Le manager du MTC déplore le manque de discipline sur nos routes.
Le monde du cyclisme pleure la disparition de l’un des siens, qui a été fauché par un chauffeur sous l’influence de l’alcool. Un de ceux qui ont assisté au drame, revient sur cet accident qui a également fait plusieurs blessés.
«Cela aurait pu être moi.» Cette phrase, Benoît Halbwachs ne cesse de le répéter. Il a le sentiment qu’il l’a échappé belle et qu’il revient de loin. De très loin même. Mais l’enfer qu’il a vécu, même le temps ne suffira pas pour l’effacer. «Le temps ne fera qu’apaiser l’enfer dont j’ai été témoin. Je me dis sans arrêt que cela aurait pu être moi ou quelqu’un d’autre qui faisait partie du peloton», confie Benoît Halbwachs, le manager du Mauritius Turf Club, encore sous l’effet du choc. Pour cause : il a été témoin de l’accident tragique qui a coûté la vie au cycliste Jérôme Tennant, âgé de 39 ans, le jeudi 10 mai, aux alentours de 18 heures à Nouvelle-France.
Benoît Halbwachs, un passionné de la petite reine, faisait lui aussi partie du peloton de cyclistes qui rentraient chez eux, à Curepipe, après quelques heures d’entraînement sur les routes quand l’accident s’est produit (voir les circonstances de l’accident en hors-texte). Les images de cette tragédie resteront à jamais gravées dans sa mémoire. «On était environ 20 coureurs. Il y avait un premier groupe à l’avant et un deuxième qui suivait derrière. Jérôme était dans le premier groupe et moi dans le deuxième. À la hauteur du rond-point de Nouvelle-France, le premier groupe qui roulait en file indienne a été heurté de plein fouet par une voiture, projetant tous les coureurs à terre», raconte Benoît Halbwachs, ému.
C’est une vraie scène d’horreur qui se déroule sous les yeux des témoins. L’impact est tel que Jérôme Tennant est projeté sur le dôme de la voiture. Mais le conducteur du véhicule, un certain Dhiraj Taukooree, qui était ivre au moment des faits, continue sa course meurtrière. Il ne se serait même pas rendu compte qu’un homme avait atterri sur sa voiture. Après quelques centaines de mètres, réalisant ce qui se passait, il arrête sa voiture, abandonne Jérôme Tennant, agonisant sur le dôme, avant de prendre la fuite à bord de la voiture de son cousin, Atish Taukooree, qui le suivait.
«Mes amis et moi avons accourus pour porter secours aux accidentés. Ils gisaient aux côtés de leurs vélos complètement endommagés. Nous nous sommes alors rendu compte qu’il manquait Jérôme. C’est là qu’on l’a vu sur le dôme d’une voiture qui s’était arrêtée à environ 300 mètres du lieu de l’impact», relate Benoît Halbwachs. Ses camarades et lui se précipitent pour aider le jeune homme mais il est déjà trop tard : il avait rendu l’âme.
«Automobilistes irresponsables»
Passionné de vélo et surtout connu dans le monde hippique – il est propriétaire de chevaux qui ont remporté plusieurs courses –, Jérôme Tennant laisse derrière lui sa femme Angélique et leur fille âgée de trois semaines seulement. Ainsi que beaucoup de proches affligés par cette perte soudaine. Pour ses camarades du cyclisme, l’absence se fera surtout ressentir lors des séances d’entraînement. Benoît Halbwachs ne dira pas le contraire. «Jérôme était avant tout un ami avec qui j’avais l’habitude de courir les mardis et les jeudis. Cela fait trois ans déjà qu’on s’est croisés, et ce, grâce au cyclisme. Je suis très bouleversé par sa disparition. Je suis aussi très inquiet pour David Bathfield qui est grièvement blessé. »
Secoué par cette tragédie qui semble tout droit sortie d’un film d’horreur, Benoît Halbwachs se dit révolté par le manque de discipline qui règne sur nos routes. «Les cyclistes, étant déjà vulnérables à vélo, le sont davantage à cause des automobilistes irresponsables. C’est l’indiscipline et le manque de respect qu’il y a sur les routes qui causent les accidents. Le cas de Jérôme en témoigne. Il faut que les sanctions soient plus sévères envers les automobilistes qui ne respectent pas les lois. Conduite en état d’ivresse, excès de vitesse, entre autres, trop, c’est trop», se révolte-t-il.
Yannick Lincoln, qu’on ne présente plus dans le domaine du cyclisme à Maurice, est également sous le choc de cette disparition et montre du doigt l’insécurité sur nos routes. «C’est un cas de trop. Le cyclisme est une discipline à laquelle les jeunes s’intéressent de plus en plus. Chaque année, environ 100 personnes se joignent à des clubs. Mais il n’y a pas une seule infrastructure à Maurice où ils peuvent s’entraîner en toute sécurité. J’ai l’impression que le cyclisme est l’enfant pauvre du sport dans l’île. Pour l’athlétisme, il y a les stades, idem pour le foot, le volley, entre autres. Mais rien pour le cyclisme. Je me demande si on doit uniquement rouler dans les champs de cannes», s’insurge-t-il.
