Les suspects : Arun Mossuddee, Bheemal Bissessur, Sanjeev Lutchman et Bimla Ramloll arrivant aux Casernes centrales.
Cangrayen Pillay
C’est le buzz du moment. Depuis que l’affaire White Dot a éclaté, elle va de rebondissements en rebondissements. Et nombreux sont ceux à en avoir fait les frais. Quatre d’entre eux se confient et expliquent comment ils se sont laissé berner.
Les agents savent amadouer les gens avec des mots très rassurants.» Et c’est ainsi que Marie Rose (nom fictif) a été prise au piège. Elle a entendu parler de White Dot de bouche-à-oreille. C’était en novembre dernier. Pour elle, cette entreprise était «comme la poule aux œufs d’or». «On obtenait une grosse somme en termes de dividende pour un investissement de six mois seulement», explique-t-elle.
Une aubaine, Marie Rose a-t-elle pensé. C’est alors qu’elle est entrée en contact avec un agent pour prendre connaissance des procédures à suivre. «Il y en a moins que dans les banques commerciales. De plus, on n’a pas eu à justifier d’où venait notre argent», précise Marie Rose.
Au départ, il n’y avait pas de souci au niveau du paiement des dividendes. Le délai était toujours respecté, affirme Marie Rose. D’ailleurs, elle a reçu un dernier dividende de Rs 12 500 le 15 mars, après avoir placé la somme de Rs 250 000 à White Dot International Consultancy Ltd.
Mais lundi dernier, elle est tombée des nues. En effet, en écoutant la radio ce jour-là, elle a appris que la compagnie White Dot était accusée de fraude. Cette épouse et mère d’un garçon de 11 ans travaille à son compte (elle vend des produits importés de Chine). Ce sont ses économies qu’elle a perdues. Pour avoir plus de détails sur cette affaire, elle s’est rendue dans les locaux de la White Dot sis à Ebène et Port-Louis. Mais ceux-ci étaient fermés.
«L’affaire a éclaté à un mauvais moment», dit-elle, son fils étant en période d’examens. Mais Marie Rose ne compte pas baisser les bras : «Nu pu fight pu nu larzan, mem si buku dimun riy nu.»
Comme elle, Raj Kumar (nom fictif) et ses proches sont également dans une situation embarrassante : «Mo nepli ena enn sou. J’ai perdu 10 ans d’économies. Je dois me marier en 2014. Je risque d’avoir d’énormes problèmes si ma belle-famille a vent que je n’ai plus d’argent pour le mariage. Je ne sais pas comment m’en sortir.»
Ce jeune homme de 29 ans travaille comme messenger dans une compagnie d’assurance. Il a investi son argent dans White Dot après une rencontre avec Sanjeev Lutchman, l’un des directeurs. C’était en juin 2012, dans les locaux de la SICOM. Ce dernier lui avait fait part des offres de White Dot.
Celles-ci étant alléchantes, Raj Kumar, en pleins préparatifs de mariage, se laisse tenter par les dividendes. Il a d’abord fait un dépôt de Rs 75 000 pour un montant de Rs 3 450 de gagné par mois. Son père, qui est vigile, investit, pour sa part, Rs 50 000 et obtient Rs 2 300 de dividende sur son capital qu’il augmente à Rs 125 000, pour la somme supplémentaire de Rs 5 700 par mois.
À l’exemple de Raj Kumar, Mohamad Fadeel (nom fictif), employé dans la maintenance, s’est laissé prendre au piège par Sanjeev Lutchman, en avril 2012. La rencontre s’est faite chez un ami. À ses dires, Sanjeev Lutchman lui aurait parlé de White Dot et des gros dividendes qu’il pourrait obtenir avec des dépôts importants. Mohamad Fadeel a alors, dans un premier temps, investi la somme de Rs 125 000, provenant de ses économies. Avec des dividendes de Rs 8 400 par mois, il a décidé, en septembre 2012, de faire un dépôt supplémentaire de Rs 25 000. Il touchait alors Rs 9 600 par mois.
Mohamad Fadeel, marié et père de deux enfants, a maintenant tout perdu. Mais il le concède : «Mo ti tente par White Dot parski gagn gro kas vit. J’ai heureusement pu récupérer Rs 100 000.» Il n’a encore rien dit à son épouse. Cet habitant de Quinze-Cantons, Vacoas, fait toutefois ressortir que d’autres comme lui se sont laissé berner par Sanjeev Lutchman.
