Mort atroce de cinq amis

Veuve à 23 ans. Les larmes au bord des yeux, le ‘Sindour’ au milieu de la raie des cheveux, un sari blanc enroulant sa silhouette, Poonam Seeruttun pleure son époux Vinay, 23 ans. Le mardi 2 novembre dernier, lors d’une sortie de route fatale, celui-ci a péri avec quatre de ses amis dans un 2x4 sur l’ancienne route menant à Nouvelle France.

Le véhicule qui transportait huit passagers a bifurqué soudainement vers la droite, quittant ainsi la route, pour ensuite entrer violemment en collision avec un arbre en bordure de route sur la gauche. Le bilan est lourd : cinq morts et trois blessés.

L’excès de vitesse serait-il la cause du dérapage mortel ? La police oriente son enquête dans ce sens. (voir hors-texte)

Poonam se lamente : «Je serai désormais seule à élever notre fille». Chesta a trois mois et est venue au monde après quatre ans de mariage.

«Comme je n’arrivais pas à tomber enceinte, j’ai décidé de suivre des traitements avec un gynécologue. Vinay était si heureux d’avoir un enfant», confie Poonam.

Berçant son bébé drapé de rose, Poonam raconte qu’elle a insisté à maintes reprises au téléphone auprès de son époux pour qu’il n’accompagne pas ses amis dans le 2x4 : «Ce mardi-là, j’assistais à une fête avec mes collègues de travail à Trianon. Le lendemain, je devais reprendre le travail après mon congé de maternité. Vinay voulait absolument que je lui donne mon consentement pour cette sortie entre copains». Vinay était en route à bord du véhicule de la compagnie qui se dirigeait vers Quatre-Bornes.

Pourquoi Poonam s’obstinait-elle à refuser ? Avait-elle un mauvais pressentiment ? : «Non, je voulais juste qu’il passe un peu de temps avec son bébé et moi. Il a tellement insisté que j’ai finalement cédé. Je pense que la bande se rendait à Blue Bay».

Dans le véhicule, en sus de Vinay, il y avait Satchin Baldowa, 24 ans, le conducteur du 2x4, son cousin, Mahen Ruhee, 23 ans, Oomesh Goordoyal, 26 ans, son frère Rishi Goordoyal, Sanjay Seeruttun (le frère de Vinay), Ruben Ayna, 21 ans et Elvis Brunnet. Seulement Rishi Goordoyal, Elvis Brunnet et Sanjay Seeruttun ont été retirés vivants de l’amas de ferraille et de tôle qu’était devenu le véhicule.

Vendredi dernier, Sanjay Seeruttun a été admis aux soins intensifs de l’hôpital l’hôpital Nehru, Rose-Belle. Elvis Brunnet se trouve aussi à l’hôpital de Rose-Belle dans la salle 2.4 alors que Rishi Goordoyal a été transféré à l’hôpital de Candos.

Les proches d’Elvis Brunnet sont inquiets de son état de santé. Son épouse affirme : «So la tête fatiguée. À chaque fois, li demandé ki fer li l’hôpital». Rencontré sur son lit d’hôpital mercredi dernier, Elvis nous a fait la déclaration suivante : «Je ne me souviens de rien. Tout s’est déroulé si vite». À hier après-midi, Rishi Goordoyal et Sanjay Seeruttun, tout comme Elvis, ignoraient qu’ils avaient perdu leurs amis.

Les décès se succèdent

Le décès tragique de son époux n’est pas le premier mauvais coup de sort que connaît Poonam cette annéee. Il y a six mois, son beau-père, Hurrydev Seeruttun, 56 ans, le père de Vinay et de Sanjay, a succombé à la suite d’un malaise. «Tout le monde croyait que c’était la mère de Hurrydev, Boodnee, 87 ans, souffrant de défaillance rénale, qui allait mourir mais le sort en a décidé autrement. Son fils et son petit-fils s’en sont allés avant elle», ajoute Prem Manghoo, l’oncle de Vinay.

