Pamela, sous le choc, ne croit toujours pas que son mari n’est plus.
La collision entre le poids lourd, la camionnette et une voiture a été d’une rare violence.
Le nombre de morts dans des accidents de la route s’est allongé hier après-midi avec deux morts et des blessés à Sorèze. Parmi les décédés, Clifford Lascarie, un père de sept enfants qui avait survécu à un naufrage en 2004.
Il avait échappé à la mort une première fois. Sept ans plus tard, celle-ci l’a rattrapé de manière tragique. Hier, samedi 31 mars, en début d’après-midi, Clifford Lascarie a péri dans un terrible accident de la route à Sorèze. Il était au volant d’un poids lourd qui transportait des produits frigorifiés, qui est entré en collision avec une autre camionnette et une voiture (voir les circonstances de l’accident en hors texte).
Le bilan s’élevait, à l’heure où nous mettions sous presse, à deux morts et cinq blessés dont l’un était toujours en soins intensifs à l’Apollo Bramwell Hospital, à Moka. La nouvelle n’a pas tardé à se répandre comme une traînée de poudre à cité Roche-Bois où vivait la victime. Sa femme Pamela a eu le choc de sa vie en l’apprenant.
Assise dans sa modeste demeure, complètement anéantie, la veuve a du mal à réaliser qu’elle a perdu à jamais celui avec qui elle a partagé 27 années de vie commune et eu sept enfants dont le dernier a 4 ans. «J’ai du mal à croire que Clifford s’en est allé. J’étais assise dans mon salon quand quelques habitants du quartier, qui ont entendu la nouvelle à la radio, sont venus nous annoncer la terrible nouvelle. Je ne voulais pas y croire. J’ai alors demandé à mon fils aîné de se rendre à l’hôpital Jeetoo pour vérifier si c’était vrai. Hélas, c’était bel et bien la vérité. Depuis, c’est l’horreur pour mes sept enfants et moi», pleure Pamela, tenant contre elle son benjamin.
Ce matin-là, Clifford Lascarie s’est réveillé vers 05h30. Il a pris son petit déjeuner avant de remettre un billet de Rs 100 à sa femme afin qu’elle puisse acheter de quoi manger pour la famille. «Il m’a embrassée avant de partir et m’a dit qu’il rentrerait vers 13 heures, comme chaque samedi, pour le déjeuner. Je pense que c’est au moment où il rentrait que l’accident a eu lieu. C’est un véritable choc», murmure Pamela, avant de fondre en larmes.
En 27 ans de mariage, son couple a connu bien des hauts et des bas mais a toujours tenu le coup. «Avec sept enfants, ce n’était pas toujours évident de s’en sortir d’autant que nous sommes pauvres. Mais Clifford faisait tout son possible pour nourrir sa famille. Il travaillait dur. Moi, je m’occupais de la maison et des enfants», confie Pamela, entourées de tous ses enfants. Tous terriblement affligés.
Au-delà de la terrible tristesse d’avoir perdu son époux, elle se demande maintenant comment elle fera pour nourrir ses enfants dont quatre – âgés de 17, 14, 11 et 4 ans – sont encore à l’école. «Je compte sur mes fils aînés pour m’aider financièrement afin que les quatre autres puissent continuer d’aller à l’école.»
Pamela Lascarie, vêtue de noir, ne peut s’empêcher de repenser au drame que son mari avait vécu en 2004. Le bateau sur lequel Clifford Lascarie travaillait comme marin-pêcheur avait dérivé pendant cinq jours en mer. Son ami et beau-frère Catley Allas se trouvait avec lui. Le 2 février 2004, 5-Plus dimanche avait même fait sa une avec cette histoire. Les deux avaient pu survivre grâce à l’eau de pluie et des poissons et avaient retrouvé leur route en suivant le mouvement des oiseaux. Finalement, ils avaient pu regagner l’île Raphaël, à St Brandon. Clifford Lascarie nous avait alors déclaré : «Dieu nous a aidés à nous en sortir.»
À l’époque, il venait d’être embauché par la compagnie Raphael Fishing Ltd et disait qu’il allait attendre environ deux semaines avant de reprendre la mer. De son côté, Pamela souhaitait que son mari abandonne ce métier. «Je ne veux plus qu’il continue son métier de pêcheur, je suis passée par des moments difficiles durant les cinq jours de sa disparition et je ne veux pas revivre ce cauchemar», avait-elle déclaré à 5-Plus dimanche. Finalement, il était revenu sur sa décision.
