Les Mauriciens ont raison de s’intéresser à l’élection américaine qui a lieu mardi prochain. Les États-Unis pèsent tellement sur la marche du monde que cet événement ne peut nous laisser indifférents.
Peut-on renvoyer dos à dos Bush et Kerry ? Sont-ils bonnet blanc et blanc bonnet ? Assurément non. Sur les plans social et économique, les deux candidats divergent.
Bush fait peur moins par sa politique de guerre préventive dont l’Irak a fait les frais que par sa propension à mélanger politique et religion. Concernant la guerre en Irak, au début, nous avons dit pourquoi pas. Saddam Hussein était un dictateur sanguinaire. Son éviction était souhaitable. Il est clair, cependant, que l’administration Bush a mal préparé la gestion de l’après-Saddam. Il fait ainsi le lit des islamistes. Bush doit être sanctionné pour cela aussi.
La candidat républicain est un « born again ». Autrement dit, quelqu’un qui a retrouvé la foi après une crise personnelle. En l’occurrence, l’alcool. Dieu est devenu son point fixe. La Bible, son credo. C’est pourquoi il apparaît de plus en plus comme un croisé illuminé face à un autre illuminé, Ben Laden. Doit-on s’étonner que le monde aille si mal ? Là où la religion envahit l’espace public, elle sème la désolation. Parce qu’une doctrine religieuse, comme toute doctrine – nous pensons là au communisme – est exclusive. Elle tend à gommer les différences. En cela, elle est potentiellement totalitaire.
La laïcité- à savoir la séparation entre la religion et la politique, la promulgation des lois séculières et le cantonnement de tout ce qui est religieux à la sphère privée - est une merveilleuse invention. Elle rend possible la coexistence pacifique des religions. C’est pourquoi elle s’imbrique merveilleusement au système démocratique qui, lui, célèbre le pluralisme au niveau des idées et le multipartisme.
En brandissant la Bible à tout bout de champ, Bush, l’homme politique, porte atteinte à la laïcité. C’est dangereux. Son rival démocrate John Kerry - même s’il fait de temps en temps allusion à la Bible – semble davantage enclin à réciter le Pater Noster de Jacques Prévert qui commence ainsi : Notre père qui êtes aux cieux, restez-y. Et nous, nous resterons sur la Terre qui est quelquefois si jolie.
Autant Bush est conservateur au niveau social, autant il est libéral sur le plan économique. Il ne jure que par le marché. John Kerry pense, quant à lui, que l’État a un rôle à jouer quand les temps sont difficiles. Il ne récuse pas le credo libéral. Il estime, toutefois, qu’on ne doit pas évacuer l’État qui peut aider à combattre les inégalités sociales. En même temps, Bush est capable de devenir protectionniste pour protéger les industries américaines contre la concurrence étrangère. On l’a vu avec l’acier. Ce qui devait provoquer l’ire de l’Organisation Mondiale du Commerce. Sur l’échiquier international, Bush prône l’unilatéralisme, ce qui est une forme d’arrogance ; Kerry, le multilatéralisme qui est à même de créer les conditions pour une bonne entente entre les nations.
Sur le plan militaire, Bush est un dangereux boutefeu parce qu’il ne sait pas maîtriser le feu qu’il allume; au niveau économique, c’est un égoïste. La prospérité de l’Amérique avant tout même si c’est au détriment des autres nations.
Ben Laden a menacé, vendredi au travers d’une cassette, les États-Unis d’attentats. Quand on sait que dans ce genre de situation, les Américains ont tendance à se rallier derrière leur président, il a offert un cadeau électoral à Bush. Il en devient l’allié objectif.
Ce n’est pas si saugrenu que ça quand on sait que tous deux invoquent Dieu. Un Dieu assurément vengeur.
Les Mauriciens devraient soutenir John Kerry. Malheureusement, nous ne votons pas à cette élection.