«Natacha est une professionnelle. On fait une bonne équipe,» dit Stéphan Buckland, ici quelques minutes avant sa séance de physiothérapie
Le corps de Stéphan Buckland, elle connaît. Natacha Jarousse-Gopaul, 30 ans, physiothérapeute, fait travailler, avec ses doigts de fée, les muscles du champion qu’elle a accompagné à ses frais jusqu’à Athènes, convaincue que «travailler en équipe, c’est être présent dans les moments les plus cruciaux de la compétition.»
Le premier jour, elle a pleuré. En voyant Stéphan Buckland s’élancer, gagner sa première qualification, Natacha Gopaul a craqué et versé ses larmes. Pareil pour les autres courses et surtout pour la finale où elle a ressenti la déception de Stéphan qui «avait bien bossé».
C’est sûr qu’elle est sensible et qu’elle pleure facilement, la jeune femme. Mais sans doute, l’émotion fut-elle encore plus profonde en pensant aux difficiles conditions dans lesquelles elle a dû fonctionner là-bas à Athènes .
Pas de chambre d’hôtel au départ ; on affichait complet. C’est sur un bateau «pourri», mais à 300 euros la nuit, loin de la ville qu’elle a dû se résoudre à passer ses premiers jours. Elle a fini par trouver finalement une chambre à 25 minutes de marche du village des jeux. Chaque matin et chaque soir, elle a fait l’aller-retour à pied.
Et ce, dans l’indifférence de la majorité des membres de la délégation mauricienne. L’exploit, elle l’a réalisé le jour du départ où à 3h30 du matin, fatiguée, on la voyait traîner sa valise dans une rue quasi déserte pour rejoindre les autres membres du groupe. Elle allait faire le voyage retour à Maurice.
Si Natacha est rentrée au pays déçue de la délégation mauricienne qui a fait preuve d’amateurisme, selon elle, la jeune femme garde quand même son enthousiasme, se dit heureuse d’avoir été là au moment qu’il fallait. Car au départ, son déplacement n’était pas prévu. Elle rentrait de Rome après avoir travaillé pendant deux semaines et retrouvait avec joie ses patients. Dont Stéphan dont elle s’occupe depuis seulement six mois.
«L’outil de travail de l’athlète, c’est son corps»
Quand elle le voit à son cabinet de consultation quelques jours avant les Jeux Olympiques, elle lui demande s’il pense que cela fera une différence au cas où elle viendrait à Athènes. Oui, lui répond Stéphan. Il y aura une différence.
Alors Natacha n’hésite pas, multiplie ses démarches, achète son billet «à un prix exorbitant», remet son gros volume de travail à plus tard, et s’embarque pour le pays des Dieux où pendant trois heures le matin et trois autres heures l’après-midi, elle s’est évertuée à «optimiser les compétences» du champion.
Explication : «L’outil de travail de l’athlète, c’est son corps, et mon travail c’est d’optimiser son outil de travail.» Toujours pas compris ? «Un physio, c’est un professionnel qui a la connaissance de l’ensemble du corps humain, surtout de ses données musculaires, osseuses et neuromusculaires»,
Parmi ses clients, il y a, certes, Stéphan qui dit d’elle : «Natacha est une professionnelle. Je respecte son travail. On fait une bonne équipe. »Mais il y a aussi les autres, quelque «800 patients», allant «de la petite fille qui ne marche pas» à ceux qui ont « le dos fatigué par les piétinements» en passant par ces autres «aux jambes lourdes, aux maux de tête» à qui Natacha propose sa méthode ‘Feldenkrais’, soit «des mouvements lents et progressifs, une méthode proche de la gymnastique douce et de la relaxation par son côté apaisant.»
Elle les a fidélisés depuis 2001 quand elle a débuté sa vie professionnelle après ses études en France d’où elle est originaire. Elle les reçoit à Tamarin, village à double visage où les belles demeures, perchées sur le flanc de la montagne, toisent les maisons d’en bas. Elle a choisi ce lieu à cause de sa proximité avec la mer où tous les jours entre midi et quatorze heures, elle s’autorise sa «sieste aquatique» elle qui a été championne de France de natation longue distance (10 h non stop) en 93 et qui a pratiqué le triathlon pendant 8 ans.
Natacha vit et donne des consultations dans sa jolie maison- salon aménagé façon ‘Arts et Déco’, canapé et rideau de toile écrue, meubles en bois, bougeoirs, bougies- où elle accueille pieds nus, laissant traîner sur son passage le troublant effluve sucré d’Angel de Thierry Mugler. Première rencontre et la voilà qui prévient : «Je suis une grande bavarde» . On fait le constat tout de suite.
Passé le moment où elle ouvre la porte et qu’elle s’installe, la voilà qui commence. Elle propose du café, du thé, de l’eau, s’excuse de ne pas avoir d’autres boissons, veille au confort, fait jouer un CD de UB 40 – qui tranche avec le zouk sur lequel elle aime danser en boîte – et égrène sa vie de sa voix d’adolescente.
Deux hommes dans sa vie
D’abord sa passion. Car s’il y a un mot qui la qualifie, c’est bien passion. Elle fait partie de ceux qui se lèvent chaque matin, heureux de pratiquer leur métier, qui bénissent chaque jour qui passe, et qui restent positifs comme sont seuls ceux qui ont tutoyé la mort.
Elle en a fait la douloureuse expérience. Ça lui est arrivé l’année de ses 21 ans, un jour où elle faisait un pique-nique à Cannes. Elle a fait une chute d’une falaise, est restée 17 jours dans le coma, a passé sept mois à l’hôpital. Les médecins lui ont prédit une paralysie, mais elle s’est battue, car ne pouvant supporter de ne plus jamais faire du sport, surtout du triathlon qu’elle pratique depuis toute petite aux côtés de son père, pilote de ligne, un homme qui l’a marquée. «J’adore mon père. C’est un homme juste.»
Elle aime parler de lui. Son nom revient souvent, tout le temps. Deux hommes dans sa vie : son père et son mari, Sanjay, économiste chez de Chazal Du Mée qu’elle a rencontré juste avant son accident lors d’un séjour à Maurice. «Il m’écrivait tous les jours, mais vraiment tous les jours. Il avait acheté une télécopieuse. En 2000, j’ai pris mes deux vélos et mes cartons et j’ai débarqué.» Depuis, elle ne l’a plus quitté, s’est mariée et le regarde langoureusement avec les yeux d’une femme amoureuse…