On pourrait les surnommer les ‘Trois Mousquetaires’. Sans être un Lech Walesa, Tulsiraj Benydin, Rashid Imrith et Radakrishna Sadien sont comme leur pair syndicaliste polonais. Ils viennent de faire courber l’échine au gouvernement sur l’épineuse loi régissant la Mauritius Revenue Authority (MRA).
La MRA sera créée pour regrouper cinq départements : Douane, VAT, Income Tax, Large Tax Payers et Registry. Portraits croisés d’un trio qui joue volontiers le rôle de trublion.
Ils tirent sur tout ce qui bouge. Et se la jouent serré à la table des négociations. Le trio gagnant constitué de Tulsiraj, Rashid et Radakrishna fait du rentre-dedans quand il sent ses membres menacés dans ses fonctions. Grandes gueules, ils manient avec délectation le verbe.
Fonctionnaires types, ces trois-là sortent leurs griffes contre tous ceux qui viennent remettre en question leurs droits acquis. Paul Bérenger et Pravind Jugnauth viennent de l’apprendre à leurs dépens sur la MRA. Sous pression, les Nos 1 et 2 du gouvernement ont dû faire d’énormes concessions.
Ces concessions sont, entre autres : le transfert, sans sélection, des départements de recouvrement des revenus de l’État à la MRA de 1100 fonctionnaires, y compris les Principal Officers; ceux qui optent pour la retraite partiront avec un soixantième de leurs salaires par année de service en plus de ce qui est prévu par la loi; ce n’est plus le Premier ministre qui choisira le président de la MRA, mais le Président de la République.
Qu’est-ce qui fait donc courir nos trois syndicalistes ?
Ils ont le social collé à la peau, selon eux. «Avec Alan Driver, ex-député du PMSD, j’étais engagé très jeune dans des mouvements de jeunesse et cela m’a donné le goût de travailler pour les autres», dit Tulsiraj Benydin. Il en va de même pour ses deux autres compères affiliés à des clubs de jeunesse.
Le social est-il un passage obligé pour aspirer à une carrière de syndicaliste ? «Disons que cela aide dans une large mesure, du fait de l’engagement à servir les autres», répond Rashid Imrith.
Pourtant, rien ne laissait présager un tel engagement syndical de leur part quand Tulsiraj, Rashid et Radakrishna, anciens enseignants du privé, rejoignent la grande famille de la fonction publique.
Quand il débute en tant que ‘Cadet Officer’ à la douane en 1973, Tulsiraj ne songeait pas à militer. « Mais durant les négociations de nos syndicalistes, je me permettais de donner mes idées et c’est là que les dirigeants de l’époque m’ont demandé d’être partie prenante de la lutte qu’ils mènent». Du simple secrétaire qu’il était, il préside à la destinée de la Customs and Excise Officers Union de 1982 à 1990, avant de s’envoler pour Bruxelles pour occuper le poste de secrétaire de la Confédération Mondiale du Travail jusqu’à l’an 2000.
Parcours plus ou moins semblable pour, Rashid et Radakrishna qui, du poste de trésorier de la Government General Services Union en 1977 et de simple membre de la Government Servants Association en 1979, respectivement, verront leur vie chambouler en étant nommés à la présidence.
Vie speedée
Cet engagement pour la cause syndicale est synonyme, avouent-ils, de la fin d’une vie de famille pénarde. Finies les grasses matinées à cause des sonneries des portables; finis les sorties, les ‘chowtary’, les ‘safran’, les ‘kirtan’ ou les ‘jhummah’. Finis aussi les déjeuners de midi et les en-cas de 15h00. Bonjour les brûlures d’estomac et les maux de tête causés par des ventres creux. «C’est une vie effrénée que nous menons sans que nous soyons rémunérés. Au contraire, nous dépensons beaucoup de notre poche quand nous sommes en grève», avance Tulsiraj Benydin
Leur engagement syndical n’est pas de tout repos pour leurs épouses et leurs enfants. S’ils ne s’en plaignent pas, Veni Sadien et ses enfants, Iannish et Amanda, Tara Benydin et ses deux filles, Noreyna et Trishilla – ces deux filles sont candidates au concours Miss Mauritius (voir texte en page 2) – et Zeenat Imrith et sa fille Aliah avouent que leurs maris et pères syndicalistes leur manquent parfois. «S’il n’est pas dans des réunions, il est dans des manifestations ou plongé dans de volumineux rapports, il est rarement à la maison», dit Tara, l’épouse de Tulsiraj Benydin.
