Les travaillistes auraient des difficultés à gérer le pays en cas de victoire aux prochaines législatives. C’est ce qu’estime Rama Sithanen, ministres des Finances dans un éventuel gouvernement rouge. Il souhaite donc un «large consensus» et, à mots couverts, indique que le MSM et le MMM pourraient devenir de potentiels alliés à condition que Navin Ramgoolam reste seul maître à bord, dans n’importe quel cas de figure.
Q : Vous alléguez, lors d’une conférence, que le gouvernement, à travers son ministère des Finances, manipule des chiffres. Où selon vous, a-t-il eu manipulation ?
R : Tous les économistes avertis et toutes les institutions internationales et locales ont tiré la sonnette d’alarme sur deux problèmes économiques fondamentaux : (1) Le chômage qui augmente considérablement et (2) le niveau de la dette publique qui devient insoutenable. Quand le chômage augmente, quand le gouvernement n’arrive pas à l’endiguer, il impose une nouvelle définition du chômage. Le gouvernement enlève les jeunes ainsi que plusieurs femmes de la ‘labour force’. Il a aussi enlevé près de 10 000 personnes licenciées VRS par l’industrie sucrière du calcul du nombre de chômeurs. La dernière astuce est pour faire croire que si les gens are ‘not actively looking for a job’ sans donner de définition de ce que veut dire ‘actively’, ceux-là sont enlevés du nombre de chômeurs.
Près de 6000 personnes sont ainsi enlevées. Même astuce pour la dette qui a dépassé la barre psychologique de 100 milliards de roupies. Encore une fois, le gouvernement fait changer la définition de la dette publique et se sert d’un subterfuge. Auparavant, 100% de la dette publique étaient payés par le gouvernement central et 100% de cette dette figurait dans le livre du gouvernement.
Or, depuis juin 2003, une partie de ces dettes ne figure pas dans le livre du gouvernement et a été transférée à la Banque centrale. Deuxièmement, une partie de ces dettes n’est pas ‘serviced’ par le gouvernement. Il y a 13 milliards de dettes transférées à la Banque centrale Et cette dernière a dû payer 868 millions de roupies pour ‘service’ cette dette. Au point où c’est la première fois dans son histoire qu’elle perd de l’argent. La Banque centrale enregistre une perte de 379 millions de roupies. Du jamais vu.
Q : Ainsi donc, nos institutions seraient-elles facilement manipulables ? Vous qui avez été ministre des Finances, parlez-vous en connaissance de cause ?
R : Je me base sur deux documents. Le Bureau Central des Statistiques a publié les chiffres et a expliqué qu’il y a eu des instructions pour changer la méthodologie de la comptabilisation du nombre de chômeurs. C’est sur le site officiel du gouvernement. Ce ne sont pas des allégations. Ce sont des faits. L’autre document est celui de la Banque centrale. Ce n’est pas une accusation, c’est un fait vérifiable. La Banque centrale dit dans son rapport que le gouvernement a décidé de changer la façon de comptabiliser la dette publique. C’est noir sur blanc.
Q : Vous critiquez à chaque fois la situation du chômage. Avez vous des solutions ?
R : Le gouvernement a tué la consommation avec une augmentation trop brutale de la TVA. Allez demander aux commerçants ‘qui position’ ? L’augmentation de 50 % a été trop brutale et cela a freiné la consommation. Et on sait très bien que la consommation est une source importante de croissance. Qui dit croissance dit création d’emplois. Ensuite, on a tardé à demander la dérogation pour ce qui est du ‘3rd Country Fabric’. Et en deux ans, on a perdu 20 000 emplois dans la zone franche. Troisièmement, les mesures pour redynamiser la zone franche dorment dans un tiroir. L’Equity Fund, qui a été annoncé en grande pompe, est a peine utilisé par le secteur privé. Alors que le tourisme stagne et que le parc hôtelier augmente de 3 000 chambres, le gouvernement introduit une taxe de Rs700. Faut être stupide pour faire ça.
Q : Sylvio Michel, le ministre démissionnaire du gouvernement, affirme que Navin Ramgoolam est dans de bonnes dispositions s’agissant de la compensation des esclaves. Pensez-vous qu’il a sa place au sein du PTR ?
R : Je ne sais pas s’il y a négociations entre Sylvio Michel et le PTr. Nous faisons notre travail qui est d’attaquer le gouvernement sur son bilan et de faire des propositions pour sortir Maurice de la crise. Cela dit, je pense que dans une joute électorale à Maurice, il ne faut pas se tromper d’adversaire et disperser les votes. Il faut éviter une fragmentation des votes. Il n’y a aucune raison pour laquelle Ramgoolam ne devrait pas ratisser large.
