Il n’a pas la langue de bois. Ne craint pas de désavouer les pratiques de ses confrères avoués si elles se révèlent douteuses. Me Theyvarajen Ponambalum, vice-président de la Law Society, avoue qu’un de ses confrères, réprimandé par les juges de la Cour suprême récemment, est parmi ceux qui ont été dénoncés devant la Commission d’enquête sur le Sale by Levy.
Q : En tant que vice-président de la Law Society, quel regard jetez-vous sur les travaux de la Commission d’enquête sur le Sale by Levy ?
R : Il y a des choses qui se passent au niveau de la Commission d’enquête sur le Sale by Levy qu’il faut éclaircir. Le Sale by Levy concerne les avoués. Je prends un cas : quelqu’un contracte un emprunt mais
n’honore pas ses engagements vis-à-vis de l’institution ou du casseur et il vient
alléguer devant la Commission d’enquête qu’il a été dupé, sans toutefois pouvoir soutenir ses allégations par des preuves. C’est grave et c’est pour cela que nous réagissons.
Q : Il se peut que cette personne soit illettrée et que, par conséquent, elle n’ait fait qu’apposer les empreintes de son pouce sur un document officiel qui le lie financièrement au casseur ou à une institution sans qu’elle ne sache à quoi elle s’engage. Cela peut aussi s’apparenter à un abus, n’est-ce pas ?
R : Notre système légal existe depuis plus de 300 ans à Maurice. Il existe des hommes de loi pour viser tout document et, devant l’impossibilité de l’emprunteur de faire les frais d’un avocat, la justice lui en procure un gratuitement, que ce soit dans un cas civil ou criminel. Donc, il n’y a pas d’excuses d’ignorance de la part de l’emprunteur.
Q : Avez-vous le sentiment que la Commission d’enquête va aboutir à quelque chose?
R : Pour le Sale by Levy, il fallait commencer quelque part. On attend des recommandations de l’ex-juge Glover. Personnellement, je suis partisan d’une révision du taux d’intérêt élevé en vigueur alors sur les prêts contractés il y a des années, et le taux, pratiqué actuellement, qui est en baisse. Il faut un ajustement afin que les taux d’intérêt ne s’accumulent pas pour les débiteurs. Je voudrais aussi voir la création d’une ‘Land Bank’ où les terrains saisis pourraient être regroupés et mis à la barre par la suite. Tout le monde en sortirait gagnant.
Q : Quand les membres de la Law Society réclament que ceux qui déposent puissent être contre-interrogés par ses membres, n’est-ce pas un moyen d’intimidation de leur part ?
R : Ce n’est pas de l’intimidation de notre part. Nous vivons dans une démocratie et dans un État de droit. On veut bien que les procédés de la Commission lui commandent d’inviter des citoyens à venir déposer. Le hic est que la plupart de ces personnes viennent se défouler devant l’ex-juge sans preuves. Je serais le premier à condamner les brebis galeuses de la profession si les allégations devant la Commission étaient soutenues par des preuves tangibles.
Q : Ne pensez-vous pas que derrière tout ce qui a été dit, il y a un fond de vérité ?
R : Je prends un exemple pour vous répondre : un débiteur est appelé en Cour ; il vient retenir mes services et me paie mes honoraires. C’est un accord entre deux parties. Je vais en Cour pour le représenter et je demande, à sa requête, un renvoi. Ce client-là par la suite peut-il aller dire à la Commission qu’il m’a payé pour que je demande un renvoi ?
- Ces renvois fréquents semblent agacer certains.
R : C’est la Cour qui décide du renvoi si elle considère que c’est dans l’intérêt du débiteur ou du créancier. L’avoué n’a pas son mot à dire sur un renvoi. Le juge ne joue pas le jeu des avoués comme certains l’attestent. Je vous cite un autre cas. J’avais un client qui devait Rs 5 millions. À l’appel de l’affaire, il propose de rembourser dans un premier temps Rs 1, 5 million et demande un renvoi, à travers moi. La Cour a refusé cette demande et les biens de mon client ont été vendus.
