Susheela Raman
C’est une histoire qui n’en finit pas. Il y a eu plusieurs réactions tout au long de la semaine concernant ce qu’on pourrait appeler «l’épisode Susheela Raman». L’artiste de World Music a donné un concert sold out, le samedi 26 mai, à l’invitation de la firme Immedia. C’est pendant le show que le public a été informé, par l’artiste elle-même, qu’elle n’avait eu le droit d’interpréter les chansons Paal et Ennapane – issues de son album Vel –, celles-ci contenant l’appellation du dieu Muruga. Susheela Raman devait alors demander au public d’observer une minute de silence et d’ajouter que «some tamil groups have objected to us singing Paal». Elle a aussi exprimé son mécontentement sur sa page Facebook. Sur cette même page, nous avons appris qu’un sponsor local s’est même dissocié de l’événement quelques jours après le concert.
Du côté d’Immedia, le directeur Rama Poonoosamy se refuse toujours à tout commentaire, disant qu’il s’expliquera dans le courant de la semaine. Par contre, le ministre des Arts et de la Culture a commenté l’affaire à deux reprises. Mercredi dernier, lors du vernissage du Salon de mai au MGI, il devait déclarer que l’artiste n’aurait pas dû être censurée. Or, vendredi, sa position a changé lors d’une conférence de presse pour laquelle il était accompagné des membres du Mauritius Tamil Centre Trust Fund et de la Tamil Speaking Union. «Nous respectons Susheela Raman, mais les chansons ne font pas l’unanimité parmi la communauté tamoule. J’ai vu personellement ses vidéos sur YouTube (…) Je suis d’accord avec la communauté tamoule (…) Quand un artiste de l’étranger vient se produire chez nous, il faut voir à ce qu’elle ne touche pas les susceptibilités d’une communauté», a déclaré Mookeshwar Choonee
Dangereux pour l’art et l’esprit critique
Le même jour, une plate-forme citoyenne, composée entre autres de Rudy Veeramundar, de Clency Lajoie et de Rajen Valayden, de l’association Right to Live, a exprimé son mécontentement face à cette censure, arguant que les associations socioculturelles sont une menace pour le pays. «Il faut briser ce silence assourdissant. Elles prennent en otage différentes instances du pouvoir», a souligné Rajen Valayden. La plate-forme a annoncé une série de débats sur le sujet dans les collèges et à l’université de Maurice, et prévoit plusieurs consultations avec les partis politiques.
La requête pour la censure des chansons est venue de la Mauritius Tamil Temples Federation. Son président, Menon Murday, s’explique : «La musique n’a pas de frontières. Même dans les mariages, nous ne chantons pas ces chants. Ils sont strictement réservés aux kovils. Sinon, on va se retrouver avec des chants pieux même dans les discothèques. Rama Poonoosamy l’a bien pris quand nous lui avons fait la requête, lui aussi étant tamoul.»
Toute l’affaire a fait des mécontents parmi ceux qui aiment beaucoup la chanteuse. Le producteur Percy Yip Tong connaît très bien Susheela Raman, qu’il a rencontrée lors du premier voyage de la chanteuse à l’île Maurice, il y a quelques années. «J’ai envoyé une lettre à la chanteuse où je lui ai fait part de mon soutien et avoué mon mécontentement (…) Si un organisme veut interdire ou qu’il est contre la venue d’un artiste, qu’il fasse un communiqué ou une conférence de presse pour ouvrir un débat», avance Percy Yip Tong.
L’homme de loi Nilen Vencadasmy, d’origine tamoule, est tout aussi remonté : «Elle a chanté ces fameux morceaux partout, même au Tamil Naidu, sans aucun problème de censure. C’est inacceptable qu’ici, il y ait eu une censure.»
Stephan Gua, membre du groupe Etaé, formation qui devait faire un échange musical avec la chanteuse (il n’a finalement pas eu lieu), trouve que «l’art titille les sensibilités, remet les choses en question. N’oublions pas aussi et surtout que nous avons la liberté d’écouter ET de ne pas écouter. Ce qui s’est passé est dangereux pour l’art et l’esprit critique».