C’est le grand-père de ce dernier, dit-il, qui est venu récupérer le premier montant investi. Et c’est son neveu, un dénommé Dylan, qui s’est occupé de la paperasse.
Govinda Rajen (nom fictif) est, lui aussi, dans une situation angoissante. Cet habitant de l’Est a investi Rs 1 million dans White Dot. Une somme qu’il a économisée au fil de 15 années de travail en Italie. De retour dans l’île avec son épouse, il a décidé de s’associer à son père et ses frères pour investir dans la culture de pomme de terre. Cela, sur plusieurs arpents.
Govinda Rajen a alors décidé d’investir également une partie des profits provenant de la récolte de pomme de terre dans White Dot.
C’est un proche qui lui avait parlé de «ce moyen rapide de se faire de l’argent». «On a sauté sur l’occasion. On a d’abord pensé que l’argent allait servir à financer les études de nos enfants en bas âge. Heureusement, on a placé une autre partie de nos économies ailleurs», se rassure-t-il, tout en sachant, au fond de lui, que la situation est critique. D’autant qu’il ne sait comment évoquer la perte de cet argent avec les siens.
Marie Rose, Raj Kumar, Mohamad Fadeel, Govinda Rajen… Comme eux, tant d’autres se sont fait piéger par White Dot. Les arrestations dans le cadre de cette affaire, elles, se poursuivent. La police est aux aguets.
L’homme qui a découvert les activités frauduleuses de White Dot revient sur la façon dont il s’y est pris et encourage les autres victimes à venir de l’avant.
Comment l’affaire White Dot a-t-elle éclaté ?
J’ai pour habitude d’aider les victimes du Sale by levy. Quelqu’un m’a donc demandé de lui venir en aide et c’est lors de mon enquête que je suis tombé sur une compagnie qui récoltait de fortes sommes d’argent en promettant aux gens des emprunts provenant de banques à l’étranger. J’ai trouvé cela très bizarre. J’ai aussi constaté que des personnes faisaient de gros dépôts d’argent et obtenaient en retour des sommes exorbitantes en termes d’intérêts, contrairement aux taux proposés par les banques commerciales. Ces intérêts atteignaient 85 % voire 100 % du capital placé sur un an. En jetant un coup d’oeil à certains documents, j’ai réalisé que c’était une vraie arnaque.
Pendant trois mois, j’ai mené une enquête serrée sur White Dot. Malheureusement, les gens refusaient de collaborer au départ, mais cela ne m’a pas empêché d’atteindre mon but. J’ai rencontré le directeur général de l’ICAC (Independent Commission Against Corruption) il y a un mois, pour dénoncer les agissements de cette compagnie. Je l’ai aussi dénoncée à de hauts gradés de la police. Je l’ai fait ouvertement malgré la pression d’une certaine mafia. J’aime mon pays. Aujourd’hui, je suis très satisfait, car de nombreuses personnes ont porté plainte. Il y a également eu plusieurs arrestations. Le pays est libéré de cette mafia.
Selon vous, quelles seront les conséquences de cette affaire ?
Je demande aux gens de faire confiance aux banques commerciales. J’ai aussi écrit au Premier ministre pour lui demander de recevoir les victimes. C’est la fraude du siècle ! Certaines personnes ont donné jusqu’à Rs 36 millions à White Dot. Je lance un appel aux victimes afin qu’elles viennent dire la vérité et obtiennent ainsi l’immunité. J’ajouterai qu’il y a également des victimes à l’étranger. Dix d’entre elles m’ont d’ailleurs téléphoné.
Que savez-vous exactement sur White Dot ?
Tous les contrats de White Dot International Consultancy Ltd sont illégaux. Pour ma part, je veux savoir où sont passés tous ces millions de roupies qu’ils ont amassés. La compagnie opère depuis 2010. Est-ce que la Financial Intelligence Unit, la Financial Services Commission et la Bank of Mauritius étaient au courant de cela ? Comment l’argent a-t-il pu quitter le pays ? Je suis d’avis que les autorités ont été trop tolérantes envers White Dot. Certains ont des comptes à rendre.
Comment en est-on arrivé là ?
Il y a les directeurs et les agents. Chacun a sa responsabilité dans cette affaire. Les agents touchent 10 % de commission sur la somme investie par une personne. On parle ici d’une fraude de Rs 700 millions. Il y a donc des personnes qui ont perçu des commissions de Rs 70 millions et elles doivent être arrêtées. Il faut instituer une commission d’enquête uniquement pour rembourser les victimes. L’aide du PM et du Commissaire de police est aussi très importante afin de solliciter la collaboration d’Interpol et d’arriver à bloquer les comptes bancaires des suspects à l’étranger.