C’est à 12h45 que la bande d’amis a quitté l’usine Ouverture Profilages et Plastiques Ltée (OPP Ltée) à Pointe-aux-Sables où ils sont employés. Travaillant depuis de longues années ensemble, les cinq amis étaient connus pour être inséparables. Deepa, la sœur de Satchin, le chauffeur du 2x4, témoigne :  «Ils sont tout le temps ensemble. Satchin ne faisait aucune sortie sans avertir le petit groupe».

Preetam Seegoolam, 31 ans, collègue des cinq amis tués, obtient un ‘lift’ de Satchin qui prenait la direction de Quatre-Bornes : «J’ai saisi l’occasion, car j’habite à Beaux Songes. Satchin était au volant et dans le 2 x 4 il n’y avait que Oomesh et moi. Vinay, Mahen, Ruben et Elvis se trouvaient dans le véhicule de la compagnie. Plus tard, Satchin a reçu un coup de téléphone de Vinay qui nous demandait de le rejoindre avec Mahen, Ruben et Elvis à Shoprite. Après la rencontre à Trianon, Mahesh et moi avons regagné le 2x4 de Satchin pour continuer notre route. Les autres ont, eux aussi, regagné leur véhicule».

Selon Preetam Seegoolam, le groupe qui voyageait à bord des deux véhicules s’est alors retrouvé à Eau-Coulée dans une tabagie où, dit-il, tout le monde a pris une boisson gazeuse. Le véhicule de la compagnie les a laissés sur place et le conducteur de la compagnie est parti chez lui. «Comme je devais à tout prix me rendre à un anniversaire à Floréal, Mahen a pris le 2x 4 de Satchin et m’y a déposé. Mahen est revenu prendre les six autres, dont le conducteur du 2x4, Satchin, pour se rendre chez lui non loin de la tabagie à Eau-Coulée à bord du véhicule de Satchin», raconte Preetam.

Ansha Ruhee, la sœur de Mahen, se souvient du moment où son frère et ses amis sont passés à la maison ce jour-là : «Satchin était venu nous récupérer, mes parents et moi, pour nous déposer chez lui. Nous nous étions rendus là-bas pour rendre visite au papa de Satchin qui était souffrant», explique-t-elle.

Du sang sur le tronc

L’ambiance était à la bonne humeur dans le 2x4. C’était la dernière fois qu’Ansha voyait son frère Mahen vivant. La mort de son frère est le troisième décès qu’elle encaisse en quatorze mois. Le 25 août 2003, son oncle est écrasé par un camion. Le 14 février 2004, le fils de l’oncle meurt à la suite d’un accident de motocyclette.

Mahen et les cinq autres amis sont restés chez Ansha à Eau Coulée en attendant le retour de Satchin.

Après avoir déposé les Ruhee à Quatre-Bornes, Sacthin revient récupérer ses amis restés chez Mahen à Eau Coulée. Ensuite, la bande prend livraison d’un ‘take away’ que Vinay Seeruttun avait commandé d’un restaurant pour le déposer à 16ème mille où il habite. Sanjay, un employé d’hôtel, qui est le frère de Vinay, est alors à la maison. Il était 16h30. «Ils ont invité Sanjay à les accompagner dans le 2x4 et il les a suivis», déclare Poonam.

C’est en quittant 16ème mille, vers 16h45, que la mort les a surpris. En négociant un tournant à Lapeyre Hill, Nouvelle France, le 2x4 avec à son bord les huit jeunes hommes, quitte, pour des raisons jusqu’à l’heure inconnues par la police, la voie de gauche pour gagner celle de droite.

Selon la police, le conducteur aurait alors tenté de redresser sa voiture mais il a perdu le contrôle du véhicule qui a presque décollé pour s’écraser contre un arbre en bordure de route. L’impact fut d’une telle violence que l’arbre a perdu une de ses branches. Une trace de sang est toujours visible sur le tronc.