Q : Que pensez-vous de la ‘winning formula’ de Bérenger, à savoir qu’il dirigerait le pays - au cas ou l’alliance MSM/MMM l’emporterait en 2005 - pendant trois ans et Pravind Jugnauth les deux années restantes ?
R : S’il y a un arrangement qui pue le communalisme et le racisme, c’est bien cet arrangement-là. Pourquoi Berenger ne se présente-t-il pas pour cinq ans ? Parce qu’il a peur qu’une partie de la population ne le vote pas. Très peu de gens à Maurice pensent que Pravind Jugnauth a l’étoffe, la compétence, l’expérience et la préparation nécessaire pour devenir Premier ministre. Je ne dis pas cela pour le dénigrer, mais Pravind Jugnauth ne s’est pas encore fait un prénom. Il est devenu vice-Premier ministre juste parce qu’il est le fils de son père. Il ne comprend pas grand-chose à l’économie et aux finances. C’est uniquement un arrangement communal et raciste.
Q : Il paraît que les tractations ont déjà commencé, que toutes les options sont ouvertes pour tous. Avec qui l’alliance sociale s’affichera-t-elle pour ces prochaines élections, le MMM ou le MSM ?
R : Les alliances se font et se défont à Maurice. Harold Wilson avait dit que ‘one week is a long time in politics’. À Maurice, vingt-quatre heures ‘could be a long time’, comme l’alliance de dernière minute entre le MMM et le MSM en 2000. Je pense que ce gouvernement est condamné. En sus des votes d’adhésion au PTr, il y aura des votes sanction contre l’alliance MSM/MMM. Gagner les élections, à mon avis, ne sera pas très difficile avec le mauvais bilan du gouvernement. C’est gérer le pays après qui sera peut être plus compliqué dans la mesure où il risque d’être très divisé.
Q : Est-ce que vous êtes en faveur d’une alliance entre le PTr et le MMM ou/et le MSM ?
R : Ce n’est pas une question d’un parti spécifique mais de programme. J’ai ma préférence, surtout dans une situation où le pays risque d’être assez divisé. Mais en politique, il y a d’autres considérations tactiques, voire stratégiques, qui comptent. Et on est déjà dans une alliance avec d’autres partenaires…
Q : Et quelle est votre préférence ?
R : Créer un large consensus afin de faire face aux nombreux défis qui guettent notre pays. Avec Navin Ramgoolam comme seul Premier ministre - dans tous les cas de figure - entouré d’une équipe soudée et compétente pour appliquer un programme afin de créer la richesse et de la distribuer avec équité et justice.
Q : Les rumeurs font accroire actuellement qu’Anil Baichoo, celui-là même qui avait été saisi du dossier métro léger, claquerait bientôt la porte du gouvernement. Vos
commentaires.
R : J’entends les mêmes rumeurs que vous. Que Baichoo n’est pas à l’aise dans ce gouvernement, c’est un secret de Polichinelle. Le dessaisir de ce dossier fut déjà une insulte. ‘To add insult to injury’, il est dessaisi de ce dossier pendant qu’il n’est pas là. Il faudrait se demander pourquoi on l’a dessaisi de ce dossier.
Q : La nouvelle rengaine du PTr est la démocratisation de l’économie. Concrètement, c’est quoi ?
R : La démocratisation de l’accès à la terre tout en respectant les lois. On avait une chance de faire une réforme agraire avec le deal Illovo. Berenger en a décidé autrement. Ensuite donner une très grande importance aux petites et moyennes entreprises. Il faut créer un environnement pour libérer les énergies entrepreunariales de la population. Une politique d’accompagnement forte qui englobe l’accès aux finances et aux autres ressources, le marketing, la gestion, la formation, le savoir-faire, etc. Le PTr est pour le secteur privé mais contre la concentration du pouvoir économique. Dans le tourisme, ce n’est pas nécessaire que ce soit les mêmes qui font tout. Il faut faire du ‘unbundling’, du ‘outsourcing’ et ‘démocratiser’ les ‘suppply chains’ dans certains secteurs.. Il faut aussi démocratiser l’accès aux emplois dans tous les secteurs. Il est impératif que tous nos citoyens aient les mêmes chances, peu importe leurs origines. Ce n’est pas le cas dans plusieurs secteurs aujourd’hui !
Q : La lutte des classes revient aussi à l’ordre du jour du Parti travailliste
R : Nous disons ‘Opportunity for all and we should widen and broaden the circle of opportunities’.Bérenger has narrowed it considerably. Le Prix Nobel Stiglitz dit qu’il ne peut y avoir de développement économique sans équité, sans justice sociale, sans l’opportunité pour tous. Nous n’avons rien contre ceux qui sont riches, mais il faut donner la chance à tout le monde. Ce n’est pas le cas avec ce gouvernement. C’est aussi simple que cela.