ndlr : samedi), il a été transféré dans une autre salle, où il est sous perfusion».
Lors d’une visite dans cet établissement hospitalier vendredi, où nous avons constaté de visu l’état de Ludovic Pénélope, c’est le cœur serré que nous sommes sortis de l’unité des soins intensifs. Allongé sur son lit, la bouche entrouverte, le jeune homme a fait peine à voir.
Branché à un appareil qui contrôle le battement de son cœur, il essaie, tant bien que mal, de prononcer quelques mots : «Je suis très triste. Personne ne vient me voir. Demande à mes amis de me rendre visite. Je me sens seul.» Une phrase qu’il n’a cessé de répéter durant notre visite.
Si ceux qui ont contacté le SAMU pour l’emmener à l’hôpital n’ont pas, par la suite, daigné faire le déplacement pour s’enquérir de son état de santé, il en est de même pour ses parents. Ces derniers n’ont pas été avertis de son admission à l’hôpital. Malgré sa maladie, Ludovic, lui, a toujours une pensée pour ses proches qu’il souhaiterait voir à son chevet.
«Ma mère s’appelle Isabelle et mon père Georges. J’ai aussi une sœur, Olivia. Dir zot vinn get moi», lance Ludovic, avant qu’on ne soit interrompu par un infirmier. Ce dernier nous demande d’apporter les effets personnels du jeune homme. «Il est là depuis mercredi. Personne n’a apporté ses effets personnels. Il n’a pas de brosse à dents et pas de vêtements de rechange. Il est vêtu d’un simple sous-vêtement. Il faut également lui apporter des couches», poursuit notre interlocuteur.
En effet, dans un meuble situé près du lit de Ludovic, l’on peut voir les vêtements qu’il portait à son arrivée à l’hôpital. Et faute d’une tenue de rechange, on l’a couvert avec un molleton. Contactée, la ministre Sheila Bappoo, nous a déclaré qu’il lui était «difficile de croire que l’enfant n’avait pas de vêtements à mettre» à vendredi après-midi. Pourtant la doctoresse Veenu Basant-Rai soutient que ce n’est que «le samedi 20 avril que ses effets personnels ont pu être envoyés à l’hôpital de Flacq.»
Par ailleurs, Samantha Louise, 22 ans, également une ex-résidente du Foyer Namasté, a été admise à l’hôpital Brown-Séquard le mardi 16 avril. Car elle montrait des signes d’agressivité et de troubles mentaux.
Ludovic Pénélope, pour sa part, est sûr d’une chose : «Bondie pu geri moi.» Il espère de tout cœur voir ses parents. Toutefois, le ministère de la Sécurité sociale ne serait pas parvenu à contacter ses proches. «Nous n’avons pas leurs coordonnées», précise la doctoresse Basant-Rai.
La ministre Sheila Bappoo, elle, explique dans une interview (voir hors-texte) : «Nu finn delokaliz zot ek consentman zot parans ki officie mo minister finn kontacte enn par enn avan plas zot dan sant Belle-Mare et zot finn mem sign enn consent form.
Questions à… Sheila Bappoo, ministre de la Sécurité sociale
Le Foyer Namasté n’avait pas de Residential Care Home Permit (RCHP). Quelles sont les lacunes soulevées pour que ledit permis soit refusé à cet établissement ?
On ne peut parler de refus, car à ma connaissance, l’Association d’hébergement pour les personnes inadaptées, qui gère le Foyer Namasté, n’a jamais fait de requête, en bonne et due forme, à mon ministère pour un permis.
À ce jour, combien de foyers, à Maurice, possèdent un RCHP ? Et combien fonctionnent sans ce permis ?
À ce jour, il y a 26 maisons charitables et 26 maisons privées opérant avec un permis à Maurice. Avec l’avènement de la loi qui a été votée en 2003 et les règlements promulgués en 2004, la question de permis ne se pose pas. On ne peut blâmer ces foyers puisqu’ils opéraient déjà avant 2003. On avait dressé une liste de foyers opérant sans permis et dans une lettre datant du 8 avril 2013 et envoyée au commissaire de police, mon ministère, à travers le Permanent Secretary, a demandé à ce dernier de prendre des mesures immédiates contre ces unlicensed homes, sous l’article 26 de la Residential Care Home Act. Celle-ci stipule que toute personne qui se tient en porte à faux de la section commet un délit.
