Il y a cinq ans, quatre personnes avaient été victimes des pluies torrentielles.
Comme les proches des victimes de la catastrophe de samedi dernier, ces familles ont, elles aussi, vécu le drame de perdre un proche qui a été emporté par les flots. C’était en 2008, lors des grosses pluies qui avaient provoqué l’émoi dans le Nord du pays. Retour sur ces tristes disparitions.
Dans les souvenirs de Vinoda
À chaque averse, il se retrouve à vivre les mêmes souvenirs douloureux. Car c’est suite à des grosses pluies que sa sœur Vinoda Ragoo, alors âgée de 59 ans, est décédée après s’être noyée dans les inondations qui avaient secoués le Nord de l’île, le 26 mars 2008.
Et cinq ans plus tard, Shiva Coopen dit se rappeler avec précisions tous les événements de ce «terrible» mercredi noir : «On n’oublie jamais ce genre de choses.» Comme les familles qui sont bouleversées depuis samedi dernier, avec la perte de leurs proches emportés par les flots, Shiva Coopen est passé, dit-il, par toutes les émotions, sans oublier les nombreuses interrogations : pourquoi est-ce que s’est arrivé ? Pourquoi est-ce que la météo n’avait pas prévenu que les pluies allaient être particulièrement violentes. Bref, autant de questions, qui, reconnaît-il, ne l’ont pas aidé à se sentir mieux après cette terrible perte : «Dans ces moments-là, on veut surtout comprendre, mais c’est sûr, le plus dur est de se dire qu’on ne va plus jamais revoir un membre de notre famille.»
Car depuis qu’elle a quitté ce monde, Vinoda a laissé un grand vide derrière elle. D’abord dans la vie de son fils Sourendra, aujourd’hui âgé de 26 ans, mais aussi celle de Shiva Coopen qui la considérait comme l’épaule sur laquelle il pouvait s’appuyer dans les moments difficiles ou encore l’oreille qui l’écoutait à chaque fois qu’il en avait besoin : «Ma sœur a toujours été là pour moi. D’ailleurs, elle était connue pour son grand cœur et était tout le temps disposée à aider.»
«Un triste destin»
Ayant été au cœur même de ce drame qui a coûté la vie à sa soeur, Shiva Coopen peut, dit-il, parfaitement se mettre à la place des victimes des inondations de samedi dernier : «Il va leur falloir beaucoup de temps pour surmonter cette épreuve.»
Mais pour Shiva Coopen, la blessure reste toutefois toujours béante. D’ailleurs, à chaque fois qu’il pleut, il est habité par une grande hantise, à tel point qu’il n’envoie pas sa fille à l’école les jours pluvieux : «On ne sait jamais ce qui peut arriver, donc autant être prudent.» Selon lui, ce genre de blessures ne cicatrise jamais : «On se console en se remémorant tous les instants de bonheur qu’on a partagés avec Vinoda…» Et c’est ce qui aide à avancer : «Maintenant, il s’agit de veiller à ce que les autorités prennent des mesures pour identifier ces lieux à risque et faire en sorte que ces événements ne se reproduisent plus.»
À la même période chaque année, son cœur, dit-il, saigne parce que sa sœur est morte à la veille de son anniversaire : «Elle était en bonne santé. Elle avait la vie devant elle, mais hélas, le destin en a décidé autrement… »
Et aujourd’hui, c’est avec toutes les familles des victimes des dernières inondations qu’il dit être en communion. Car désormais,
il partage avec elles, la même triste histoire.
Vishuanee : «Ma vie sans ma fille Laura»
Un vide que rien n’a pu combler. Pas même le temps. Quand Vishuanee Paul, 43 ans, pense à sa fille Laura, elle l’imagine grande et belle. Elle aurait eu, confie-t-elle, 18 ans. Et comme elle était studieuse, elle aurait sans doute complété ses études et aurait peut-être même commencé à travailler. Mais hélas, emportée par les flots le 26 mars 2008, sa «petite Laura» n’est plus.
C’est en descendant du bus à proximité de sa maison à Mon-Goût, annexe de Pamplemousses, alors qu’elle rentrait de l’école, que l’adolescente avait été emportée par les flots, suites aux averses qui s’étaient abattues sur l’île un triste mercredi, il y a cinq ans. Elle était alors en Form I, au collège Merton.
Et aujourd’hui, malgré le temps qui s’est écoulé, Vishuanee n’a, dit-elle, toujours pas fait son deuil. Depuis samedi dernier, elle dit comprendre parfaitement la douleur des familles qui ont perdu leurs proches dans les inondations qui ont choqué toute l’île : «J’ai vécu la même chose. Le même désarroi, la même peine et les mêmes incompréhensions.» Car selon Vishuanee, c’est difficile de se résoudre à perdre quelqu’un si subitement et d’une telle façon : «À l’époque, je ne pensais pas que la pluie pouvait tuer.»
