Charlézia Alexis, l’égérie des Chagossiens, usée par les combats, présente aux côtés des siens mardi dernier
Elle n’a plus de souffle, Charlézia. Cette figure emblématique des Chagossiens est fatiguée. Usée, vieillie, cassée par ces longues années de combat. Lassée certes, mais toujours présente.
Devant la haute commission britannique mardi dernier, cette combattante de la première heure est là. Comme les autres, Charlézia veut se faire entendre. Elle veut crier, elle veut hurler. Mais c’est qu’elle est devenue vieille, Charlézia; elle n’a plus ce courage d’antan. Dans le concert des voix revendicatrices, sa voix se noie, se perd. Ses lèvres murmurent son slogan qu’elle traîne depuis les années 70. On devine ses mots «Rann nu Diego, Rann nu Diego,» essaye-t-elle, le regard perdu, tenant timidement sa pancarte avec comme inscription : «UK sakes, it’s children shame»
Comme Charlézia Alexis, elles sont venues en nombre ces femmes des îles ce mardi. Des femmes d’un autre tempérament. Des femmes-courage, des mères-militantes, des Chagossiennes qui mènent un combat d’homme. Car elles, comme les autres, ne comprennent pas comment après avoir obtenu le droit de retour aux Chagos en 2000 suite à un jugement de la Cour, elles ne peuvent plus mettre les pieds sur leur terre après les deux «orders in councils», émis par la Grande-Bretagne, qui interdisent aux Chagossiens de retourner chez eux. Elles ne comprennent pas non plus l’attitude du gouvernement britannique, qui, a travers une ‘revised declaration’, tente d’empêcher Maurice d’aller devant la Cour Internationale de Justice (CIJ). Vigilantes, elles suivent depuis la semaine dernière la détermination du Premier ministre Paul Bérenger d’aller quand même à la CIJ à titre consultatif.
Car un peu comme dans les années 70, la lutte des Chagossiens passe d’abord et avant tout par elles. Déterminées, motivées et décidées, ce sont elles qui mènent la manifestation devant la haute commission britannique.
Ce sont elles qui crient, qui s’égosillent «Anglais boire di sang sagossiens» «Tony Blair voler» «Diego pou nous, Peros pou nous, Salomon pou nou.»
Au premier rang, les natives de ces îles d’abord : l’irremplaçable Aurélie Talat, dont la petite taille ne traduit pas assez la grande bravoure. Aurélie, dont l’accent marque son identité, est de celles qui auront vécu douloureusement toutes les épreuves du déracinement. Emprisonnement, grève de la faim, manifestations, provocations : Aurélie a été de tous les combats.
Cette petite femme menue qui ne s’est jamais pliée dit que dès le départ, ce sont les femmes qui ont livré bataille : «Dès le premier jour, quand il fallait descendre dans les rues pour réclamer le retour à Diego, ce sont les femmes qui ont pris la bataille en main. Quand il a fallu dormir au Jardin de la Compagnie, les femmes n’ont pas hésité, quand la police a lancé du gaz lacrymogène, c’est toujours nous qui étions à l’avant-plan. Quand on a été déracinées et expulsées ici, nous les femmes, nous avons souffert dans notre chair. Quand je suis arrivée à Maurice, 8 jours plus tard, mon bébé qui venait de naître est mort. Je n’avais même pas d’argent pour l’enterrer. Le gouvernement s’en est chargé. Jusqu’aujourd’hui, je ne sais pas où est sa tombe. Il n’y a qu’une femme pour comprendre cette souffrance.»
Où sont les hommes ?
Pourquoi mènent-elles seules cette bataille sans les maris ? Parce que, nous explique Aurélie, la soixantaine, «dès le départ, nous étions comme des exilés ici. Il a fallu que les maris aillent chercher du travail pour nourrir les familles. Alors, il ne restait que nous les femmes. Dès ce moment-là, nous avons pris les opérations en main.»
Parmi les combattantes, il y a Aurélie et il y aussi Adeline Jaffar, 52 ans, l’autre infatigable, née a Salomon, venue à Maurice avec sa mère à l’âge de 14 ans et qui, enfiévrée par la cause de son peuple, descend régulièrement dans l’arène quand on a besoin d’elle : «Quand il y a une manifestation dans la communauté, c’est vrai que ce sont les femmes qui la préparent. Je pense qu’en tant que femme, cette douleur a une autre dimension,» explique Adeline, employée au marché central.