Les réactions....
Me Rama Valayden, avocat de Bheemal Bissessur et Sanjeev Lutchman : «Les directeurs de ‘‘White Dot” sont innocents»
Rama Valayden est catégorique : «Mes clients, Bheemal Bissessur et Sanjeev Lutchman sont innocents dans cette affaire. Ils le clament d’ailleurs et c’est pour cette raison qu’ils ne se sont pas sauvés. Je laisse l’enquête policière se poursuivre. Je ferai également pression pour que la justice suive son cours. Financial Services Commission in fane. Je rendrai publique une lettre à cet effet cette semaine. Je tiens aussi à souligner qu’il y a des moyens de permettre aux victimes de récupérer une partie de leur argent.»
Bheemal Bissessur et Sanjeev Lutchman sont les directeurs de White Dot International Consultancy Ltd. Ils sont actuellement en détention policière. La police a perquisitionné leurs maisons respectives et plusieurs documents compromettants y ont été découverts.
Me Roshi Bhadain, avocat d’Arun Mossuddee : «Mon client n’est pas le cerveau de cette fraude»
Arun Mossuddee, client de Me Roshi Bhadain, n’a que 23 ans. Pourtant, il est considéré comme le présumé cerveau de la fraude de Rs 700 millions. Son homme de loi est toutefois convaincu du contraire : «Mon client est très jeune. Il n’avait que 20 ans à l’époque où White Dot a commencé ses opérations. Il a ensuite vendu cette compagnie et il est parti à l’étranger. Il était en Angleterre lorsqu’il a appris la fraude alléguée et n’a pas hésité une seconde à prendre l’avion et à rentrer à Maurice. Mon client collabore pleinement avec la police qui va devoir enquêter en vue de faire éclater la vérité.»
Légalement parlant, Arun Mossuddee n’a plus rien à voir avec la compagnie White Dot car il dit l’avoir vendue au tandem Bheemal Bissessur et Sanjeev Lutchman. La police a perquisitionné sa maison et y a saisi, entre autres, un coffre-fort. Un quatrième suspect, Khaleel Korrimboccus, a été arrêté par le CCID jeudi. Il gérait une flotte de 126 voitures appartenant à une compagnie subsidiaire de White Dot. Les voitures ont été saisies et sont actuellement dans les locaux des Casernes centrales.
Le ministre des Finances exige une enquête
Le ministre des Finances, Xavier-Luc Duval, n’a pas tardé à réagir à l’affaire de fraude alléguée. Il a demandé au secrétaire financier de mener une enquête sur la Financial Intelligence Unit, la Bank of Mauritius et la Financial Services Commission, en vue de savoir si ces trois instances ont agi comme il se doit dans l’affaire White Dot.
Me Yousuf Mohamed, avocat de Bimla Ramloll : «Je ne sais toujours pas pourquoi on a arrêté ma cliente»
Ex-conseillère de la municipalité de Quatre-Bornes, Bimla Ramloll, actuelle secrétaire et gérante de Sunkai Company Ltd, a été arrêtée par le Central Criminal Investigation Department (CCID) le vendredi 29 mars, dans une autre affaire de fraude alléguée. La compagnie qu’elle dirige et dont le siège se trouve à Rose-Hill propose également d’énormes dividendes à sa clientèle, tout comme White Dot. Elle a comparu en cour hier matin et fait l’objet d’une accusation provisoire de «conspiracy to defraud».
Dans la présente affaire, son avocat, Me Yousuf Mohamed, est révolté : «Je ne sais toujours pas pourquoi on a arrêté ma cliente ou ce qu’on lui reproche. Sunkai Company Ltd est enregistrée auprès du Registrar of Companies. J’ai vérifié et revérifié ; sa compagnie n’a pas à être enregistrée auprès de la Financial Services Commission, car ses activités n’ont rien à voir avec cette commission.»
Bimla Ramloll avait déjà fait parler d’elle en 2007 dans la présumée affaire d’octroi frauduleux d’étals à la municipalité de Quatre-Bornes. L’ex-conseillère avait alors été arrêtée par l’Anti-Drug and Smuggling Unit et traduite en cour sous une accusation provisoire de trafic d’influence, avant d’être libérée sous caution.