Service de nuit : pour une heure ou deux, deux médecins dorment sur des lits de fortune, installés à même le sol. On constate un autre qui s’en va prendre son service de nuit. Pourtant, le ministère affirme qu’il y a des chambres pour le personnel soignant durant les 24 heures de service
A ccusation de laxisme versus horaires démentiels. D’un côté, le ministre de la Santé a décidé cette semaine de sévir contre les médecins du service public qui négligent, selon lui, leurs patients. De l’autre, ces mêmes médecins travaillent entre 70 et 90 heures par semaine, soit une moyenne de 80 heures par semaine. Ils ne peuvent, disent-ils, travailler convenablement dans ces conditions.
Les 500 hommes en blanc auscultent, en moyenne, plus d’un million de patients par an, selon une étude de De Chazal Du Mée (DCDM) réalisée en 2003 et dont le ministère dit ignorer l’existence. Ils sont les premiers à se dire que trop d’heures accumulées à ausculter et à délivrer des ordonnances peuvent affecter leurs performances.
Ces médecins disent en avoir fait état aux responsables du ministère de la Santé. Une démarche qui a eu l’effet contraire à celui escompté. Le ministre Ashok Jugnauth, a exigé, la semaine écoulée, la présence physique en permanence des médecins quand ils sont de service dans les différentes unités. Il a promis également de sévir contre les médecins spécialistes et les consultants qui négligent, selon lui, les malades.
Cette prise de position du ministre ne manque pas d’irriter. Les médecins, en colère, arguent ne pas pouvoir suivre le raisonnement du ministre. La raison ? Comme tout être humain, avancent-ils, ils ont besoin de repos.
«Nous devons être dans de bonnes dispositions lors des consultations avec les patients. Avec ces longues heures de travail continu, est-il humainement possible d’être aussi performants qu’on le voudrait?» se demande un généraliste.
‘Roster’ démentiel
Pourtant, au ministère de la Santé, les responsables semblent conscients des horaires fous pratiqués par les hommes en blouse blanche. «Les médecins travaillent normalement de 9h00 à 16h00 et sont tenus à être de garde, selon une rotation, une nuit sur trois ou une nuit sur quatre», en sus de leur service de jour, peut-on lire dans la réponse envoyée par le service de presse du ministère.
Toutefois, les médecins généralistes avancent que, par manque de personnel soignant, ils sont obligés d’effectuer trois ou quatre nuits par semaine.
À priori, les médecins font leurs 33 heures de service hebdomadaires. Or, selon la rotation établie par le Regional Health Director (RHD) de chaque centre hospitalier, chaque médecin est tenu à effectuer en moyenne trois nuits par semaine. Ce qui triple leur nombre d’heures au travail. Au mieux, ce sont 90 heures de service par semaine.
Prenons un cas de figure : un médecin prend son service le lundi matin à 9h00 et termine à 16h00 incluant une heure pour le déjeuner. Comme il est de garde la nuit, après une petite pause-café, il continue son travail jusqu’au lendemain à 9h00. Normalement, il est également de service le mardi matin, ce qui l’oblige à ausculter des patients de 9h00 à 16h00 avant de pouvoir rentrer chez lui. Pour revenir le lendemain à 9h00.
En tout, ce médecin aura travaillé 31 heures d’affilée sur 48 heures. S’il réitère ce schéma trois fois la semaine, il aura accumulé plus de 90 heures à son compteur.
Une chambre pour deux
Et le repos dans tout ça ? Paradoxalement, alors que les médecins se battent pour avoir un moment de repos la nuit, une circulaire vient de sortir, remettant cette pause en question. Les médecins sont désormais astreints à un nouveau régime : l’heure de repos doit être prise durant l’heure du dîner. Donc, fini le repos à proprement parler durant le service de nuit.
De son côté, le ministère voit le problème sous un angle bien à lui et son analyse est laconique : «En dépit des longues heures de travail, il y a des périodes creuses qui permettent aux médecins de se reposer.»
Cette assertion est bien sûr remise en cause par les hommes en blanc. «Il est vrai que parfois nous avons des moments creux durant le service de nuit. Mais, où nous reposer ? Dans des chambres où il n’y a pas de lits comme aux hôpitaux du Nord et de Flacq ? Il nous arrive de squatter les chambres des consultants quand ils ne sont pas là la nuit. Le plus souvent, on s’assoupit quelques minutes sur une chaise sans pouvoir réellement dormir», lâche un médecin.
Un exemple donné par ce même interlocuteur : à l’hôpital du Nord, il y a 6 chambres pour les 14 médecins de garde la nuit; à Flacq, 7 chambres pour 12.
Le ministère ne tient pas compte de ces faits et semble satisfait des facilités offertes à son personnel soignant : «Les hôpitaux mettent à la disposition des médecins de garde des chambres pour leurs besoins personnels durant les 24 heures de service.»
Afin d’éviter de partager une chambre à deux, la solution ne serait-elle que les médecins établissent une rotation entre eux au moment du repos ? Pour une question d’intimité, cela semble évident.
En attendant, les médecins devront prendre leur mal en patience et s’organiser comme ils le peuvent.