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Jeff Lingaya : «Je suis prêt à mourir»

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Allumer une bougie pour montrer son soutien au gréviste de la faim. Environ 200 personnes ont fait le geste cette semaine.

Aujourd’hui, cela fait 11 jours que le jeune homme ne s’alimente plus. Onze jours qu’il a décidé de mettre son existence entre parenthèses pour protester contre le projet de CT Power. Et il ne compte pas s’arrêter là…

Une aura. De son corps, affaibli et amaigri, émane une force et une énergie invisibles, mais palpables. Dans le décor sordide du Jardin de la Compagnie by night, alors que la lueur d’une centaine de bougies éclaire et donne un tout autre aspect au lieu (lors du Candle Light organisé par le comité de soutien, le jeudi 31 janvier), Jeff Lingaya se bat. Chaque minute passée sans manger est une épreuve. Chaque nouvelle respiration est une victoire. Le jeune homme, qui se décrit comme un écologiste engagé, a décidé de mener une bataille pour que la centrale à charbon de CT Power, appelée à produire de l’électricité, ne voie pas le jour à Pointe-aux-Caves (ou ailleurs à Maurice, d’ailleurs). «Je suis prêt à mourir», a déclaré, cette semaine, le gréviste de la faim, qui entame son onzième jour sans manger, en ce dimanche 3 février.

Et même si Navin Ramgoolam a affirmé, le vendredi 1er février, qu’il ne pourrait révoquer la licence EIA (Environmental Impact Assessment) accordée à la société malaisienne (voir hors-texte), Jeff Lingaya ne compte pas, pour autant, baisser les bras. Malgré son affaiblissement – il reçoit du glucose par perfusion –, et la détérioration de son état de santé, celui que ses proches décrivent comme un battant tient bon. Et son acharnement a provoqué, cette semaine, un élan national de soutien.

Mais qui est donc l’homme qui se laisse affamer pour une cause ? Qui est celui qui, allongé sur un matelas recouvert du folklorique drap à fleurs du gréviste de la faim, a décidé d’essayer de faire plier le gouvernement ?

À 35 ans – il est né le 11 août 1977 –, ce musicien, qui prône la non-violence, n’en est pas à sa première bataille. Depuis toujours, il lutte «contre le mauvais traitement de l’être humain et contre la répression». Il évoquait, en mars 2011, son engagement contre l’injustice alors qu’il venait d’achever une grève de la faim, qui avait duré 21 jours, en faveur des ex-employés d’Infinity BPO. Aujourd’hui, c’est avec la même rage de vaincre que le végétarien, qui ne boit pas et ne fume pas, s’est attaqué à son nouveau combat. «Je n’avais pas à réfléchir, la décision a été spontanée. Je n’arrêterai pas la grève de la faim aussi longtemps qu’on n’enlèvera pas le permis EIA», soutenait-il, il y a quelques jours.

Une détermination sans faille. Un don de soi remarquable. Une envie de combattre… jusqu’à la mort : «Je prends des risques, j’expose ma vie avec l’idée que je ne vais pas m’en sortir. Je suis là pour défendre une cause qui protège la vie. S’il faut mourir, je suis prêt à le faire.» Prêt à tout pour une cause. Jeff Lingaya l’est. Et ses proches le savent.

Dernières volontés

C’est cette ténacité qui les terrifie en ce moment. Une peur qui les ronge : «Je ne dors plus. Je le connais, il est prêt à tout, à se battre jusqu’au bout quand il estime qu’il y a une injustice», confie une amie proche du gréviste de la faim. Celle qui vient lui rendre visite tous les jours s’attend au pire… Au coup de téléphone qui lui annoncera que Jeff n’est plus. «Depuis qu’il nous a parlé de sa mort et qu’il nous a dit quoi faire après sa disparition, je suis très inquiète», confie-t-elle.

Une cousine du gréviste de la faim vit aussi cette tragédie, cette attente insoutenable. Comme les parents de Jeff, qui ont préféré se murer dans le silence. «C’est très dur en ce moment. Le voir dans cet état nous rend vraiment tristes. Ses parents sont vraiment inquiets», soutient cette proche. Malgré la distance qui s’était installée entre Jeff Lingaya et ses parents ces dernières années, confie une personne de son entourage, cela n’amoindrit pas pour autant leur douleur : «Ils n’approuvent pas les actions de Jeff. Mais c’est un moment horrible pour eux.»

Le jeune homme confiait effectivement, dans un article de presse il y a quelque temps, ne pas être proche de son père. L’étudiant du Kalaka Movement, plus spirituel que religieux – «C’est-à-dire que je recherche la sagesse, la connaissance et la paix» –, estimait, néanmoins, qu’il lui devait beaucoup : «C’est grâce à mon père que je me suis intéressé au mysticisme. J’ai toujours eu une relation très conflictuelle avec lui, mais il m’a appris beaucoup de choses.» Né dans une famille catholique, Jeff s’était très vite éloigné du concept de religion, expliquait-il. «Il médite beaucoup, il voit des choses», confie une amie qui le connaît depuis son adolescence, alors que Jeff Lingaya fréquentait le collège Saint-Esprit.

