C’est elle la star du moment, celle sur qui tous les regards sont braqués et qui suscite de nombreux débats pour le moment… et pour encore longtemps, semble-t-il. Elle, c’est Nandanee Soornack.
Parfum de scandale. C’est la fragrance tendance de cette nouvelle année (qui faisait déjà des ravages en 2012). Et pour la concocter, tous les ingrédients sont réunis : une femme, une success story, une arrestation, des rumeurs, des faits et des découvertes. Et Nandanee Soornack, celle qui fait flotter dans l’air cet effluve persistant, a fait parler – encore plus – d’elle, cette semaine, en obtenant un ordre intérimaire interdisant à La Sentinelle Ltée et au Mauricien Ltée de publier des articles ayant trait à sa famille et à sa vie privée (voir hors-texte). Un «gagging order» – terme communément utilisé, mais qui, selon le juge Bushan Domah, n’est pas approprié – étendu jusqu’au 18 janvier, qui a été décrié par les responsables de ces groupes de presse. Mais aussi commenté par de nombreux observateurs politiques.
Pourtant, tout a commencé par une banale altercation. Une histoire qui pourrait, presque, faire rire : une femme n’accepte pas qu’un homme prenne sa photo et décide de faire une déposition contre lui. Ridicule ? Pas tout à fait. Surtout que la protagoniste n’est nulle autre que Nandanee Soornack, une activiste rouge. Le «photographe», lui, est Yogida Sawminaden, un activiste du MSM. Ce dernier sera, par la suite, accusé de «using a telecommunication service for the purpose of causing needless anxiety to a person» jusqu’à ce que l’affaire soit rayée à la demande de la poursuite.
L’opposition se déchaîne alors et parle de «traitement de faveur». S’ensuivront le transfert de deux policiers, une PNQ de Paul Bérenger suite à cet incident et de nombreux papiers sur l’activiste rouge… L’affaire Nandanee Soornack voit le jour, entraînant avec elle de nombreuses questions – et des révélations – sur les affaires florissantes de cette mère de famille, mais aussi sur sa vie privée (d’où sa demande pour obtenir un «gagging order»). Du coup, différentes interrogations concernant le rôle de la presse et le «pouvoir» de cette femme ont fleuri dans la presse, sur les radios, sur les réseaux sociaux, dans les forums de discussions et dans les salons… comme un parfum entêtant.
Et que pensent les observateurs politiques des proportions qu’a prises cette affaire, cette semaine ? Christina Chan Meetoo, chargée de cours en communication et médias à l’Université de Maurice, estime qu’elle a pris de «trop grandes proportions» : «Surtout pour une affaire comme celle-ci. C’est une situation embarrassante pour tout le monde.» Néanmoins, elle estime que le ruling du juge Bushan Domah, est «assez bien raisonné» : «Il n’a pas empêché de parler sur ses business. Et j’estime qu’il n’y a pas eu tentative de museler la presse.»
Néanmoins, la problématique vie privée/vie publique n’est pas résolue pour autant. Surtout, s’il y a matière à prouver que l’aspect privé a une quelconque influence sur l’aspect publique. «Si on peut prouver que certaines relations ont permis des passe-droits, qu’il y a une forme de corruption ou que les affaires d’État sont détournés au profit d’une personne, la presse se doit d’enquêter et les institutions aussi», confie Christina Chan Meetoo. Avis que partage l’historien Jocelyn Chan Low. «Si la vie privée affecte la bonne marche d’un État, par exemple, cela pose problème et entre dans la sphère publique», précisait-il, cette semaine, dans la presse.
Nandanee Soornack, faisait savoir, par voie d’affidavit, il y a quelques jours : «Je n’ai bénéficié d’aucune faveur dans mon business.» Pour Jayen Chellum, secrétaire général de l’Association des Consommateurs de l’île Maurice, qui s’est exprimé lors d’une conférence de presse le vendredi 11 janvier, il est toutefois nécessaire de comprendre comment Nandanee Soornack a obtenu certains contrats : «Ce n’est pas n’importe qui. Elle a été défendue au Parlement par le Premier ministre (…) La population a le droit de savoir comment elle a décroché des contrats au sein d’une institution gérée par le gouvernement.» Pour pouvoir expliquer le «comment», faut-il passer par le privé ?