Des automobilistes horrifiés par la scène qui s’est jouée devant eux s’arrêtent pour porter secours. Sailesh Mahadev, un des bons Samaritains, se souvient : «Ils étaient dans un mauvais état et émettaient des plaintes. J’ai pris mon courage à deux mains pour les sortir mais à un certain moment, la vue de tout ce sang m’a donné un malaise et je suis parti. Pendant une nuit, je n’ai fait que penser à ces images horribles».

C’est la deuxième fois que Sailesh Mahadev, le président des Forces Vives de Rose-Belle, extirpe des accidentés d’un véhicule. Le 7 août dernier, Avinash Ramsahye, 21 ans, et sa voisine Usha Mohur, 15 ans, meurent sur le coup à Blue Bay après que le van dans lequel ils voyagaient est entré en collision avec un 2x4 sur un obstacle.

Acceptant difficilement cet événement tragique, les mères des cinq accidentés pleurent leurs fils disparus. La plus grande tristesse causée par ce drame, c’est que la route a fait encore une orpheline, la petite Chesta, fille de Vinay. Poonam, sa mère, avoue : «Il sera très difficile de vivre sans Vinay mais je me tuerai au travail pour tenter d’oublier cette perte».

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L’excès de vitesse étudié à la loupe

Satchin Baldowa, le conducteur du 2x4, a-t-il trop appuyé sur l’accélérateur dans le virage de Lapeyre Hill sur la route de Nouvelle France ? Ce virage est classé parmi les ‘Black spots’ les plus dangereux à Maurice.

Selon une source policière, l’excès de vitesse serait la cause de ce drame. «Selon nos premiers constats, le véhicule roulait à environ 120 km/hr. Le conducteur du 2x4 a peut-être voulu éviter un véhicule qui venait directement sur eux et quand il a voulu reprendre le contrôle de son véhicule, il a dérapé à cause de l’excès de poids résultant du nombre de passagers dans le véhicule. Il faut compléter l’enquête pour le savoir», déclare une source policière. Pour leur part, les proches des victimes disent ignorer si le véhicule roulait à vive allure.

En ce qui concerne le nombre de passagers, selon le caporal Barlen Munusami de la Road Safety Unit, la Section 4 de la ‘Road Traffic Act’ stipule qu’un ‘motorcar’ - catégorie dans laquelle se trouve les 2x4 - peut transporter jusqu’à huit personnes y compris le conducteur si le véhicule est déclaré comme ‘private car’. Si c’est un ‘goods vehicule’ le nombre de passagers est défini au cas par cas par la National Transport Authority.

De source policière, on nous affirme qu’il est impossible de mettre un obstacle pour ralentir les véhicules à l’endroit du virage parce qu’il se trouve dans une descente. «Quant à placer une glissière de sécurité à cet endroit, il n’en est pas question pour l’instant», affirme un responsable de police.

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Ces accidents qui font plusieurs victimes

Les chiffres parlent d’eux–mêmes. De janvier à novembre 2004, il y a eu sur nos routes 112 cas d’accidents fatals qui ont fait 125 morts contre 106 cas d’accidents fatals et 114 morts en 2003. Les noms des cinq morts de Nouvelle France viennent s’ajouter à la longue liste des morts sur la route. Ce n’est certes pas le premier drame du genre qu’a connu notre île. C’était le même scénario en août 1975 lorsqu’un accident impliquant un camion et un autobus avait causé la mort de 15 personnes à Rose-Belle. En avril 1995, un camion fou a tué une dizaine de passagers d’un autobus de la CNT après que ses freins eurent lâché. Et le 10 juin dernier, l’accident d’une rare violence à Bagatelle a fauché quatre membres de la famille Dastofir de Quinze-Cantons, Vacoas.

Par Nadine Bernard, Christophe

Karkhoo et Michaëlla Coosnapen