À l’époque, explique-t-elle, il était déjà très actif au niveau de l’organisation des concerts au sein de son établissement scolaire. Mais il demeurait, quand même, un peu «à part»: «J’ai cru, pendant longtemps, qu’il était fou. Car, il avait déjà, en lui, des idées bien tranchées contre l’injustice et sur la spiritualité. Mais depuis que je le connais mieux, je sais juste qu’il est spécial, dans le bon sens du terme.» Spécial ? Illuminé ? Un peu dérangé ?  

Les termes, pas toujours flatteurs, pour le décrire sont nombreux. Pour son amie de longue date, il est tout simplement «incompris ou mal compris, parfois» : «Rares sont ceux qui peuvent saisir un tel degré d’altruisme.» Jason Lily, également musicien, estime que Jeff Lingaya, qu’il a rencontré il y a dix ans dans le pub de son père, Larybluz, a tout simplement «une autre vision des choses» : «Il voit le monde sans le voile qui aveugle de nombreuses personnes.» Entre Jeff et lui, ça a été un coup de foudre musical : «Il sait mettre les gens à l’aise. Et comme il est passionné dans tout ce qu’il fait et entreprend, il partage cet amour. C’est lui qui m’a fait m’ouvrir à d’autres styles musicaux et ainsi enrichir mon univers musical».

Et même si Jason Lily soutient son ami et la cause que ce dernier défend, il n’est pas d’accord qu’il maintienne sa grève : «Pour sa santé. On ne veut pas le perdre.» Comme lui,de nombreux amis ne peuvent s’empêcher de craindre le pire.

Un passionné

Notamment Utam Ramchurn, ami de collège avec qui Jeff Lingaya avait créé le groupe Instant Pigx, et qui décrivait, il y a quelque temps, l’initiateur des Christmas Crapauds (au moment des fêtes, Jeff et ses amis visitent les maisons de retraite pour faire chanter les personnes âgées), comme un passionné : «Il a la volonté d’aller au bout de ce qu’il entreprend, à tort ou à raison. Une fois qu’il prend un engagement, il s’accroche avec ténacité.» Yannick Durhône, l’un des gérants du pub Le Sapin où le gréviste de la faim anime un atelier de musique et d’improvisation, dit également reconnaître en Jeff Lingaya, un passionné.

Ils sont donc nombreux à dire que le jeune homme donne tout de lui-même dans chaque chose qu’il entreprend. Généreux, estiment-ils, il essaye toujours d’apporter un petit quelque chose aux autres : dons de guitares aux sans-abri, cours de musique aux enfants de Camp-Levieux, entre autres.

Et s’il sent que ce n’est pas sa voie, il préfère s’en aller. Comme quand il a abandonné le domaine de l’enseignement – il a été prof d’anglais et de dessin au collège BPS – dans lequel il s’était engagé tout de suite après son cursus secondaire : «J’aime la liberté. Là, je suis libre de mes actions, je ne suis redevable à personne, je fais de la musique, j’ai fait des pièces de théâtre et désormais, je me lance dans le portrait. Je voudrais faire des portraits de gens et gagner ma vie. Pour le moment, cela me suffira», confiait le jeune homme, anticonformiste et anticapitaliste qui revendiquait sa différence.

Désormais, il a besoin de toute sa force et de toute sa ténacité pour survivre à ce combat… Qui ne sera pas le dernier, espèrent ses proches.

Navin Ramgoolam : dans l’incapacité de révoquer le permis EIA

Le chef du gouvernement est clair. Il ne peut pas, dit-il, révoquer le permis Environmental Impact Assessment (EIA) de CT Power. Il a fait le point sur la question le vendredi 1er février, alors qu’il était au Morne pour la commémoration de l’Abolition de l’esclavage. «Nous sommes dans un État de droit, il y a eu un jugement. C’est notre politique de tout faire dans la transparence. Quoi, cette fois-ci je vais commettre un outrage à la cour ? Ce n’est pas possible», a déclaré Navin Ramgoolam, en précisant qu’il n’était pas insensible aux demandes du gréviste de la faim, Jeff Lingaya.

Par ailleurs, le Premier ministre a déclaré que les promoteurs malaisiens de la centrale à charbon n’ont pas d’objection à rendre public l’accord signé avec les autorités pour leur projet de Pointe-aux-Caves. Il a également fait savoir qu’il avait été particulièrement exigeant en étudiant le projet de CT Power : «Je suis une des personnes à avoir été vraiment strictes avec ce projet. Vous avez vu vous-même le temps que cela a pris. J’ai essuyé beaucoup de critiques. Mais il ne faut pas oublier que nous parlons là de questions environnementales. Je voulais m’assurer que l’environnement sera protégé.»