Pour lui, la solution existe mais c’est aux autorités de faire en sorte qu’elle devienne réalité : «Un vélodrome serait le bienvenu même s’il ne résoudra pas tous les problèmes. Au moins, les jeunes cyclistes pourraient évoluer en toute sécurité. Mais il y aura toujours des cyclistes sur les routes, il faut donc aussi miser sur la conscientisation. Ce qui est arrivé à Jérôme est malheureux. C’était un ami que j’avais l’habitude de côtoyer. D’ailleurs, mes parents sont dans le même vélo club que lui. C’est très dur.»
Caroline Leblanc, présidente du Vélo Club des Jeunes Cyclistes de Curepipe (VCJCC), où évoluait Jérôme Tennant, est également très touchée par cette mort tragique. Elle parle de lui comme quelqu’un de très sympathique. «C’était quelqu’un qui affichait toujours un grand sourire, quelqu’un sur qui on pouvait compter. Il ne faisait pas de compétition mais encadrait les jeunes cyclistes, dont mon fils. C’est une très grande perte pour nous», souligne Caroline Leblanc.
Pour rendre hommage à Jérôme Tennant, une course intitulée The CIM Run, Ride, Walk for Charity, qui a lieu aujourd’hui pour venir en aide aux enfants inopérables à Maurice, sera dédiée à sa mémoire. La course se déroulera dans le Nord et passera par Poudre-d’Or, Bras-D’eau, entre autres. Les cyclistes observeront une minute de silence à Roches-Noires où vivent les parents de Jérôme Tennant, avant de se rendre à Mon-Choisy.
Et si seulement… si seulement ce chauffeur, détenteur d’un simple Learner’s Licence, ne s’était pas trouvé sur la route en ce jeudi après-midi, Jérôme Tennant serait sans nul doute, à l’heure qu’il est, aux côtés de sa famille, savourant la joie d’être père pour la première fois. Hélas, sa fille qui a vu le jour il y a tout juste trois semaines est condamnée à grandir sans l’amour de son père. Tant de souffrances, tant de larmes versées à cause d’un chauffeur ivre.
Dhiraj Taukooree reconnaît qu’il était sous l’influence de l’alcool
«Mo ti bwar impé.» Ce sont les mots prononcés par Dhiraj Taukooree sur une radio privée au lendemain de l’accident meurtrier qui a coûté la vie à Jérôme Tennant. Mais qui est donc ce Dhiraj Taukooree ? Comment cet habitant de L’Espérance, Quartier Militaire, s’est-il retrouvé au cœur de ce tragique accident ?
Dans sa déclaration au poste de police de Nouvelle-France, faite le vendredi 11 mai, il a expliqué dans les détails son itinéraire du jeudi 10 mai, soit le jour de l’accident. Il a raconté aux policiers qu’il s’était rendu à Gris-Gris à bord d’une voiture qu’il venait d’acheter sur «papier blanc» et qui n’avait donc pas de déclaration, en compagnie de son cousin Atish Taukooree, lui aussi un habitant de Quartier-Militaire, qui se trouvait dans une autre voiture. Là-bas, a-t-il déclaré, il a consommé de l’alcool avant de prendre le chemin du retour.
Il a reconnu avoir heurté de plein fouet les cyclistes à la hauteur du rond-point de Nouvelle France, avant d’abandonner sa voiture. Certains témoins de l’accident ont expliqué à la police que Dhiraj Taukooree aurait tenté de doubler un autre véhicule qui dépassait le groupe de cyclistes que lui n’aurait pas vus. C’est ainsi qu’il les aurait percutés de plein fouet.
Après l’accident, il est entré dans la voiture de son cousin Atish qui le suivait et les deux ont pris la fuite. Direction, Quartier-Militaire d’où Dhiraj Taukooree a appelé son avocat, Me Utam Hurnauth. Sur les conseils de celui-ci, les deux hommes se sont constitués prisonniers au poste de police de Nouvelle-France le lendemain matin. Et lorsqu’on lui a demandé de présenter son permis, Dhiraj Taukooree a déclaré qu’il n’était détenteur que d’un Learner’s Licence.
Une charge provisoire d’homicide involontaire a été retenue contre lui tandis que son cousin fait, lui, l’objet d’une accusation de non-assistance à personne en danger. La police a objecté à leur remise en liberté conditionnelle. Par ailleurs, l’alcotest pratiqué sur Dhiraj Taukooree s’est révélé positif, soit dix-sept heures après que l’accident s’est produit, aux dires de son avocat. On apprend également, d’une source proche de lui, qu’il était déjà en liberté conditionnelle pour une affaire de vol.
Séparé de son épouse, Dhiraj Taukooree aurait sombré dans l’alcool. Père de trois enfants, ce soudeur de profession serait réputé dans sa localité pour son penchant pour la bouteille. Depuis l’accident, les langues se délient, affirmant que c’est pour cette raison que son épouse aurait déserté le toit familial avec ses enfants.
David Bathfield et Philippe Colin grièvement blessés
Le «Groupe des Tontons», qui regroupe des amoureux du vélo, est sous le choc. Ses membres ont perdu l’un des leurs, Jérôme Tennant, tragiquement alors que deux autres sont toujours hospitalisés dans un état grave. Philippe Colin, 31 ans, cycliste professionnel, souffrirait d’une fracture de la clavicule, et David Bathfield, 59 ans, ancien footballeur de la sélection nationale, est lui dans le coma depuis l’accident. Souffrant de multiples fractures, il se trouve à l’Intensive Care Unit de la clinique Fortis Darné. D’autres cyclistes du groupe s’en sont sortis avec des blessures sans gravité.