Nandanee Soornack estime qu’elle n’est pas un personnage public et, donc, que sa vie n’est pas d’intérêt public. Néanmoins, Jack Bizlall a une tout autre lecture du «statut» de la businesswoman. «Nandanee Soornack est une femme publique, étant à la fois une activiste du PTr et une femme d’affaires. Tout ce qu’elle fait dans ces deux cadres relève du domaine public. Et elle doit se soumettre à la critique des autres citoyens et de la presse, en particulier. Il n’y a aucun doute à ce sujet. Ce qu’il faut voir, c’est sur quoi on peut juger ses actes», a-t-il déclaré dans un hebdomadaire.
Une opinion tranchée. Comme la vôtre, peut-être. Car ce qui fait le succès du parfum tendance depuis ce début d’année, c’est que tout le monde a son avis sur sa fragrance…
La Sentinelle : «Le ”ruling” choisit de ne pas répondre…»
Pour bien comprendre le ruling du juge Domah, il faut d’abord comprendre la question qu’il lui avait été demandé de trancher.
La Sentinelle Ltd avait soulevé un point préliminaire en droit et demandé que l’ordre obtenu ex parte soit immédiatement annulé (discharged). Cette demande en droit était fondée sur le principe simple suivant lequel la personne qui demande un ordre ex parte (hors la présence des parties adverses) a le devoir de faire un «full and frank disclosure» des faits pertinents. Ceci afin que le juge prenne sa décision, hors la présence des parties adverses, mais au moins en toute connaissance de cause. Il est bien établi en droit qu’un «non-disclosure of material facts» entraîne le «immediate discharge» de l’ordre intérimaire.
C’est au paragraphe 31 du ruling que le juge aborde la question en droit soulevée pour la rejeter en deux lignes : «I think this issue of full and frank disclosure is technical for a matter of such magnitude.»
L’élément le plus essentiel de ce ruling est donc que le juge choisit de ne pas répondre à la question de savoir s’il y a eu, oui ou non, un «full and frank disclosure» de la part de la demanderesse.
Le ruling ne considère donc même pas utile de spécifier quels sont ces faits matériels, mis en avant par les défendeurs dans leur affidavit, qui auraient dû, selon eux, avoir été «disclosed» par la demanderesse dans son premier affidavit.
Par exemple, le fait que l’incident du 10 décembre 2012 a eu lieu le jour des résultats des élections municipales, en public, dans la cour d’un bureau de vote alors que Mme Soornack était un agent politique officiel du parti politique au pouvoir. Que ledit incident impliquant la demanderesse avait donné lieu à une PNQ du leader de l’opposition à l’Assemblée nationale le 18 décembre portant sur l’abus des pouvoirs d’arrestation et de fouille de la police dont Mme Soornack aurait été la bénéficiaire et dont un activiste d’un parti d’opposition se disait victime. Ou alors le fait que, deux jours avant que Mme Soornack ne loge sa demande de gagging order, l’ex-vice Premier ministre et ministre des Finances, l’Honorable Pravind Jugnauth, avait dans un statement à la police accusé Mme Soornack d’avoir obtenu des faveurs politiques dans l’allocation de certains contrats par des institutions contrôlées par l’État.
Le ruling choisit donc de ne pas répondre si, oui ou non, ces faits étaient pertinents et auraient donc dû être révélés par une personne réclamant, ex parte, un gagging order contre des journaux. Le résultat est que l’ordre intérimaire interdisant à des journaux de parler de quelque aspect que ce soit de la vie privée de Mme Soornack est étendu.
Ce ruling est une décision de la justice de la République de Maurice. Nous ne pouvons, bien entendu, qu’en prendre acte pour l’instant.
To be continued …le 18 janvier
Il faudra patienter encore quelques jours. Jusqu’au 18 janvier précisément afin de savoir si l’ordre intérimaire, empêchant La Sentinelle Ltée et Le Mauricien Ltée de parler de la vie privée et de la famille de Nandanee Soornack, sera maintenu. Quelques jours pour que le juge Bushan Domah, comme il l’a indiqué dans son ruling, décide si Nandanee Soornack est une « figure publique », de par «son association avec une personnalité importante du pays». Ainsi, il pourra décider «jusqu’où peut aller la presse dans l’intrusion dans sa vie privée».
La presse, estime-t-il, garde sa liberté d’expression : «L’ordre intérimaire émis samedi n’a pas bâillonné la presse (…) Il n’y a pas eu de black-out, non plus. » Néanmoins, ceux concernés estiment, eux, qu’il s’agit d’un gagging order et d’une violation de la liberté de la presse. C’est dans cette optique qu’ils ont juré des affidavits pour contrer les arguments avancés par Nandanee Soornack pour l’obtention d’un ordre intérimaire, émis le 5 janvier. La Sentinelle estime que des détails de la vie privée de la plaignante pourraient être dévoilés s’il s’agit d’une question d’intérêt public.