Q : Dans les milieux du Sale by Levy en Cour suprême, on laisse entendre qu’il y aurait un accord tacite entre le créancier et le repreneur quand il y a la vente à la barre pour l’acquisition, à un prix dérisoire, d’un bien immobilier saisi.
R : Un accord tacite n’est pas possible entre le créancier et le repreneur. Car c’est un juge qui juge et il est impartial. Pour ce qui est du prix dérisoire, il existe à Maurice un phénomène : les gens n’aiment pas racheter une terre saisie, ce qui explique le prix, comme vous dites, dérisoire.
Q : Pourtant, on constate un engouement certain de la part des courtiers qui rôdent autour ?
R : Les Mauriciens n’aiment pas faire l’acquisition de biens saisis, ils appellent cela ‘la guigne’. Par contre, je constate que les débiteurs ne pensent jamais à se faire représenter par une tierce personne qui n’est autre qu’un proche pour faire monter les enchères lors de la vente. Ils auraient pu racheter leurs biens, mais faut-il encore qu’ils aient de quoi payer les 10% de versement à la Master’s Court.
Q : L’Article 1221 du Code civil autorise un avoué à percevoir une «commission ne pouvant excéder dix pour cent de la somme recouvrée». Il semble que ce barème est peu respecté par certains avoués qui, officieusement, peuvent demander le double de ce barème à des clients crédules. Vos commentaires.
R : L’avoué n’est pas partie prenante de l’acte d’emprunt. Quand quelqu’un a besoin d’argent, il approche une institution prêteuse. Tout document notarié est lu et expliqué au signataire devant le créancier. Venir dire après qu’il n’était pas au courant qu’il fallait payer les frais de justice et les 10% de commission relève de l’insouciance de la part de l’emprunteur. S’il y a des cas où des avoués ont perçu plus que le barème requis, que ceux qui se sentent lésés aillent à la police ou rapportent le cas à la Law Society.
Q : Existerait-il des brebis galeuses au sein de la profession des avoués ?
R : Il y a quelques avoués, ces derniers temps, qui sont passés devant un comité disciplinaire de la Cour suprême pour manquement professionnel et indiscipline. Il y a eu, à l’époque, le cas du Principal Crown Attorney à qui on reprochait des détournements de fonds. Il a été poursuivi.
Q : Ces avoués qui ont été rappelés à l’ordre par les juges figurent-ils sur la liste des avoués dénoncés devant la Commission d’enquête ?
R : Oui, il y a un avoué, rappelé à l’ordre par les juges, qui a été dénoncé devant la Commission d’enquête. Pourquoi je dis cela, c’est pour démontrer qu’il existe des instances pour protéger les citoyens.
Q : On constate que des avoués contre-attaquent en poursuivant au civil certaines personnes qui les ont dénoncés devant l’ex-juge Glover. Peut-on dire qu’ils veulent empêcher que d’autres ‘victimes’ viennent les dénoncer ?
R : Je le répète, on est dans un État de droit. Si un avoué se sent diffamé, il a
parfaitement le droit d’entamer des poursuites, mais il n’a pas encore gagné son procès, car celui qui est poursuivi peut aussi se défendre. Ce n’est pas une manœuvre d’intimidation de la part des avoués. Ceux qui viennent déposer doivent savoir que s’ils déposent sans preuves, ils peuvent être poursuivis pour parjure. Il faut des preuves. Il y a des petites gens, mais il y a aussi un grand judiciaire.
Q : La Law Society n’est-elle qu’un bouledogue sans dents ?
R : Est actuellement en préparation pour les avoués un Code of Ethics. On veut mettre en chantier un Tribunal disciplinaire, comme il en existe en Angleterre, avec un droit d’appel en Cour suprême. La Law Society peut référer des cas d’avoués coupables d’un manquement professionnel à la Cour suprême ou à l’Attorney General. On n’est donc pas un bouledogue sans dents.
Q : Soyons sérieux, pensez-vous qu’un avoué puisse dénoncer un de ses confrères ?
R : Vous ne pouvez pas savoir le nombre de procès entre hommes de loi qui sont devant la Cour suprême.