C’est donc avec tristesse, dit-elle, qu’elle a appris le sort de ces 11 personnes qui ont péri dans les violentes inondations qui a pris d’assaut Port-Louis, samedi dernier : «La scène se répète et si la pluie continue à paralyser le pays alors qu’il y a déjà eu un précédent, c’est signe qu’il y a des failles. Et pour moi, la cause principale des inondations, c’est le mauvais fonctionnement de nos drains.» Pour elle, «ce n’est pas normal que les gens meurent de cette façon», alors qu’il y a des développements partout : «Il faut que les autorités prennent les bonnes décisions et qu’ils fassent en sorte qu’il n’y ait plus d’inondations meurtrières à Maurice…»
Dans un certain sens, Vishuanee, également mère de deux fils, dit se consoler en voyant les aménagements qu’il y a eu à Mon-Goût depuis la mort de son enfant : «Je me dis que son décès a permis d’attirer l’attention sur un disfonctionnement et j’espère qu’il n’y aura plus jamais d’accumulation d’eau dans cette région, avec les aménagements qu’il y a eus.»
«Les séquelles restent»
Ceux qui ont perdu un des leurs dans les intempéries de samedi dernier, Vishuanee tient à leur apporter tout son soutien : «Ce sera difficile de surmonter cette épreuve…» Elle-même, dit-elle, a dû quitter son ancienne maison pour venir s’installer à Pamplemousses : «C’était très difficile pour moi de passer devant le pont où ma fille est morte» et à chaque averse, comme celle de samedi dernier, elle se retrouve propulsée dans un cauchemar, comme celui qui a, dit-elle, bouleversé sa vie à jamais. «Depuis, j’ai toujours peur lorsqu’il pleut, car je me dis que tout peut arriver à n’importe quel moment. Les séquelles vont rester, mais il faut avancer.»
Bien qu’elle ait décidée de reprendre sa vie en main et de regarder vers l’avenir, Vishuanee ne cache pas le fait qu’elle puise sa force dans les souvenirs heureux passés avec sa fille. Dans chaque recoin de sa nouvelle maison, il y a soit une photo, soit un objet ayant appartenu à Laura, lui rappelant sa fille qui voulait lui faire honneur en réussissant à ses études.
D’ailleurs, souligne-t-elle, elle se souvient parfaitement de lui avoir dit, en ce triste jour, de ne pas se rendre à l’école : «Il pleuvait tellement que je lui avais dit de rester à la maison, mais elle m’avait répondu : ‘‘Je pars à l’école pour t’apporter de bons résultats’’.»
Une promesse que Laura n’a hélas pas pu honorer. Elle est partie en laissant un grand vide dans la vie de sa mère.
Rudy Catapermal : La douloureuse séparation
Il aurait eu 31 ans. Il aurait été marié, comme prévu, en décembre 2008, et serait aujourd’hui peut-être père. Si le 26 mars 2008, Rudy Catapermal, alors âgée de 26 ans, n’avait pas été emporté par une rivière en crue, non loin de sa maison, à Flacq, il aurait été un homme heureux, aux côtés de la femme qu’il aime. Mais hélas, rien de cela ne s’est réalisé pour lui.
Comme les trois autres victimes des pluies meurtrières d’il y a cinq ans, son départ a bouleversé la vie de beaucoup de gens. D’abord, celle de sa famille, de ses proches, de ses amis, mais aussi celle de Christelle, celle qu’il allait épouser. Une douloureuse séparation qui a provoqué bien des larmes.
Aujourd’hui, son nom est à jamais associé à cet événement qui a bouleversé toute l’île en 2008, tout comme ceux et celles qui, samedi dernier, sont morts dans de terribles conditions, plongeant tout le pays dans le chagrin.
Cindy Aza : Mon frère, ma souffrance
Plus rien n’a été comme avant. À sa mort, emporté par une rivière en crue à Grand-Bel-Air, Fabrice Aza, alors âgé de 18 ans, a plongé toute sa famille dans une profonde désolation.
«Depuis que mon frère nous a quittés, notre vie a été complètement bouleversée. Il était le seul homme de la maison, le pilier de la famille, celui qui, tant bien que mal, nous aidait», nous déclare Cindy Aza, la sœur de la victime qui, comme beaucoup de Mauriciens, a été bouleversée par les nombreux morts de samedi dernier, à la suite des inondations. «Ma famille est bien placée pour savoir ce que vivent ces mères, pères, époux et épouses ou frères et sœurs. Même après cinq ans, je suis encore marquée par la perte de mon frère», ajoute la jeune femme qui souligne que sa famille a dû vraiment être solidaire pour pouvoir faire face à l’avenir. «Ma mère n’a plus jamais été la même depuis qu’elle a perdu son fils. Aujourd’hui encore, elle ne s’est pas tout à fait remise de cette disparition. Mais on est resté fort en hommage à Fabrice», confie Cindy.
La semaine dernière, marquée par le triste anniversaire de la mort de son frère, a été, confie-t-elle, particulièrement pénible, car sa famille s’est retrouvée à revivre le même cauchemar qu’en 2008. Les événements de samedi dernier ne font que raviver leur souffrance car, les pluies tueuses ont encore frappé, plongeant des familles entières dans une grande détresse.