D’autres femmes : même destin, même souffrance. Elle, c’est Mimose Furcy, 49 ans, la sœur d’Olivier Bancoult, leader du Groupe Réfugiés Chagos, née elle sur l’île du coin à Peros Banhos : «Non zamais mo pas, pou blié, Mo ti éna 13 ans,» chante Mimose Furcy dans une de ses compositions. Non, elle n’oubliera pas dit-elle, elle n’oubliera pas non plus l’humiliation, le traumatisme vécu : «On nous a traités comme des animaux. J’étais jeune mais je me rappelle comment la police n’a pas hésité à tirer sur nous, les femmes. Il y avait des femmes avec leurs enfants et leurs bébés, mais les policiers s’en foutaient,» dit-elle.
Oui, le combat est mené par celles qui sont nées là-bas d’abord; mais il y a aussi les autres, celles issues de la deuxieme génération, nées de mère ou de père chagossien. Celles-là aussi sont solidaires. Lisette Francois, 44 ans, dont la mère, Julienne Lafoudre, a éclaté en sanglots devant la haute commission britannique mardi dernier, est née à Maurice. Mais qu’importe, c’est aussi son combat au nom des siens pour connaître «la terre de naissance de mes parents.» Lisette, la sœur du chanteur Ton Vié, se dit révoltée devant les larmes de sa mère. «Parfois je lui demande comment en est-on arrivé là.»
Alors, pour que le combat ne s’arrête pas, Lisette se dit prête : «Charlézia et les autres sont vieilles maintenant. Il faut que nous, les femmes de la deuxième génération, nous prenions le relais.» Toutes prêtes, les jeunes femmes se préparent. Sabrina Aristide, secrétaire de ‘Groupe Zenfants îlois’, détentrice d’un passeport britannique, est convaincue que «la continuité de la lutte passe par les jeunes femmes.»
Depuis que le cri de guerre a été lancé pour
que les Chagossiens vienent camper devant la haute commission britannique, Aurélie, Mimose, Sabrina, Adeline et Lisette s’pprêtent à affronter le froid
de l’hiver. «Carton ine fini paré,» conclut Lisette.
Le combat est assuré. Charlézia peut être fière.
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Les Chagossiens envisagent une grève de la faim
Dans deux semaines, si Londres ne réagit toujours pas, les Chagossiens dormiront devant la haute commission britannique. C’est ce qu’a annoncé Olivier Bancoult mardi dernier après avoir remis une pétition au nom des Chagossiens au No 1 de la commission britannique, Michael Plumb. Dans cette pétition, les Chagossiens réclament une visite des îles, le droit de retour, la compensation, une pension à vie pour les natifs et leurs enfants, des bourses d’études pour les enfants des Chagossiens. à 5-Plus qui l’interrogeait jeudi dernier, Olivier Bancoult va encore plus loin : «Nous envisageons sérieusement une grève de la faim,» dit-il. Alors que Tony Blair a annoncé à la Chambre des communes mercredi dernier que Diégo Garcia est important pour la sécurité de la Grande-Bretagne, Olivier Bancoult répond : «C’est une bonne chose que Tony Blair commence à parler, mais il ne faut pas qu’il oublie que c’est notre île, que les membres de notre famille sont enterrés là-bas, que notre droit reste fondamental.» Réagissant à la déclaration de Bill Rammel qui, tout en affirmant que le gouvernement n’envisage pas le repeuplement des Chagos mais est prêt à considérer un droit de visite, Olivier Bancoult estime qu’une nouvelle demande est mentionnée dans la pétition remise. Olivier Bancoult sera à la tribune de l’ONU mercredi prochain.
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Blair sort du silence
Enfin ! Tony Blair parle ! Ce n’est pas trop tôt. À la Chambre des communes mercredi dernier, Tony Blair a enfin reconnu que Diego Garcia est important pour la sécurité de la Grande-Bretagne. Le PM britannique répondait à une question du remuant back-bencher Jeremy Corbyn. De son côté, Bill Rammel, sous secrétaire d’État aux Affaires Étrangères et du Commonwealth, a affirmé que les Chagossiens pouvaient se rendre bientôt pour une prochaine visite aux Chagos mais qu’un retour permanent dans l’île n’est pas envisagé.