Le président d’honneur du Parti travailliste, sir Satcam Boolell, se dit outragé par la manière toute cavalière dont Tony Blair a traité Paul Bérenger sur la question des Chagos alors que notre Premier ministre était en visite à Londres la semaine dernière.
Q : Sir Satcam Boolell, vous aviez participé aux fameuses négociations de 1965 à Londres. L’excision des Chagos faisait-elle partie d’un troc pour obtenir notre indépendance ?
R : Pendant la conférence de 1965 à Londres, nous étions une colonie et les Britanniques étaient les maîtres du jeu. À la dernière minute des négociations à Londres, lorsque les Britanniques nous ont demandé l’excision des Chagos, on s’est consultés . Tout le monde était d’accord que la demande britannique serait quelque chose d’utile pour l’océan Indien. Les Britanniques n’ont pas voulu accepter la location, car ils avaient besoin de l’archipel pour une période donnée et ils nous avaient promis de nous le retourner dès qu’ils n’en auront plus besoin. Je ne dirais pas que c’était un troc, mais effectivement, l’excision des Chagos était liée à notre indépendance.
Q : Maurice obtenant l’indépendance, les Chagos tombaient automatiquement sous sa responsabilité. Pourquoi avoir ignoré cette réalité ?
R : À cette époque-là, si on avait demandé aux Mauriciens ce que c’étaient les Chagos, ils auraient répondu que c’étaient quelques îles utilisées pour la pêche par des Mauriciens et des Seychellois. Il n’y avait aucune indication, à cette époque, que les Chagos étaient habités et qu’ils avaient une importance militaire et économique. Ayant les mains liées, on a cédé durant les négociations, mais à la condition que toutes les ressources marines - y compris le pétrole si on le découvre - et le droit à la pêche allaient être sous notre contrôle.
Q : Qui avait déterminé l’utilisation de ces îles, et pour combien de temps ?
R : Plus tard, on a appris que les Britanniques avaient un accord avec les Américains sur les Chagos. Pour ce qui est de la durée du bail, cela pouvait être de 150 ans, renouvelable.
Q : Qui faisaient partie de la délégation mauricienne partie pour Londres en 1965 ?
R : Il y avait, comme chef de délégation, sir Seewoosagur Ramgoolam ; puis Razack Mohamed, Jules Koenig, Maurice Paturau, plus d’autres membres du Parti travailliste, de l'Independent Forward Block (IFB) et du Parti Mauricien.
Q : Existait-il un consensus sur l’excision des Chagos ?
R : Bien sûr qu’il y avait consensus sur l’excision. Sauf que la Parti Mauricien voulait louer et non céder à bail les Chagos; mais les Britanniques exigeaient l’excision.
Q : L’île Maurice a fait entendre sa voix quand les Britanniques ont fait voter une loi afin d’empêcher tout pays ayant fait partie du Commonwealth de poursuivre la Grande-Bretagne devant la Cour de La Haye. Vos commentaires ?
R : Il n’est pas nécessaire pour Maurice de quitter le Commonwealth pour aller devant la Cour internationale de La Haye. Je suis d'avis que nous devons saisir cette Cour pour avoir une déclaration forte à l'effet que les Chagos nous appartiennent. Les Britanniques changent de langage en cours de route et ils n’ont jamais été francs, ni honnêtes envers nous sur la question des Chagos. Même le droit exclusif de la pêche nous est renié. Je déplore encore plus l’attitude hautaine et cavalière de Tony Blair (Ndlr : le PM britannique) envers notre Premier ministre la semaine dernière. Cela ne peut être toléré. Tony Blair a manqué du respect à notre pays. Paul Bérenger a raison d’aller de l’avant, car il faut une fois pour toutes régler cette question.
Q : Certains observateurs avancent que Paul Bérenger a été trop vite en besogne en déclarant que Maurice compte saisir la Cour de la Haye, ce qui a ainsi mis la puce à l’oreille des Britanniques. Partagez-vous cet avis ?
R : Je ne sais pas dans quelle situation Paul Bérenger était à Londres au moment où il a fait cette déclaration. Il a pris une décision; peut-être qu’il a raison. On est toujours influencé par les événements autour de nous. Il fallait agir, le Premier ministre a agi.
Q : Le combat des Chagossiens rejoint-il le nôtre ?