De plus, Navin Ramgoolam a estimé qu’il y avait «manipulation» concernant cette affaire. «Mais pourquoi sous l’ancien gouvernement, personne n’avait protesté contre l’utilisation du charbon. Y a-t-il deux types de charbon ? Charbon noir et charbon blanc ?» s’est-il demandé. Propos qui a provoqué une vive polémique sur la Toile (sur Facebook et certains forums). Il a continué en s’en prenant au contrat signé entre les Independent Power Producers (IPP) et l’État : « Je ne pense pas qu’il y ait du bon et du mauvais charbon. Pourquoi personne n’avait protesté lorsque l’ancien gouvernement avait signé le contrat avec les sucriers pour qu’ils prennent du charbon et le brûlent dans le Sud ?»

Trois demandes et… un comité

Ses demandes étaient claires. Jeff Lingaya, en entamant sa grève de la faim, souhaitait obtenir trois choses des autorités. D’abord, l’écologiste engagé a demandé que le permis EIA accordé aux promoteurs malaisiens de CT Power soit suspendu. Puis, que les contrats de CT Power et des autres Independent Power Producers (IPP) soient rendus publics. Et enfin, qu’une National Energy Audit Commission (NEAC) soit mise en place dans les plus brefs délais.

Néanmoins, seules deux des demandes du gréviste de la faim ont été acceptées : la publication des contrats et la création d’une NEAC. Le Conseil des ministres a, d’ailleurs, entériné cette dernière décision. La commission, présidée par Dev Manraj, conseiller au bureau du Premier ministre, se rencontre, ce mardi 5 février, pour examiner le projet de CT Power, mais aussi le dossier des IPP. Néanmoins, la suspension de l’EIA n’a pas été possible, explique Patrick Assirvaden, le président du PTr, mandé auprès du gréviste de la faim avant de lancer les discussions. «Le ministre de l’Environnement a fait comprendre qu’il est obligé de respecter le jugement de la cour qui lui a ordonné d’émettre cette licence», a-t-il déclaré.

La Plateforme citoyenne : «Le gouvernement peut révoquer l’EIA»

«Il se réfugie tout simplement derrière une clause.» Déclaration de Fabiani Balisson, porte-parole de la Plateforme citoyenne, composée de l’Action civique d’Albion Plage et du Mouvement civique de Pointe-aux-Sables, qui réagit suite aux déclarations du Premier ministre : «Le gouvernement, à travers le ministre de l’Environnement, a le pouvoir de révoquer l’EIA. L’Environment Protection Act le prévoit. Il y a eu des changements au modèle initial et ça suffit amplement ! Et là, ce n’est qu’un exemple. Il y a de nombreuses raisons qui peuvent être évoquées pour suspendre ce permis.» Dans les prochains jours, la Plateforme, qui milite pour qu’aucune centrale à charbon ne voie le jour à Maurice, va poursuivre ses actions : «Nous rencontrons les responsables d’ONG, aujourd’hui. De plus, nous avons des affaires en cour, dont une Judicial Review.»

Du côté de l’opposition

Enfin ! Après des mois et des mois d’appels sans réponse, les membres de la Plateforme citoyenne, composée de l’Action civique d’Albion Plage et du Mouvement civique de Pointe-aux-Sables, peuvent se réjouir de voir l’opposition réagir. Lors des habituels points de presse du samedi, Alan Ganoo, nouveau leader de l’opposition, et Pravind Jugnauth, leader du MSM, se sont exprimés sur le dossier CT Power. Le remplaçant de Paul Bérenger a déclaré que le MMM soutenait les opposants au projet de la centrale à charbon et était solidaire de Jeff Lingaya.

Si le leader des Mauves ne remet pas directement en cause ce projet, il demande au gouvernement de jouer la carte de la transparence et de s’assurer que les 31 conditions qui ont été émises afin que le permis EIA soit délivré, soient respectées : «Le gouvernement pourra alors révoquer le permis EIA si les conditions ne sont pas respectées.» De son côté, Pravind Jugnauth a demandé la révocation du fameux permis tout en estimant que le projet CT Power, qui a de nombreuses zones d’ombre,

est un autre «jackpot» pour le gouvernement.

Il n’est pas seul…

10 000 nouvelles signatures de plus pour dire «non» à la centrale à charbon. Un Candle Light qui a réuni environ 200 personnes. De multiples réactions sur Facebook. Des billets de personnalités pour soutenir Jeff Lingaya sur le célèbre réseau social. De nombreuses visites au jeune homme. Autant d’exemples qui démontrent que le gréviste de la faim a réussi à donner une portée nationale à une cause qui avait de la peine à se faire connaître. Depuis le début de sa grève, le jeune homme est porté par un grand mouvement de solidarité. Mouvement qui ne cesse de s’accroître.

Grève : pas de décision avant mardi

Pour l’instant, Jeff Lingaya a décidé de ne pas lâcher prise. Selon ses proches, il prendra une décision concernant le maintien, ou pas, de sa grève de la faim après la première réunion de la National Energy Audit Commission. «Il veut voir la composition de la commission et savoir s’il est possible de faire confiance à cette instance avant de se décider», confie Fabiani Balisson de la Plateforme citoyenne.

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