IL existe donc à Maurice un ministre payé des fonds publics qui organise une conférence de presse en s’entourant des membres d’associations socioculturelles. Il existe donc à Maurice un haut représentant des Arts et de la Culture qui dit oui à la censure d’une œuvre artistique, pour paraît-il, une question de susceptibilité religieuse. Il existe donc dans notre République Mookesshwar Choonee, un homme capable de faire une volte-face de sa propre opinion en 48 heures. Mercredi, il s’érigeait en défenseur de Susheela Raman : «L’organisateur est allé trop loin ; Ti bisin laisse artis la perform. (..) ou pas sansir ene konser. Quand une artiste de renom est là, il est de notre devoir de l’accueillir comme il se doit. Au final, nous avons contribué à la notoriété de Susheela Raman. Après cela, nous sommes allés regarder sur You Tube.» Après avoir prononcé ces paroles, Choonee a été capable de dire ça vendredi après-midi : «Je donne raison aux camarades des associations socioculturelles pour leur prise de position. Ces deux chansons ne font pas l’unanimité parmi la communauté tamoule. J’ai personnellement regardé sur You Tube et j’ai constaté ce que ces personnes revendiquent. Je suis entièrement d’accord avec elles.»
L’on notera en passant que mercredi dernier, le ministre avait aussi été voir sur You Tube (qui échappe, Dieu nous en garde, au contrôle du gouvernement mauricien). Mais il n’avait rien trouvé à redire. Cédant aux pressions ensuite – ayant été rappelé à l’ordre ? – Choonee a donc décidé d’ajouter sa voix à celles d’autres censeurs qui se permettent aujourd’hui de salir la réputation d’une grande artiste.
La censure imposée à Susheela Raman qui a dû rappeler que la chanson Paal a non seulement nécessité dix ans de recherche, mais a même été interprétée au Tamil Nadu ne blesse pas seulement cette grande dame de la World Music. Elle blesse aussi les enfants de la République de Maurice, dont quelques centaines, qui croient en Muruga, en d’autres dieux ou qui ne croient pas au ciel, qui ont acheté leurs billets, et qui ont fait le choix d’aller à ce concert en connaissance de cause pour écouter en live l’album Vel dont le titre d’ailleurs est directement lié au symbole de la lance, associé au dieu Muruga. Et ces Mauriciens-là, ont découvert, au beau milieu du spectacle, que deux chansons-phares manqueraient à l’appel. Alors que quatre autres, tout aussi des devotional murugan songs pourtant (sharavana, muthu kumar, vel undu marudumalai) ont été interprétées. Allez comprendre.
Comment les responsables d’Immedia, agence qui a toujours eu bonne réputation, œuvrant pour la promotion des artistes, en sont arrivés là ? Comment le directeur d’Immedia avec le riche passé qu’on lui connaît, a pu danser sur l’air choisi par quelques membres d’organisations socioculturelles ? Difficile de croire aux explications du président de la Mauritius Tamil Temples Federation qui a déclaré que «Rama Poonoosamy a compris car il ne faut pas oublier qu’il est d’abord tamoul.» En attendant une version officielle d’Immedia, qui adopte une troublante position, faisant attendre plus d’une semaine pour des explications prévues cette fois pour mercredi prochain, l’on ne peut que s’interroger : est-ce que les organisateurs ont cru pouvoir secrètement avoir recours aux ciseaux d’Anastasie sans que les Mauriciens ne le sachent ? Ont-ils pensé que Susheela Raman, dont il faut saluer ici l’attitude professionnelle (consentir au show tout en donnant un résonnant écho à sa Mauritian version) allait passer sous silence cette interdiction ? Est-ce que les responsables d’Immedia ont donné foi aux raisonnements surréalistes de certains porte-drapeaux autoproclamés estimant que les expressions corporelles de Susheela Raman dénigrent une communauté ? Une grande artiste a été humiliée chez nous. Encore une fois les lobbys religieux ont gagné. Et les enfants de la République qui voient dans les interprétations de Susheela Raman la richesse de l’interculturel, les valeurs du vivre ensemble, le respect du prochain, l’ouverture d’une communauté à une autre, sont frappés en plein coeur.