Comme un hommage à Stephane Hessel, les Mauriciens se sont indignés devant le cas de ces enfants abandonnés à l’hôpital psychiatrique Brown-Séquard. Fort heureusement ! Imaginez une seule seconde qu’une auditrice de Radio One n’avait pas fait état de cette affaire. Imaginez que les différentes émissions d’Enquête en direct de cette semaine n’avaient pas relayé cette info, imaginez que les auditeurs n’étaient pas montés au créneau pour s’apitoyer sur le sort de ces enfants. Est-ce que le Conseil des ministres s’y serait intéressé ? Est-ce qu’on aurait eu droit à un comité ministériel pour se pencher sur leur devenir ?
Pas si sûr, quand l’on sait que le personnel de la CDU est au courant de cette situation depuis longtemps déjà (il y a d’ailleurs eu des articles de presse précédents à ce propos) et qu’il a été inefficace et impuissant jusqu’ici. Il aura donc fallu la pression populaire pour que la ministre Martin – qui a pris trois jours pour réagir – se décide à prendre position. Et quelle position ! Donc, à écouter la ministre de l’Égalité des genres, la meilleure place pour ces petits, dont trois souffrent de troubles psychiatriques alors que cinq autres sont eux classifiés «child beyong control» est actuellement l’hôpital Brown-Séquard. Sérieusement ?
Voilà donc à quoi on est réduit, voilà donc le degré du bien-être que nous accordons à ces enfants difficiles, voilà donc ce qu’une ministre de la République est contrainte de nous dire : que des enfants, dont quelques-uns ont terminé leur traitement, sont obligés de vivre dans un hôpital psychiatrique, en d’autres mots, dans un environnement plutôt violent, entre adultes alcooliques et personnes souffrant de troubles mentaux. Tout ça parce que nous n’avons pas de structure d’accueil pour ceux qui pourtant requièrent plus de soins que d’autres.
Abandonnés déjà une première fois par leur cellule familiale, et incapables d’être pris en charge par les rares centres spécialisés privés (qui souvent ont toutes les peines du monde à trouver des financements pour faire rouler leurs établissements), l’État fait donc le choix de faire vivre des petits dans un centre hospitalier qui, le moins que l’on puisse dire, est loin de ressembler à un tableau coloré. Développement ? Éveil ? Jeux ? Épanouissement ? Reconstruction ? Prévention de leur santé mentale ?
À la décharge de Mireille Martin qui n’est ministre que depuis deux ans et qui fonctionne dans un cadre légal avec des moyens limités, cette absence de structure pour des enfants sujets à des comportements troubles ou incontrôlables n’est pas sa faute. Mais en tant que ministre du Bien-être des enfants, elle se doit de faire un constat immédiat de la chose, de maîtriser son sujet, de connaître le dossier de la dizaine d’enfants qui se trouvent actuellement à Brown-Séquard, de rechercher des moyens, des partenaires, de travailler en collaboration avec des centres existants, des ONG, des travailleurs sociaux expérimentés, des thérapeutes.
À moins qu’on ne soit totalement insensible au sort des plus vulnérables, il faut agir en urgence pour sauver ces enfants qui ne sont pas responsables de leur naissance, encore moins de leur état de santé et à qui nous infligeons une double peine en leur faisant payer le prix de la défaillance de notre système sociétal. Oui, il faut garder notre capacité d’indignation. Et, comme nous le rappelait aussi Hessel, s’indigner ne suffit pas. Vient ensuite le temps de l’engagement. Un comité ministériel a été mis sur pied. Combien de temps prendra-t-il avant de trouver une solution ? Chaque jour qui passe est un jour de trop pour ces enfants vivant à Brown-Séquard !