Combattre l’échec scolaire à travers l’introduction du créole à l’école. Cette thèse est loin de faire l’unanimité
«Pas de corrélation prouvée entre la non-utilisation du créole à l’école et l’échec scolaire.» Des voix pas très tendres se sont élevées cette semaine contre l’insertion de cette langue dans le programme scolaire comme médium d’enseignement. Elles viennent ainsi contrer Dev Virahsawmy qui est pour l’introduction du créole à l’école, du moins, dans un premier temps, dans les institutions pré-professionnelles, «très vite».
La semaine dernière, le ministre de l’Éducation, Steven Obeegadoo, annonçait l’introduction du créole comme médium d’enseignement - la langue dans laquelle on enseigne aux élèves - à partir de l’année prochaine dans deux écoles primaires, une à Maurice et une à Rodrigues. Selon Steven Obeegadoo, il est aussi envisagé d’étendre cette pratique dans d’autres secteurs de l’éducation : «Pour l’instant, on n’en sait pas plus, je vais laisser les pédagogues faire leur travail.»
Pour sa part, Dev Virahsawmy, fervent militant de la langue créole, nous disait, être «personnellement pour que la langue mauricienne (Ndlr : la langue créole) trouve sa place sur les bancs de l’école.»
Il avait également souhaité que cette langue soit utilisée «très vite» comme médium d’enseignement, dans un premier temps, dans les écoles pré-professionnelles ; il visait ceux ayant échoué au CPE : «Avec ces enfants, il faut tout reprendre à zéro et la meilleure façon, selon moi, est de refaire le programme scolaire dans notre langue maternelle.»
Le créole comme moyen de combattre l’échec scolaire en quelque sorte.
Mais cette thèse est loin de faire l’unanimité dans les milieux de l’enseignement. Vassen Naëck, responsable de la formation initiale des formateurs au ‘Mauritius Institute of Education’ (MIE), Veena Balgobin, conférencière en didactologie à l’Université de Maurice, Kadress Pillay, ancien ministre de l’Éducation, et Mohamad Vayid, consultant, soutiennent qu’il n’y a pas eu d’étude sur le long terme pour venir prouver qu’il y a corrélation entre la non-utilisation du créole à l’école et l’échec scolaire.
Veena Balgobin va plus loin : «L’introduction du créole comme médium d’enseignement défavorisera les enfants en situation d’échec. Ces enfants parlent un créole argot et ont une carence de vocabulaire en ce qu’il s’agit de cette langue. Ils auront à apprendre le créole standard en même temps que l’anglais et le français. Ce sera un fardeau de plus.»
Selon l’experte en didactologie (Ndlr : tout ce qui concerne le système éducatif dans son ensemble), l’insertion du créole dans le programme scolaire s’est révélée un échec aux Seychelles, à Madagascar et au Mali: «Dans ces pays, les enfants apprenaient d’abord en créole, mais à un moment ils devaient basculer vers l’anglais ou le français et ce transfert s’est révélé catastrophique. Ces pays reviennent donc vers leur ancien système d’enseignement avec l’anglais et le français comme médium.»
«Décision superficielle et hâtive»
Une étude scientifique avant l’insertion du créole scolaire. C’est ce que réclame Vassen Naëck : «Le créole comme support d’enseignement est déjà là et personne ne conteste cela, mais l’introduire comme médium d’enseignement est autre chose. D’autant plus que le créole n’est pas la langue maternelle de tous les Mauriciens.»
Vassen Naëck soutient également qu’il faut voir les causes de l’échec scolaire dans leur globalité et non se focaliser sur un seul facteur «même pas prouvé.» Kadress Pillay pense de même. «L’échec scolaire est surtout lié au milieu social et c’est à cela qu’on devrait trouver des solutions au lieu de tout mettre sur le dos de la langue créole.»
Mohamed Vayid est encore plus sévère : «La décision que le non usage du créole à l’école est responsable de l’échec scolaire est superficielle et hâtive car il y a plusieurs facteurs responsables de cet échec. Il y a des enthousiastes de la langue créole qui poussent à la roue et c’est tout à fait normal mais c’est au ministère de l’Éducation de placer cet enjeu dans l’univers plus vaste de l’échec scolaire.»
Il n’y a pas que des voix discordantes au sujet de l’introduction du créole à l’école. Arnaud Carpouran, linguiste qui a participé à la rédaction du rapport Hookoomsigh sur la graphie harmonisée du créole, ‘Grafi-larmoni’, fait partie de ceux qui sont pour.. «Il n’y a pas un seul argument pédagogique valable pour contester cela. Bien sûr il y a des obstacles d’ordre psychologique, sociologique et technologique mais ils ne sont pas insurmontables», dit-il.