R : Les deux combats sont liés. Le fait que les Britanniques ont détaché les Chagos avant notre indépendance veut dire qu’ils acceptent que les Chagossiens sont des sujets de la Reine d’Angleterre. Sont-ils ‘homeless’ ? Je ne le crois pas, car quand les Britanniques ont débarqué les Chagossiens à Maurice, le gouvernement travailliste mauricien et, plus tard, celui dirigé par le MMM, ont accepté que les Britanniques paient une compensation aux Chagossiens tout en faisant bien comprendre que Maurice a fait provision pour loger cette population chez nous. Je dois souligner une chose importante concernant le retour des Chagossiens dans leur île : le gouvernement MMM/PSM a eu tort de signer un document, le 7 juillet 1982, dans lequel il accepte que les Chagossiens doivent être logés chez nous et que ces derniers abandonnent leur droit de retour. Le MMM a toujours tendance à tout mettre sur le dos des Travaillistes.
Q : Passons à un autre sujet. Vous êtes bien placé pour expliquer les circonstances qui ont mené à la signature du Protocole sucre. Comment est-il né ?
R : Le Protocole sucre est pour une période indéfinie et garantit le prix. Tout a marché très bien; puis, soudain, on est venu dire qu’il y a une politique agricole commune. Les Européens ont découvert que le sucre coûtait trop cher quand ils ont eu assez de sucre eux-mêmes pour se passer de nous. Quand l’accord avait été signé en 1975, le prix de sucre avait flambé sur le marché mondial. Il n’y avait pas suffisamment de sucre et les gens cherchaient cette denrée comme des fous. C’était la panique et les Anglais avaient alors supplié les pays du Commonwealth de leur fournir leur sucre et avaient accepté de signer le protocole. À cette époque-là, les Britanniques et Tate & Lyle avaient besoin de nous, mais aujourd’hui, il semble qu’ils ont les pays de l’Europe de l’Est pour leur fournir leur sucre. C’est malhonnête de la part des Européens et surtout de Bruxelles d’agir de la sorte. La question du Protocole sucre est beaucoup plus grave que celle des Chagos.
Q : Faut-il, comme l’a souhaité Navin Ramgoolam, qu’il y ait consensus entre l’Opposition et le gouvernement sur le Protocole sucre ?
R : Le gouvernement ne va pas consulter l’Opposition sur la question du Protocole sucre. Il pense qu’il peut tout faire seul. Malgré tout le respect que j’ai pour Pravind Jugnauth et Nando Bodha je dois dire qu'il leur manque cette expérience pour négocier. À quoi cela sert-il d’aller à la rencontre d’un ministre de l’Agriculture ? Le pouvoir se trouve entre les mains du Commissaire et du Parlement européen. Le lobby doit se faire à ces niveaux-là.
Q : Un autre sujet encore. Paul Bérenger a annoncé sa ‘winning formula’ avec un partage du pouvoir entre lui et Pravind Jugnauth si l’alliance MSM/MMM remporte les législatives de 2005. Il a également annoncé qu’il ne prendrait pas le chemin du Réduit en 2008, mais qu'il conserverait le leadership du MMM pour « préparer l’après-Bérenger au sein de son parti ». Quel commentaire cela vous inspire-t-il ?
R : Moi, je suis toujours contre le système à l’israélienne. On veut perpétuer ce système avec une minorité à la tête du pays. Pour la stabilité politique, c’est dangereux. Si un Premier ministre arrive au pouvoir, qu’il exerce son mandat durant les cinq ans. On ne peut demander au peuple de voter pour deux Premiers ministres. Avec le précédent créé en septembre 2000, certains diront qu’il faut un Premier ministre de la population générale et un autre musulman. On divise le pays avec cette formule à l’israélienne. Pour ce qui est de la ‘winning formula’, qui c’est qui veut d’une ‘losing formula’ ?
Q : Lors d’un récent congrès, Navin Ramgoolam a déclaré que le pouvoir devait être entre les mains de la majorité. Est-ce du communalisme déguisé ?
R : C’est normal que le pouvoir soit entre les mains de la majorité du pays. Prenez l’exemple de l’Angleterre : peut-on imaginer qu’un noir ou un asiatique devienne Premier ministre ? Chacun croit dans sa race. À Maurice, c’est toujours la majorité qui forme le gouvernement, c’est-à-dire que c’est la majorité qui prend le poste de Premier ministre au sein d’un Conseil des ministres où toutes les composantes de la nation sont représentées. La déclaration de Navin Ramgoolam n’est pas hypocrite.