«Même si la date d’un mariage est connue bien à l’avance, je ne peux jamais être sûre que Radakrishna va pouvoir nous accompagner, mes enfants et moi, car il se passe souvent un truc de dernière minute où les services de mon mari sont requis», déclare Veni Sadien.
«Une de mes meilleures collègues s’est mariée le 30 août dernier. Rashid n’a eu que le temps de venir prendre notre fille unique, Aliah Rashidah, et moi pour nous déposer à la réception avant d’aller rejoindre ses amis syndicalistes et les fonctionnaires pour la veillée syndicale», souligne Zeenat Imrith.
Qui dit syndicalisme dit, en principe, aussi sacrifices, engagement, négociations et ténacité. Car, sans cette volonté et cette intransigeance à toute épreuve de la part du trio, le gouvernement allait voter la MRA dans son libellé initial. Rashid Imrith s’en rend compte : «J’ai vécu beaucoup de mouvements de grève, mais celui de la MRA me ramène dans les années 70. C’est la plus belle victoire que j’ai connue en tant que syndicaliste. Savez-vous pourquoi? Notre cause était juste.»
Pourtant, disent Radakrishna Sadien et Tulsiraj Benydin, ils sont conscients que cela aurait pu mal finir pour eux et les fonctionnaires si Paul Bérenger et Pravind Jugnauth avaient campé sur leurs positions. «On voulait le dialogue pour montrer au gouvernement notre bonne foi. La situation s’est finalement décantée, à la satisfaction de toutes les parties», souligne Rashid Imrith.
Pourtant, les trois syndicalistes disent ne pas comprendre l’entêtement de Paul Bérenger au début, lui-même un ancien syndicaliste qui a fait parler de lui. «Le PM sait que quand les fonctionnaires se mobilisent, c’est qu’ils n’ont plus aucun recours et que, forcément, ils sont dans leur bon droit», déclare Radakrishna Sadien.
Une grève qui aurait pu finir mal, n’était-ce le rôle de médiateur joué par le leader de l’Opposition entre le gouvernement et les syndicalistes. Cette démarche a débloqué un ‘deadlock’ certain autour de la MRA. Sinon, le piquet de grève allait faire des dommages collatéraux. Côté cour, comme côté jardin.
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Origines modestes
Aucun des trois est né avec une cuillère en or dans la bouche. Le cas de Rashid Imrith est intéressant. Issu d’une famille de six enfants, le syndicaliste, né le 12 novembre 1956, a fréquenté l’école primaire de Beau Séjour avant d’effectuer ses études secondaires au collège New Eton. Son père étant charpentier, la vie n’est pas du tout rose. «À l’âge de 12 ans, je vendais des journaux tous les jours et je gagnais un demi-sou par journal. Je vendais aussi des billets de loterie pour pouvoir aider mes parents à payer les frais de scolarité», raconte Rashid Imrith. Après avoir été charpentier, machiniste, enseignant au collège Eden, il devient ‘Clerical Officer’ au ministère de l’Agriculture en octobre 1976 et, finalement, Higher Executive Officer au sein du même département. Marié en 1996 à Zeena, enseignante, il est père d’une fille de six ans, Aliah Rashidah.
Quand papa est ‘Job Contractor’, tout va, mais bien vite Tulsiraj Benydin voit sa vie devenir difficile quand son père perd son emploi et devient chauffeur d’autobus à la Moka Flacq Transport Company par la suite. Né le 2 février 1951, Tulsiraj fréquente l’école primaire St-Paul RCA, puis le collège Eden jusqu’à la Form V. Après deux ans comme enseignant du primaire, il rejoint les services douaniers en 1973 comme simple ‘Cadet Officer’ pour être aujourd’hui Principal Customs Officer. Il est père de deux filles, Noreyna et Trishilla, qui ont fait leurs études à Bruxelles quand papa était en fonction. Elles sont candidates au concours Miss Mauritius. (voir en page 2).
Cinquième d’une famille de neuf enfants, Radakrishna Sadien, fils de fonctionnaire, né en novembre 1955, a eu le malheur de perdre deux frères dans un incendie en 1981. Ses études primaires, il les a faites à l’école St-Patrick RCA, Plaine Magnien, d’où il est originaire, puis au collège Eden de Curepipe. Il prend de l’emploi au collège de Rose-Belle, devient agent de la poste pour ensuite devenir Evaluation Officer avant de gravir les échelons pour atteindre le grade de Principal Evaluation Technician. Marié à Veni, il est père de deux enfants, Iannish, 15 ans, 1er au CPE en 2000, et Amanda, 11 ans.
