Alors que, généralement, l’on ne s’acharne pas sur un homme à terre, l’opinion publique continue d’enfoncer rageusement Yatin Varma. Malgré la démission forcée de l’ex-Attorney General, malgré l’évocation de son éventuel suicide, malgré l’état de stress dans lequel on peut l’imaginer, les Mauriciens semblent n’en avoir cure et partout, sur les chaînes des radios privées, sur les réseaux sociaux, dans les conversations de salon, les critiques persistent avec violence sur un homme devenu pourtant simple citoyen depuis mardi dernier. Si la réaction est aussi brutale, doublée d’un sévère jugement, c’est parce que l’ex-ministre incarne les travers de cette élite de politiciens puissants qui se croient au-dessus des lois, opérant dans une zone confortable et protectrice.
Dans cette affaire, tous les ingrédients y sont pour cristalliser la révolte du peuple : le sentiment d’impunité, l’arrogance, le mensonge, le pouvoir de l’argent qui peut tout acheter. Et au-delà de cette histoire, l’on constate actuellement jusqu’où vont les dérives républicaines dont le système semble être gangrené par des individualités qui perdent de plus en plus toute notion de raison, sinon de raisonnement. Le dernier dérapage d’Anil Bachoo traitant les journalistes de «zanimo» et de «malad mental», traduit plutôt, ironiquement, l’état mental dans lequel se trouve le ministre des Infrastructures publiques.
D’ailleurs, ce n’est guère étonnant que ses excuses n’aient en rien freiné les critiques à son encontre. Car quoi qu’en disent les politiques, le public respecte les journalistes et ce corps de métier, comme en témoigne la colère des citoyens qui se sont exprimés ici et là sur ce chapitre. C’est dire que les propos d’Anil Bachoo – même si ce n’est pas la première fois qu’un politicien insulte la presse – sont inexcusables aux yeux d’une bonne partie de la population qui estime que la presse doit pouvoir exercer sa liberté sans pour autant être comparée aux protagonistes d’un parc animalier. Mais cet égarement d’Anil Bachoo traduit le bad mood qui prévaut dans le camp travailliste avec ses ministres plongés dans divers scandales. La flèche décochée par Hervé Aimé en direction des ennemis qui se trouvent dans la même famille politique, témoigne également d’une ambiance délétère au sommet de l’État.
Est-ce la déclaration du Premier ministre à l’Assemblée nationale qui a rappelé (tardivement) que «ever so high you may be, the law is still above you», qui provoque le manque de maîtrise de certains princes du jour ? Maintenant qu’un ancien Attorney General a été forcé de quitter la scène politique, qu’un PPS a démissionné de son poste, que des soupçons planent sur le rôle du vice-Premier ministre après les dires de Reza Issack, – celui-là même qui critiquait les autres membres du gouvernement et qui se retrouve aujourd’hui au cœur d’une sombre histoire –, qu’un président (Maurice Allet) d’un corps paraétatique est accusé d’avoir tenté d’entraver la bonne marche de la justice, n’est-il pas temps que la politique choisisse la voie d’une certaine moralisation ? Car si dans le cas qui nous concerne, Mario Jeannot semble avoir résisté, selon ses dires, aux pressions politiques (à la cour de juger si oui ou non il voulait extorquer des millions à la famille Varma), combien d’autres affaires impliquant des hommes faisant partie de l’État ont été réglées grâce au poids de l’argent ?