Le Budget de Pravind Jugnauth sent les élections générales. À un an des législatives, le contraire eût étonné.
Le ministre des Finances n’a pas hésité à braconner sur le terrain du leader de l’Opposition en mettant en relief la démocratisation de l’économie. Un concept sinon porté aux fonts baptismaux par Navin Ramgoolam du moins instrumentalisé par lui dans sa tentative de reconquérir le pouvoir.
L’accès aux terres au plus grand nombre, doper les petites et moyennes entreprises, restructurer la fiscalité directe au bénéfice de la majorité des Mauriciens, détaxer la barre de construction et les médicaments, augmentation de la pension de vieillesse et du don gouvernemental pour la construction d’une dalle, report de la réforme des administrations régionales et son corollaire, la taxe rurale. Pravind Jugnauth caresse dans le sens du poil la population, plus spécialement son électorat de plus en plus attentif aux sirènes de Navin Ramgoolam.
La restructuration de la fiscalité directe pénalisera les plus gros salariés; la taxe sur les dividendes, elle, les grandes entreprises les plus profitables. Même s’il ne l’a pas dit, on pourrait comprendre que Pravind Jugnauth a voulu faire passer le message qu’il s’attaque au gros capital, voué aux gémonies par le leader de l’Opposition.
Le secteur privé fait la gueule. C’est la preuve que Pravind Jugnauth a envoyé le balancier dans l’autre sens même si les syndicats trouvent qu’on est en train de démanteler l’État-providence par le biais de la restructuration de la pension de vieillesse.
La cerise sur le gâteau populaire eût été le rétablissement de la taxe de sortie sur le sucre. Mais là, le ministre des Finances n’a pas osé peut-être par conviction mais certainement pour ne pas se heurter à Paul Bérenger comme l’a été Manou Bheenick dans le passé.
Navin Ramgoolam a senti le danger.
Le leader de l’Opposition a laissé entendre donc que les mesures de Pravind Jugnauth pour démocratiser l’économie ne sont que des … mesurettes, de la poudre aux yeux.
Réagissant à chaud, vendredi soir, Navin Ramgoolam a dit qu’il prendra, une fois au pouvoir, des mesures “radicales pour permettre une vraie démocratisation de l’économie”.
Il faut désormais s’attendre à une radicalisation du discours du leader de l’Opposition. Il fera de la surenchère.
Pravind Jugnauth, quant à lui, prend un risque. Il joue quitte ou double.
Avec son Budget à la tonalité sociale et populaire, le ministre des Finances espère créer un sentiment de bien-être dans la population. Pravind Jugnauth a fait du quatrième Budget de l’Alliance MSM/MMM ‘son’ Budget. À aucun moment il n’a, par exemple, cité le nom de son prédécesseur, Paul Bérenger avec ses budgets ‘serre ceinture’, dans son discours. Si cet exercice ne crée pas un déclic psychologique dans la population, si le ‘feel good factor’ tant escompté n’est pas au rendez-vous, il sera sanctionné. Le gouvernement risque alors de faire naufrage en 2005, lui avec. À moins qu’il essaye une reprise en main avec un deuxième Budget vraiment électoraliste en juin 2005, à la veille des législatives.
Si son premier Budget marche, Pravind Jugnauth sera mis en orbite pour éventuellement occuper le poste suprême.
Les Mauriciens s’attendent à ce que la qualité de leur vie s’améliore. Ils sont impatients. Ils espèrent ressentir les bienfaits du Budget dans leur vie de tous les jours.
La dépréciation de la roupie cumulée à l’augmentation des prix des produits importés pourrait relancer, par exemple, l’inflation, ruinant ainsi le désir de Pravind Jugnauth de juguler la baisse du pouvoir d’achat des Mauriciens. Le démantèlement de l’Accord Multifibre pourrait porter de rudes coups à la zone franche alors que le Protocole Sucre est sous pression. L’Accord Cotonou, avatar de la Convention de Lomé, arrive à sa fin.
Il existe donc des paramètres que le ministre des Finances ne contrôle pas. C’est ça le problème pour lui.
Navin Ramgoolam est devenu un ‘street fighter’, un sniper qui aura constamment dans sa ligne de mire Pravind Jugnauth – celui-ci a repoussé ses appels du pied - qui pourtant à l’Assemblée nationale, vendredi, n’a fait, paradoxalement, aucune référence à l’“héritage catastrophique du PTr” bien qu’il ait joué sur le terrain politique avec son Budget.
Le ministre des Finances a voulu être digne.
Pourra-t-il garder cette posture alors que ça commence à sentir les élections?