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Time off : jamais au bureau
Tout syndicaliste a droit à un ‘time-off’ quotidien de trois ou quatre heures. Mais Rashid, Tulsiraj et Radakrishna ne sont jamais à leurs bureaux. Raison avancée : trop de temps à consacrer aux dossiers et pas assez pour le travail pour lequel ils sont pourtant rémunérés à travers les deniers publics. Explication de Tulsiraj Benydin : «Il est une tradition dans le monde entier que les syndicalistes à la tête de fédérations regroupant des milliers de fonctionnaires aient tout le loisir pour s’occuper de leurs membres. C’est pour cela que je ne suis presque jamais au bureau. Il en va de même pour mes autres camarades».
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Les grands combats : joie et peine
Le monde du travail n’est pas toujours de tout repos. Il faut sans cesse se battre pour préserver ses droits acquis. Mais il y a des luttes syndicales qui se gagnent, d’autres qui se perdent. Ainsi, l’un des plus grands combats pour le trio Tulsiraj, Rashid et Radalrishna demeure la MRA. «Cette lutte nous ramène aux années 70 avec des revendications justifiées de révision salariale et c’était exaltant», explique Radakrishna Sadien.
Ainsi, les grandes joies demeurent la MRA, mais aussi le rapport Donald Chesworth en 1988 sans compter la garantie d’un boni de fin d’année intégral à tous les fonctionnaires à partir de 1985.
La déception, avance Rashid Imrith, est que les syndicats n’ont pu jusqu’ici obtenir de tout gouvernement «un salaire minimum» selon leur barème. «Il est malheureux que nous butions encore sur ce dossier, mais j’espère qu’un jour on aboutira dans ce combat», dit-il.
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Parcours presque similaires
S’il y a un parallèle à faire entre la vie de Tulsiraj Benydin, Radakrishna Sadien et Rashid Imrith, c’est bien leurs parcours syndicaux. Amis de longue date, les trois ont débuté comme animateurs de clubs de jeunesse dans leur adolescence pour finalement occuper des postes de responsabilité au sein de diverses fédérations syndicales.
Avant d’occuper un poste important au sein de la Confédération Mondiale du Travail à Bruxelles, Tulsiraj Benydin a été à la fois président de la puissante Customs and Excise Officers Union (CEOU) entre 1982 et 1990, tout en étant le président de la Fédération des Syndicats du Service Civil (FSSC) en 1985 à la tête de laquelle il est revenu après son retour au pays en l’an 2000. Il a été également le premier président du National Trade Union Council (NTUC).
Rashid Imrith a débuté comme trésorier à la Government General Services Union (GGSU) en 1997 et en est devenu le président en 1983, fonction qu’il occupe jusqu’à maintenant. Il a aussi été président de la FSSC durant six ans, avant de passer la barre à son pote Tulsiraj, dont il est aujourd’hui son adjoint.
Son camarade Radakrishna Sadien a fait ses premiers pas au sein de l’exécutif de la Government Servants Association (GSA) en 1992, puis est élu assistant secrétaire en 1981. Avec le départ de Malleck Amode, il a pris la présidence de la GSA qu’il assume jusqu’à aujourd’hui, il est aussi président de la State Employees Federation (SEF).
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Signes extérieurs de richesse
Les syndicalistes deviennent-ils des gens riches ? Un simple regard sur la maison de Tulsiraj Benydin et sur celle de Radakrishna Sadien pourrait en attester. «Mais ce sont des signes trompeurs. Ma maison est belle, je n’en disconviens pas, mais ce sont les économies faites pendant dix ans à Bruxelles qui m’ont permis de me l’offrir», dit avec force Tulsiraj Benydin. Il précise qu’il est douanier de nom : «Je n’ai jamais été affecté au port ou à l’aéroport, mais au sein de l’administration. Je n’ai jamais pris de pot-de-vin. Et puis, il y a ma femme qui travaille comme Nursing Officer, donc, nous vivons bien avec nos deux filles. Je n’ai pas peur de déclarer mes avoirs», précise-t-il.
Idem pour Radakrishna Sadien qui affirme que s’il vit dans une maison «correcte», ce n’est surtout pas grâce à son métier de syndicaliste. «J’ai fait beaucoup de sacrifices et ma femme, qui est coordinatrice dans une firme privée, m’aide financièrement», dit-il. Quant à Rashid Imrith, il n’affiche aucun signe extérieur de richesse. Ceci explique-t-il cela ? «Je mène une existence simple et je tente d’économiser pour la famille, au cas où», répond le vice-président de la FSSC.