Mes Rada Gungaloo, avocate et directrice de SOS femmes et Lovena Sowkhee, avocate et collaboratrice à temps partiel au ministère de la Femme
Décidément, la violence domestique n’arrête pas de faire parler d’elle. Cette fois, en pleine célébration de la Journée contre la violence à l’égard des femmes, le débat s’articule autour d’un amendement apporté cette année à la ‘Protection from Domestic Violence Act’. Cet amendement étend l’utilisation des ‘protection orders’ à toutes les personnes vivant sous le même toit et pas seulement aux conjoints. Est-ce mieux ou pire pour les femmes victimes de violence conjugale? Me Rada Gungaloo et Me Lovena Sowkhee nous donnent leurs avis.
Q : De janvier à août 2004, 342 ‘protection orders’ ont été servis aux victimes alléguées de violence conjugale. Quel est le rôle de cette mesure légale?
Me Rada Gungaloo : Premièrement, il faut noter quelque chose de très important : les femmes viennent de plus en plus nombreuses de l’avant pour demander un ‘protection order’ qui les protège pendant un certain temps contre la violence conjugale. Malheureusement, dans bien des cas, une fois que la femme bénéficie de cette mesure légale, la violence physique disparaît pour faire place à la violence verbale qui est plus difficile à prouver. Le ‘protection order’, c’est un pas en avant mais ce n’est pas la seule solution. Il faut aussi des campagnes qui rendent la violence intolérable et une panoplie d’autres mesures. Il faut surtout ‘empower’ les femmes afin qu’elles puissent dire non à la violence.
Me Lovena Sowkhee : Le ‘protection order’ est une solution immédiate au problème de violence domestique. L’agresseur contre lequel cette mesure légale a été servie, n’a pas le droit de harceler physiquement, moralement et émotionnellement la victime ni la forcer à avoir des relations sexuelles non consenties. À part le ‘protection order’, la loi prévoit des ‘occupation orders’ ou ‘tendency orders’ pour ordonner à l’agresseur de quitter la maison. Malheureusement, on utilise rarement ces mesures pour protéger les victimes. Il y a aussi le ‘ancillary order’ qui empêche l’agresseur d’approcher la victime à une certaine distance.
Q : Un amendement a été apporté à la ‘Protection from Domestic Violence Act’ cette année. Qu’en est-il ?
Me Rada Gungaloo : L’amendement inclut des actes de violence perpétrés aussi par les membres de la famille autres que les conjoints. Je ne crois pas que la majorité des Mauriciens vivent dans des familles nucléaires dans le sens absolu du terme. Souvent on voit un couple habitant un appartement bien à lui, mais les autres membres de la famille vivent à l’étage ou à côté. Cela permet un va-et-vient entre les ménages et l’intervention des beaux-parents dans la vie du couple. Cette intervention résulte souvent en violence à l’égard des femmes. Les beaux-parents peuvent aussi avoir recours au ‘protection order’ contre leur belle fille.
Me Lovena Sowkhee : Auparavant, le ‘protection order’ concernait seulement les conjoints ou les concubins et ceux qui sont séparés mais ayant un ou des enfants en commun. L’amendement qui a été apporté à la ‘Protection from Domestic Violence Act’ au début de cette année vient élargir les paramètres de cette mesure. Maintenant, n’importe qui peut demander un ‘protection order’contre une personne vivant sous le même toit que lui. La belle-fille peut en demander un contre sa belle-mère et vice-versa, la mère contre son fils, etc.
Q : Quelle est la raison de cet amendement ? Le ‘Protection Order’ devient-il ainsi plus efficace pour les femmes victimes de violence conjugale?
Me Rada Gungaloo : L’amendement part d’une bonne intention mais il aurait dû être fait d’une autre façon. Tel qu’il est libellé actuellement, il peut ouvrir la porte à des abus. Par exemple, les beaux-parents d’une femme victime de violence domestique peuvent s’empresser d’aller voir le magistrat pour demander un ‘protection order’ contre celle-ci en alléguant que c’est elle qui les a agressés. L’amendement n’a pas tenu compte de la réalité mauricienne qui veut que les belles-mères blâment toujours leurs belles-filles et que pour beaucoup d’hommes, la mère passe avant l’épouse. La situation est très problématique. Donc, au lieu de mieux protéger la femme battue, l’amendement vient créer un ‘loop hole’ qui fait que la situation peut se retourner contre elle et empirer son cas.
Me Lovena Sowkhee : Cet amendement a été rendu nécessaire parce que la réalité mauricienne veut que souvent plusieurs familles vivent dans la même maison et que souvent il y a des actes de violence parmi les membres de ces familles et pas seulement entre les conjoints. C’est définitivement une bonne chose pour toutes les victimes de violence domestique y compris les femmes. N’importe quel membre victime de violence par une personne vivant sous le même toit que lui peut demander un ‘protection order’ alors qu’avant ce n’était pas le cas. C’est vrai que toutes les lois ne sont pas infaillibles à 100% et que certaines personnes peuvent essayer d’en abuser. Mais je fais confiance aux magistrats pour que cela n’arrive pas. Si toute une famille vient demander un ‘protection order’ contre une belle-fille, par exemple, le magistrat saura voir qu’il y a sûrement tromperie. Cela dit, il y a des flous dans cet amendement qui demandent à être éclaircis.