Sur le terrain de foot de Tamarin, portant le maillot de l’équipe britannique Arsenal, Jean-Yves L’Enflé tente d’inculquer l’amour du ballon rond aux jeunes de son village
Son but dans la vie était de marquer des buts. Il en avait tellement scoré dans le vieux stade George V qu’il était devenu la coqueluche des supporters de la défunte équipe de foot, la ‘Fire Brigade’. C’était dans les années 80. Jean-Yves L’Enflé, pêcheur, n’a pas encore raccroché ses crampons à 52 ans. Il s’occupe de la formation des jeunes de son village natal, Tamarin.
Le gaillard, devenu grand-père depuis peu, est solidement campé sur des jambes encore musclées. Jean-Yves L’Enflé maintient la forme en pratiquant ses deux passions : le foot et le surf. «La glisse, je l’ai apprise dès mon jeune âge, sur les vagues déferlant dans la baie du Tamarin. Le foot, comme tout gosse, sur l’asphalte», dit-il en riant, balle au pied parmi des jeunes qui s’échauffent sous un soleil de plomb.
On sent qu’il est dans son élément sur ce terrain de foot quelque peu rocailleux de Tamarin qui côtoie la belle plage toujours fréquentée par des étrangers, amateurs de surf.
Depuis trois ans, il est le ‘coach’ du Black River Football Club de deuxième division, une fusion de deux équipes, Preston et St-Benoît.
Orphelin à 11 ans, il n’a pas fréquenté un collège «faute d’argent». Il faut dire que la maisonnée comprenait alors onze enfants et que la vie «n’était pas de tout repos». Jean-Yves L’Enflé embrassera la carrière de pêcheur après le Standard VI. Il va même en haute mer dans sa «petite coque de pistache» alors qu’il n’avait pas douze ans. Pour éviter la faim aux siens.
Puis, un jour, Jean-Yves L’Enflé sort de l’anonymat. Les dirigeants des ‘Tamil Cadets’ - alors club de première division devenu ‘Sunrise United’, puis l’Olympique de Moka - le recrutent.
Ironie du sort : son premier match, il le jouera contre la ‘Fire Brigade’, devenu, depuis la régionalisation du foot, Pamplemousses FC. «J’ai tenté quelques tirs, mais dans les buts de la Fire Brigade, il y avait un certain Manon, difficile à battre», se souvient-il comme si c’était hier.
Le point fort de cet ex-champion est son adresse devant les buts adverses. Il marque surtout de la tête et adore les tirs en demi-volée.
Rs 800 pour tout un championnat
Puis les choses évoluent. Claude Ross, actuellement ‘coach’ de Arsenal Wanderers, et Serge Mamode, tous deux issus de la Fire Brigade, arrivent à le convaincre de défendre les couleurs de leur club qui attirait toujours la grande foule. Bien vite, il devient le buteur-maison des rouge et noir et la terreur des défenseurs qui ont le tournis avec sa force de frappe. «Il n’y avait que Sarjoo Gowreesungkur qui arrivait à m’arrêter quelquefois. Il faut dire qu’il taclait brutalement», souligne le footballeur.
Ses deux buts les plus mémorables furent scorés contre les Seychelles dans un tournoi triangulaire : «J’avais ouvert le score à quelques secondes de la première mi-temps par un tir dans la lucarne. Magnifique. Le deuxième but a été inscrit à quelques secondes de la fin. Score : 2-1 pour le Club M».
Après une expérience pas très réussie à l’île sœur avec les Léopards de St-André, il revient aux sources avec la Fire Brigade avec un tonitruant ‘hat-trick’ en finale de la Independence Cup en 1982. La victime : le Scouts Club. Ce jour-là, le stade George V, rempli comme un œuf, était acquis à la cause des joueurs de France L’Aiguille, alors boss des rouge et noir : «C’était un très grand moment de football à cette époque où l’argent n’était pas tout, contrairement à ce que nous voyons maintenant».
L’argent et le foot ne faisaient pas bon ménage dans les années 80 et les joueurs recevaient après chaque rencontre «juste Rs 30 pour payer le bus pour rentrer». Même en fin de championnat ? La réponse de Jean-Yves L’Enflé est choquante : «Une année, la Fire Brigade avait tout raflé en termes de coupes. Savez-vous combien j’ai touché pour toute la saison ? Rs 800».
Quel regard jette-t-il sur les gros budgets de certains clubs de l’élite mauricienne ? «Je condamne la façon de faire des jeunes d’aujourd’hui qui réclament beaucoup d’argent avant même d’avoir fait leurs preuves. Le football n’a plus sa saveur d’antan», lâche-t-il.
Il dit toutefois apprécier l’effort du ministère des Sports qui a mis sur pied le ‘Trust Fund for Excellence’, visant à encadrer des sportifs quand ils raccrochent.
C’est dommage pour lui que ce fonds n’existait pas avant. Car, après avoir fait trembler les filets et fait vibrer tant de coeurs, Jean-Yves L’Enflé a dû reprendre la mer. Il faut bien faire bouillir la marmite.
--------------------------
Jeune grand-père
Il s’est passé la corde au cou alors qu’il n’avait que 19 ans. Pas étonnant que Jean-Yves L’Enflé soit devenu père et grand-père très tôt. Sa première femme lui a donné une fille, Carmela, 31 ans, et sa deuxième, une autre fille, Nancy, 23 ans. Ses deux filles ont fait sa joie en lui offrant trois chéris depuis quelques années déjà.
L’ex-vedette de la Fire Brigade a eu une enfance difficile, puisqu’il a perdu sa mère à 11 ans. Ce qui l’a poussé vers la mer, comme bon nombre d’habitants de Tamarin. «Travay grand matin, manze tantôt», se souvient-il.
Cette vie rendue ardue par le dur métier de pêcheur était comblée quand le jeune Jean-Yves se retrouvait balle au pied avec ses camarades au sein de l’équipe de foot St-Benoît. Ou alors quand il enfourchait sa planche pour aller surfer sur les magnifiques vagues déferlant dans la baie de Tamarin.
Même si le football ne lui a pas rendu ce que lui, il lui a donné au sport favori des Mauriciens, Jean-Yves L’Enflé adore le ballon rond. Il partage ses connaissances avec des jeunes du quartier «afin de les garder loin des vices». Surtout dans une région où le chômage bat son plein.