«Il avait compris le calvaire que j’avais vécu. Il a recommencé à faire des petits boulots ici et là. Puis, il a appris à conduire. Quand il a eu son permis de voiture, il a fait une demande pour celui de chauffeur de poids lourds. L’année dernière, il a pu réaliser ce rêve. Cela fait un an déjà qu’il fait ce métier», confie Pamela.
Elle décrit son époux comme quelqu’un de «tranquille» : «Parfois il buvait quelques verres à la maison. Mais la plupart du temps, il restait devant la télévision.»
Maintenant que son époux est parti pour toujours, après avoir échappé à la mort une première fois, Pamela sait que la douleur sera difficile à surmonter mais elle s’efforcera de trouver la force pour offrir une vie décente à ses enfants.
Le drame
Le terrible accident de la route qui a eu lieu à Sorèze hier et a mis tout le pays en émoi se serait produit à cause des freins défectueux du camion que conduisait Clifford Lascarie. C’est le premier constat des enquêteurs.
Le camion se dirigeait vers Port-Louis lorsque l’irréparable s’est produit. Le trailer, qui fait 40 pieds de long et transportait un container de produits frigorifiés, aurait dérapé à hauteur de Sorèze et balayé une camionnette devant lui qui, à son tour, a heurté une autre voiture.
C’est toutefois à la fin de l’enquête policière qu’on connaîtra les causes exactes de cet accident qui s’est produit vers 12h45 et qui a bloqué l’autoroute pendant environ six heures. La situation est retournée à la normale vers 18 heures. Au préalable, d’autres camions ont été mandés sur place pour ramasser le contenu du container qui sera détruit.
Jacques Bhigon, helper dans le poids lourd : «J’ai vu la mort en face…»
Il l’a échappé belle. Jacques Bhigon, 53 ans, se trouvait dans le poids lourd au moment de l’accident. «J’ai vu la mort en face», dit-il, sous le choc. De son lit d’hôpital à Candos, la jambe droite fracturée, une minerve au cou, cet habitant de La Butte, père de deux fils, n’arrête pas de remercier le ciel : «Je suis chanceux d’être encore en vie.»
Cet employé de la compagnie Innodis depuis 33 ans dit avoir vécu un véritable cauchemar : «Le poids lourd de 40 pieds dans lequel je me trouvais revenait de Beau-Climat où il avait été récupérer du poulet de Mauritius Farm. Je me trouvais à côté du chauffeur et on se dirigeait vers Roche-Bois pour y déposer notre cargaison.»
À hauteur du rond-point de Nouvelle-France, le helper a remarqué, dit-il, qu’il y avait un problème : «Le chauffeur était tracassé par quelque chose car il a commencé à ralentir. Pendant tout le trajet, il y avait une grande tension dans la cabine car il n’arrêtait pas de klaxonner pour que les véhicules nous laissent passer. Ce n’est que vers Pont Colville que les choses ont dégénéré. Clifford a commencé à perdre le contrôle du camion. À un certain moment, il a même passé un coup de fil à quelqu’un à qui il a laissé entendre qu’il y avait un problème avec les freins du véhicule.»
À partir de là, poursuit Jacques Bhigon, tout s’est déroulé très vite : «À la hauteur de Sorèze, comme on se trouvait sur une descente, le chauffeur (Clifford Lascarie qui est mort sur le coup) n’a pu maîtriser le camion. Il a essayé de le freiner en prenant pour appui les rampes de l’autoroute, en vain. À un moment, le camion s’est renversé entraînant avec lui plusieurs autres véhicules.»
S’il se remet lentement de ses émotions, Jacques Bhigon n’arrête pas de se dire qu’il aurait pu y laisser la vie : «Je partage la douleur de toutes les familles touchées par ce malheur et je remercie les volontaires qui ont aidé à me sortir du camion.»
Un responsable d’Innodis : «Le camion n’appartient pas à notre compagnie»
Sollicité pour une réaction à la suite du tragique accident de Sorèze, un responsable de la compagnie Innodis, nous a fait la déclaration suivante : «Certes, le trailer qui transportait la marchandise nous appartient mais le camion, c’est- à-dire, le tracteur ne nous appartient pas. Nous avons eu recours aux services d’un contracteur, comme c’est souvent le cas. » Notre interlocuteur partage la douleur des victimes : «Nous présentons nos sympathies aux familles des victimes et nous espérons que la police fera très vite la lumière sur ce triste drame.»
Textes : Laura Samoisy, Jean Marie Gangaram, Yvonne Stephen, Stéphan Chinnapen et Christophe Karghoo