Les foyers ne possédant pas le RCHP devront-ils, comme les centres du Foyer Namasté, fermer leurs portes ?
Le ministère leur donne généralement un moratoire de six mois pour leur permettre, soit de se délocaliser, soit d’améliorer les structures du bâtiment afin qu’elles soient conformes aux règlements. Ceux qui se risquent à braver l’interpellation de la police ou l’interdiction, ou qui ne répondent pas à l’appel ministériel, devront subir une «cancellation in cases of urgency», sous l’article 17 de cette Act.
Qu’avez-vous à dire au sujet du transfert des résidents du Foyer Namasté au centre de Belle-Mare, où deux pensionnaires ont été transportés à l’hôpital de Flacq et à Brown-Séquard cette semaine ?
Mon ministère a fait son devoir. C’est ce qu’on appelle Duty of Care. Ils ont été délocalisés avec le consentement de leurs parents, que mes officiers ont contactés un par un, avant de les envoyer au centre de Belle-Mare. Ils ont même signé une Consent Form et les parents sont libres de visiter leurs enfants. Au sujet des deux enfants admis dans des établissements hospitaliers, l’état de santé de Ludovic Pénélope est en nette progression. Samantha Louise, qui présente des signes d’agressivité liés à sa maladie, est prise en charge par le consultant responsable de Brown-Séquard.
Vidya Narayen, Ombudsperson for Children : «La CDU aurait dû prendre en compte nos recommandations»
Elle a fait un constat des plus alarmants au Foyer Namasté de Roches-Brunes qu’elle a visité le 16 février 2012. «J’ai été très choquée lors de cette visite», avoue Vidya Narayen, Ombudsperson for Children. «La musique jouait à fond, les enfants n’étaient pas scolarisés et étaient livrés à eux-mêmes, la cuisine était en piteux état, le personnel n’était pas formé et le manque d’hygiène se voyait clairement», avance notre interlocutrice qui affirme avoir alerté le ministère de la Santé, celui de l’éducation, de la Sécurité sociale et de la Protection de l’Enfant. «Le 27 février, un fonctionnaire de mon bureau, un représentant de l’éducation et un psychologue de la Protection de l’enfant se sont rencontrés. Ils ont fait des recommandations auprès de la Child Development Unit (CDU), leur demandant de faire le nécessaire pour que les enfants soient scolarisés. Et le 1er juin, j’ai reçu une lettre anonyme alléguant que des enfants de ce foyer subissaient des abus sexuels. Quatre noms des enfants y figuraient. Dans une correspondance en date du 7 juin, j’ai demandé au ministère de la Protection de l’enfant de transférer les quatre enfants de cet abri. Mais un seul a été placé ailleurs. La CDU aurait dû prendre en compte nos recommandations», fait ressortir l’Ombudsperson for children. Elle avance que depuis que le scandale du Foyer Namasté a éclaté, elle a demandé au ministère de la Sécurité sociale de prendre des mesures pour que les présumés agresseurs soient mis à l’écart de cet abri. «Or, le ministère a fait fermer tous les centres. Ce n’est pas correct, surtout du fait que les enfants n’ont pas été préparés psychologiquement avant d’être placés ailleurs.» Cette dernière, qui a aussi eu une rencontre avec la présumée victime d’abus sexuels, précise qu’elle ne prend pas la parole de cet enfant à la légère. «Je prends en considération tout ce que l’enfant a dit. Je ne mets pas ses paroles en doute.» Et de conclure : «Récemment six enfants qui étaient à l’hôpital Brown-Séquard ont été placés au Foyer Namasté. Avec toute la médiatisation d’abus sexuels allégués qu’il y avait dans la presse depuis plus d’un mois, les ministères concernés auraient dû trouver un autre abri pour eux au lieu de les envoyer là-bas.»
Pas de réponse de la ministre Mireille Martin
Deux courriels adressés à l’attachée de presse de Mireille Martin, les 17 et 19 avril respectivement, sur les derniers développements concernant la fermeture du Foyer Namasté, l’hospitalisation des ex-résidents de Namasté sont restés sans réponse. Contactée au téléphone, l’attachée de presse nous a répondu en ces termes, par sms : «Navrée. Je n’ai pas de réponses». Sans la moindre explication.