Rico et Ginette Nankoo
Christopher
Perdre son enfant est terrible et quand celui-ci a choisi lui-même de se donner la mort, la douleur se mêle à l’incompréhension, la culpabilité... Des parents dont les enfants se sont suicidés racontent leur calvaire.
Les Nankoo : «Nous sommes orphelins depuis que Christopher nous a quittés»
Il est au centre de toutes leurs conversations. Même les plus banales. Difficile pour Rico et Ginette Nankoo d’en faire autrement, même si leur «petit ange» Christopher ne fait plus partie de ce monde. Le 2 avril, cela a fait deux ans, jour pour jour, depuis que ce dernier a quitté les siens.
Cette disparition, ses parents ne l’ont toujours pas surmontée. Ils ne le pourront sans doute jamais. Deux ans après, ils n’arrivent toujours pas à comprendre le geste désespéré de leur enfant. Le 25 décembre 2009, Christopher, 18 ans, devait franchir un cap important dans sa vie. Mais il a commis l’irréparable la veille.
«Il allait se fiancer le 25 décembre 2009. Mais la veille, soit le 24, alors que les préparatifs allaient bon train, Christopher a ingurgité beaucoup de comprimés. On l’a découvert inconscient dans la maison. Il a passé trois mois aux soins intensifs de l’hôpital Jeetoo avant de mourir. Il a beaucoup souffert. En trois mois, il avait perdu beaucoup de kilos. Je le voyais mourir sous mes yeux, impuissante», explique Ginette qui ne trouve le courage qu’aujourd’hui de parler de ce drame.
À l’âge de 14 ans, Christopher avait fait une première tentative de suicide. «Un jour, il ne s’était pas rendu à l’école et je l’avais appris par un cousin. En rentrant à la maison, il avait peur d’être grondé. Il s’est jeté du premier étage de notre maison. Il s’en était sorti avec une foulure au pied», explique Rico Nankoo.
Ginette, quant à elle, dit puiser sa force dans la prière, la messe du dimanche et le soutien des amis de son fils et des membres de sa famille. Mais leur enfant unique leur manquera à jamais. «Pour nous, c’est comme si Christopher était sorti faire un tour et allait rentrer d’un moment à l’autre. C’est difficile d’accepter qu’il n’est plus là. Pourtant, tout ce qu’on faisait, tous nos projets, étaient pour lui. Sa maison était déjà en construction. Depuis sa mort, nous n’avons pas complété la construction, par manque de courage. Notre existence s’est en quelque sorte arrêtée», témoigne le couple Nankoo.
Pour eux, leur fils était un jeune homme rempli de vie, mais qui demandait énormément d’attention. «Il était très jaloux et très possessif aussi. Mais il ne s’exprimait pas. Il refoulait tous ses sentiments au fond de lui-même», avancent Ginette et Rico. Aujourd’hui, c’est un sentiment d’échec qui les habite. «Quelque part, nous avons échoué dans notre mission de parents. Car on faisait tout pour lui. Peut-être que nous ne l’avons pas suffisamment laissé se débrouiller par lui-même. C’est ce que je me dis aussi quand je pense à tout cela», fait ressortir Ginette.
Pour elle, les récents cas de suicide chez les jeunes l’interpellent et elle ne peut rester insensible devant l’ampleur de la situation. «Les jeunes n’ont plus de repères dans la vie. Le suicide est devenu trop facile alors que ce n’est pas la solution aux problèmes. Ils sont en manque d’amour mais ne savent pas comment et où le chercher. Moi, si j’ai un conseil à donner à la nouvelle génération, c’est de faire confiance à leurs parents. Si un enfant n’a pas confiance en ses parents, il ou elle ne se sentira pas en sécurité. Les jeunes doivent se laisser guider, aider car ils doivent savoir qu’ils ne peuvent pas tout résoudre tout seuls.»
Pour se consoler, les Nankoo évoquent les bons souvenirs de leur vie aux côtés de Christopher. Des photos de ce dernier sont d’ailleurs exposées un peu partout dans la maison familiale. Et pour être encore plus proche de lui, c’est sur sa tombe que Ginette et Rico vont se recueillir
chaque dimanche après la messe dominicale.
