Est-ce une méconnaissance de la psychologie sociale ? Nos dirigeants sont-ils complètement déconnectés de la réalité ? Est-ce une absence du terrain qui les empêche d’appréhender la colère que peuvent susciter certaines décisions ? Sinon, comment peuvent-ils justifier cette majoration de leurs salaires à un moment où l’état de l’opinion publique est à vif ?
Même si d’une manière générale, l’on peut trouver normal que le Premier ministre ainsi que l’ensemble de son cabinet et les députés des deux côtés de la chambre aient des salaires confortables, même s’il faut admettre que certains hauts cadres du secteur privé ont des meilleures fins de mois que nos honorables membres de l’Assemblée nationale, même si l’écart entre les salaires des députés et des ministres pourrait faire débat, le gouvernement a été mal inspiré de proposer cette mesure d’augmentation, totalement inappropriée, car elle arrive à un moment plutôt inopportun. Et qui semble indigeste et indigne aux yeux des citoyens.
Ce, pour plusieurs raisons compréhensibles. Parce que le public a le sentiment que cette augmentation (presque Rs 50,000 pour les ministres) de nos dirigeants est injuste par rapport à ceux qui triment au bas de l’échelle sans pouvoir joindre les deux bouts. Parce qu’une dizaine de milliers de familles (à l’exemple de celles qui luttent pour pouvoir ne serait-ce que manger et qui témoignent dans l’article paru en page 13 de cette édition) s’enfoncent davantage dans la pauvreté. Parce que beaucoup de Mauriciens subissent de plein fouet les effets de la crise économique et doivent se serrer la ceinture. Parce que le licenciement est devenu monnaie courante créant une atmosphère de précarité dans plusieurs secteurs. Parce que le chômage qui a atteint les 8 % – dont 40 % de chômeurs ont moins de 25 ans – est plutôt sur une pente ascendante.
C’est dire que le mood est à la morosité et qu’il aurait été légitime d’espérer de la part des représentants du peuple un partage du fardeau d’austérité. Au lieu de cela, l’on assiste plutôt à un partage du gâteau national entre gens d’un même clan : gouvernement et opposition dont les membres jusqu’à présent n’ont pas refusé cette majoration. Car il est un peu facile, sinon hypocrite, pour les députés MMM-MSM de critiquer d’un côté tout en acceptant de s’en mettre un peu dans les poches de l’autre.
Cela dit, si cette hausse semble indécente, c’est aussi parce qu’elle survient à un moment où l’on note plus que jamais une mauvaise opinion sur la gestion des affaires de l’État. Les inondations meurtrières de mars dernier, l’accident de Sorèze, l’accusation qui plane sur l’Attorney General sans inquiéter le principal concerné qui continue à exercer, le traitement de l’affaire Namasté par le ministre Martin sont, entre autres, autant d’exemples d’une administration catastrophique.
Et le citoyen lambda, qui a apprécié les remarques pertinentes de Reza Issack, se demande s’il doit regarder sans broncher ces puissants puiser dans les fonds publics dans lesquels il contribue honnêtement en s’échinant à la tâche et en payant douloureusement ses impôts ! Si le Premier ministre a choisi d’ignorer les remarques du député de la circonscription no 20, en allant de l’avant avec cette hausse salariale, les Mauriciens, eux, sont d’avis que la plupart de ces hommes et femmes au pouvoir, qui jusqu’à présent figureraient plutôt dans la marge des incompétents, ne méritent aucun sou supplémentaire. Mais leur avis ne compte pas…