Le linguiste demande à ceux qui disent qu’il n’y a pas d’études sérieuses sur l’insertion du créole dans le programme scolaire de débuter ces études au plus vite. «Qu’attendez-vous? C’est aux pédagogues de le faire. Ils sont payés pour cela.»
Arnaud Carpouran retient, en tout cas, qu’il n’y a aucune contestation de ‘Grafi-larmoni’ : «S’il y a consensus, il faut officialiser cette graphie créole. Dans un deuxième temps, on pourra discuter en profondeur de son introduction dans l’enseignement et dans d’autres sphères de la société.»
Sauf que le débat sur l’introduction de la langue créole a déjà commencé et promet d’être de plus en plus chaud.
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Les étudiants du CPE affrontent les examens demain
La tête dans les livres et les jambes qui tremblent. Cependant, pour Anoushka Hannelas, de la ‘Six Repeaters Green’ à l’école Saint Enfant Jésus, qui compose pour la deuxième fois cette année, les examens du CPE - qui débutent demain - ne semblent pas être une épreuve difficile :
«Je me sens normale, c’est la deuxième fois que je vais prendre part aux examens, je vais devoir réussir, surtout en mathématiques, où j’ai failli la dernière fois malheureusement..»
D’un autre côté, Laeticia Soulange, en ‘Standard Six Red’ à l’école Jules Koenig, était un peu tendue à l’approche des examens. Selon sa mère, la petite demoiselle ne se sentait pas trop bien ces derniers temps, ce qui n’empêche pas Laeticia d’être optimiste : «Je pense que je vais bien faire, j’étais un peu stressée ces derniers temps, vu que je travaillais beaucoup, c’est tout».
Selon Vijay Naraidoo, du ministère de l’Éducation, «les candidats aux examens du CPE cette année sont au nombre de 30 621 alors que 4 163 surveillants vont se dévouer afin que tout se passe bien pendant les examens, ce qui est un chiffre plutôt égal à celui de l’année dernière».
Le Mauritius Examinations Syndicate (MES), organisateur des examens, a aussi «fait des démarches pour que les enfants malades puissent prendre part aux examens dans des établissements hospitaliers. Les malvoyants, eux, auront droit soit à des papiers avec de plus gros caractères, soit à des questionnaires complètement en braille pour ceux qui ont une plus grande défaillance visuelle», nous dit Vijay Naraidoo.
Espérons donc qu’Anoushka et Laeticia réussiront, de même que les autres participants qui formeront l’élite de demain.
Le ‘timetable’ pour les examens est comme suit :
Le lundi 11 octobre : Sciences et Français
Le mardi 12 octobre : Histoire et Géographie, langues orientales
Le mercredi 13 octobre : Anglais
Le jeudi 14 octobre : Mathématiques
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Ivan Collendavelloo : «Que le créole soit une matière à part entière»
Ivan Collendavelloo, secrétaire général du MMM, s’étonne «que notre pays soit encore à débattre du médium d’enseignement». Il est d’avis que «le créole est notre langue, quoi qu’en disent quelques pseudo-intellectuels» et que le créole comme simple médium «va poser un problème pratique alors qu’il faudra envisager dès maintenant que le créole soit une langue enseignée et une matière à part entière».
Son collègue, le ministre Anil Gayan, pense que le créole peut être un support pour notre secteur touristique : «Avec l’inclusion des pays de l’Asie, comme la Chine et l’Inde, dans le circuit touristique, il ne faut pas oublier la dimension internationale des langues, et même le créole, qui devront faire partie d’une panoplie de réseaux de communication que nous aurons à offrir en termes de services linguistiques pour rester au diapason de l’évolution de notre tourisme».
Comme la déclaration d’Anil Gayan n’est pas très claire, nous avons demandé à son attachée de presse de lui demander un éclaircissement. Elle nous a dit que le ministre lui avait dicté la réponse et qu’il voulait qu’elle passe telle quelle. Malheureusement pour nos lecteurs, le ministre ne nous a pas donné les moyens de décoder son message.
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Le collège Ste-Marie avisera «en temps et lieu»
L’utilisation du créole à l’école comme médium d’enseignement? Le collège catholique payant Sainte-Marie, qui ouvrira ses portes l’année prochaine, avisera en «temps et lieu.» C’est ce que nous a déclaré le père Hervé de St-Pern, directeur du Bureau de l’Éducation Catholique (BEC). «L’introduction du créole à l’école, on n’en est pas encore là. Pour le moment, le médium d’enseignement au collège Sainte-Marie est l’anglais comme dans tous les collèges publics. L’enseignant pourra, bien sûr, utiliser le créole ou le français comme support pour expliquer certaines choses aux élèves», a-t-il ajouté.