Robert Ménélasse
«La communication verbale n’existe plus entre parents et enfants»
Il y a deux semaines, le jeudi 5 avril, sa belle-fille Adria Aunhachee, 14 ans, s’est jetée du troisième étage de l’immeuble où elle vivait avec sa mère et lui à Rose-Hill. Un drame que ces derniers n’arrivent pas à comprendre. Depuis la disparition de cette dernière, sa mère Sunita ne vit presque plus, tant sa douleur est profonde.
«Elle n’a pas encore repris le boulot. Il lui faudra encore un peu de temps. Quant à moi j’ai repris le travail il y a quelques jours, en essayant de chasser ces mauvais souvenirs de ma tête mais c’est presque impossible», explique Robert Ménélasse, la voix cassée par le chagrin. Le dernier suicide d’adolescente en date, celui de Meenakshi, Robert en a entendu parler dans les médias. Ce qui ne l’a pas laissé insensible. S’il a un conseil à donner aux jeunes pour qu’ils ne commettent pas l’irréparable, ce sera qu’ils communiquent mieux avec leurs parents.
«De nos jours, la technologie a envahi l’espace des jeunes. Ils ne jurent que par les chats, les sites tels que Facebook, entre autres. Ils ne dialoguent plus avec leurs parents et s’isolent derrière leurs écrans. La communication verbale n’existe plus entre parents et enfants. Les jeunes n’ont plus de vie sociale, n’ont plus de discussions franches avec leur entourage et essaient de régler leurs soucis par eux-mêmes, souvent en allant chercher de l’aide via des amis virtuels sur Internet. Ceux-ci ne sont pas toujours de bons conseillers», souligne notre interlocuteur.
Il ne souhaite qu’une chose à la jeunesse de Maurice : «De trouver le bonheur et d’être heureuse car le suicide n’est pas la solution. »
Bhushan Jagoobarah, 11 ans :
La plus jeune victime
Il avait toute la vie devant lui. Mais Bhushan Jagoobarah, 11 ans, a quand même choisi de ne plus exister au matin du 24 janvier 2012. Son corps avait été retrouvé suspendu à un arbre à l’arrière de son domicile. L’existence de ce garçonnet était faite de petits malheurs dès son jeune âge. Et pour cause, la maison familiale dans laquelle il vivait à Goodlands a connu deux incendies. Par la suite, sa famille a trouvé refuge chez des proches à Plaine-des-Roches. Entre-temps, son père qui faisait les travaux de reconstruction dans leur maison à Goodlands a été victime d’un meurtre l’année dernière. Depuis, le petit ne s’en était pas remis. D’ailleurs, aux examens du CPE de l’année dernière, il était le seul à avoir échoué. Après la mort de son père, c’est lui qui agissait en tant que l’homme de la maison, prenant soin de ses quatre frères et sœurs en bas âge quand sa mère partait travailler tôt le matin. Sa famille pleure toujours sa disparition.
Deux autres cas en 24 heures
Les faits parlent d’eux-mêmes. Le suicide est un problème de société qui gagne du terrain à Maurice depuis le début de l’année. Pas plus tard que vendredi soir, un jeune homme de 19 ans, maçon de son état, a tenté de se donner la mort par pendaison. Pour commettre son geste de désespoir, il s’est servi d’une corde qu’il a attachée à une branche sur la plage publique de Bain-Bœuf. Tout porte à croire que la branche a cédé et qu’il s’est retrouvé au sol. Il a été transporté à l’hôpital Jeetoo où il est admis aux soins intensifs. À l’heure où nous mettions sous presse, son état de santé inspirait de vives inquiétudes. Ses parents ont été entendus par les enquêteurs afin de connaître les motifs derrière son acte.
Ashif Beeharry, un habitant de la route Hugnin, à Rose-Hill, s’est lui aussi donné la mort par pendaison. Le corps sans vie de cet homme de 31 ans a été découvert le vendredi 19 avril aux alentours de 5 heures du matin, suspendu à un arbre. Le Dr Baichoo, Police Medical Officer, a attribué le décès à une asphyxie due à la strangulation. Les proches de la victime seront entendus par les enquêteurs pour faire la lumière
sur cette affaire.