Un ado qui accuse le cofondateur d’un foyer pour enfants de l’avoir agressé sexuellement alors que le principal suspect nie tout en bloc. La présidente de Pédostop, psychosociologue et vice-présidente de la Société des professionnels en psychologie*, jette un éclairage sur cette actualité.
Qu’avez-vous ressenti en apprenant qu’un enfant accuse un des responsables de Namasté d’agressions sexuelles ?
Je suis soulagée que les propos de l’enfant qui a dénoncé ce qu’il a subi, soient crus et que l’État agisse tout de suite pour le protéger, lui et les autres victimes éventuelles. C’est vraiment capital, dans tous les cas d’abus sexuels, que l’enfant soit écouté, cru et protégé de son agresseur.
Cet ado de 14 ans dénonce les faits plus d’une année plus tard. Qu’est-ce qui explique, selon vous, ce laps de temps ?
Il est très fréquent qu’entre l’agression sexuelle subie et la dénonciation, il se passe des mois, voire des années. Il est très difficile pour les enfants victimes d’abus sexuels de dénoncer leur agresseur et cela pour plusieurs raisons :
● L’agresseur, dans 80 % des cas, est quelqu’un que l’enfant aime bien et en qui il a confiance.
● Parfois, l’enfant n’a pas la maturité intellectuelle pour comprendre ce qui se passe, même s’il sent que ce n’est pas bien.
● Il lui est difficile de comprendre, puis de venir dire que cette personne censée l’aimer et le protéger l’a agressé sexuellement.
● La peur de se sentir jugé(e) et condamné(e).
● La honte, car l’agression sexuelle touche à son intimité et que son corps est utilisé pour assouvir la pulsion sexuelle de son agresseur.
● La culpabilité, car l’enfant peut penser que c’est sa faute ou que c’est normal, des éléments sur lesquels insiste souvent l’agresseur. Il lui est presque impossible de dire non, car il aime et respecte cette personne, et il a, dans certains cas, du plaisir sexuel.
● Les menaces de l’agresseur qui oblige l’enfant à garder le secret sous peine de le frapper ou de se suicider. L’agresseur le culpabilise en lui attribuant la responsabilité du tort causé aux proches : ce serait sa faute si l’agresseur va en prison, si la famille est brisée… Cette responsabilité qu’attribue l’agresseur à l’enfant est très lourde à porter pour ce dernier. L’enfant a souvent très peur et ne peut se défendre.
● La peur de ne pas être cru(e) : il y a peu de preuves matérielles dans les cas d’abus sexuels sur les enfants. L’abus sexuel se fait avec ou sans contact corporel. C’est juste s’il y a pénétration vaginale ou anale qu’il y aura des preuves, et si surtout l’enfant dénonce tout de suite son agresseur, ce qui est très rare. Comme l’agresseur est très proche du milieu familial, les parents ou éducateurs ont du mal à croire l’enfant. «These words are too painful to absorb», selon Goddard et Mudaly (2006). Or, il faut le croire. Il est excessivement rare qu’un enfant ne dise pas la vérité quand il vient dire qu’on a touché son sexe, qu’on lui a demandé de faire une fellation.
● Le déni ; mécanisme de défense mis en place de manière inconsciente par la victime pour se protéger et éviter de se souvenir de ce qui s’est passé, tant c’est source de souffrance. L’enfant oublie ce qu’il a subi. Un élément déclencheur des mois ou des années plus tard peut faire qu’il en parle, s’il se sent en confiance ou s’il pense qu’il sera cru.
● La pression de la famille qui insiste pour que l’enfant se taise ou minimise l’abus en lui disant : «Aret fer maleleve» ou «tais-toi, c’est ton papa/tonton», «moi aussi je l’ai vécu, ce n’est pas grave», etc. Alors qu’il faut protéger l’enfant, pas l’agresseur ! L’abus sexuel est un crime.
L’ado accuse, le responsable nie. Comment voir plus clair dans cette affaire ?
Il est très rare qu’un agresseur sexuel avoue ce qu’il a fait. Il n’y a pas de profil type du pédophile, mais on observe quelques points importants. Les agresseurs sexuels sont très manipulateurs, souvent dans la séduction. Ils justifient leurs actes, ne les critiquent pas, ne se sentent pas coupables et ont peu, voire pas d’empathie. Ils peuvent ressentir toute condamnation comme une injustice et une incompréhension (Manciaux & al. ,2002).
Parfois, même s’ils sont en prison depuis plusieurs années et ont été reconnus coupables avec des preuves matérielles, ils continuent de nier les faits. D’où l’importance capitale de toujours écouter et croire l’enfant.
(Lire aussi Scandale au foyer Namasté
en pages 8 et 9