Preuves à l’appui, le co-négociateur de la Maritime Transport & Port Employees Union (MTPEU), Moosa Ibrahim, affirme que le ministre Sangeet Fowdar était au courant du dossier des portiques et qu’il a même donné son feu vert pour aller de l’avant avec le projet.
Q : Qu’est-ce qui a déclenché le scandale au sujet de l’acquisition des portiques par la Cargo Handling Corporation ?
R : C’est la façon de faire de la Mauritius Ports Authority (MPA) et de la Cargo Handling Corporation (CHC) concernant l’acquisition des portiques qui nous a mis la puce à l’oreille. Les procédures habituelles n’ont pas été suivies, car la direction de ces deux corps para-étatiques a changé ces procédures.
Q : Expliquez-vous.
R : Pour l’allocation de contrats, la MPA a l’habitude de louer les services d’un consultant pour lui conseiller sur un exercice de préqualification invitant des fabricants de portiques dans le monde à soumettre leurs offres à travers un appel d’offres. On constate que pour l’acquisition de ces portiques, ce n’est pas un appel d’offres qui a été lancé, mais une quotation. Comment se fait-il que la MPA et la CHC entrent dans des procédures aussi simples pour un projet nécessitant des investissements de Rs 400 millions ? Cela sent le scandale.
Q : Contre quoi votre syndicat s’insurge-t-il le plus ?
R : Un simple exemple : le délai très court pour la soumission des quotations. Comment peut-on ne pas réagir quand on sait que pour la location de la cantine de la CHC, le délai pour les appels d’offres avait été de 30 jours ? Par contre, pour investir des centaines de millions de roupies, la CHC ouvre la soumission des quotations le 5 mars pour la fermer le 15 mars. Cela nous a intrigué et nous a poussé à réagir. Un deuxième point : sur quelle base s’est appuyée la CHC pour faire une ‘short list’ afin d’accepter un nombre limité de soumissionnaires ?
Q : Les portiques devaient-ils être achetés par la MPA ou par la CHC?
R : Notre première interrogation a été : Pourquoi la MPA achète-t-elle un portique et la CHC un autre ? Le port de Port-Louis est un ‘landlord port’; en termes plus clairs, toutes les superstructures appartiennent à la MPA; la CHC n’est qu’un simple opérateur pour le compte de la MPA. Si cette dernière veut à l’avenir changer d’opérateur, est-ce que la CHC partira avec son portique, paralysant ainsi le port ? Est-ce normal que c’est la MPA qui achète les portiques mais laisse le soin à la CHC de préparer les procédures d’achat à sa place? Jamais cela ne s’est produit jusqu’ici.
Q : Y a-t-il des membres de la MPA qui siègent au sein du Conseil d’administration de la CHC ?
R : Sans compter les représentants de différents ministères, dont celui du ministre Sangeet Fowdar, il y a deux membres de la MPA au sein du Board de la CHC, car la MPA est actionnaire à 40 %. Or, ces deux membres n’ont rien dit au sein du Conseil d’administration de la CHC quand la décision a été prise pour l’acquisition des portiques et, en plus, quand ils viennent rapporter au Board de la MPA, ils endossent la décision prise par la CHC.
Q : Quand avez-vous découvert qu’il y avait une différence entre le ‘operating lease’ et le ‘finance lease’ ?
R : On a eu certaines informations qui se sont révélées vraies. Dans un document de la MPA, mention est faite d’une ‘lease purchase option’. Ces messieurs veulent-ils me faire avaler qu’ils ne savent pas ce que c’est qu’une telle option ? Un simple profane comme moi peut ne pas comprendre la différence entre un ‘operating lease’ et un ‘purchase lease’. Pas des professionnels comme le Secrétaire permanent, les comptables qui ont préparé les documents et même le ministre Sangeet Fowdar qui est un expert-comptable.(ndlr : un ‘operating lease’ est la location d’équipements à travers un crédit-bail et qui ne reviennent jamais à l’acheteur. L’aval du Central Tender Board n’est pas nécessaire. Un ‘finance lease’ est l’acquisition, à travers un crédit-bail, d’équipements qui reviennent à l’acheteur au paiement de la dernière tranche. Ce type de crédit-bail a besoin de l’accord du CTB).
Q : L’option ‘purchase’ a-t-elle finalement été agréée ?
R : La CHC a eu l’offre de sept compagnies. Finalement, ce n’est que IMCC qui a respecté les spécifications. La CHC a alors mis sur pied deux comités, l’un technique et l’autre, pour s’occuper des finances, chargé de faire une ‘financial evaluation of offer’. Après cet exercice, le ‘board’ de la CHC, fort des recommandations des deux comités, a recommandé de porter le choix sur IMCC d’Abu Dhabi. C’est quoi la principale recommandation ? Une ‘lease purchase option’.
Q : Mais le ministre Sangeet Fowdar est venu affirmer à l’Assemblée nationale le 4 mai dernier qu’il avait été mal renseigné et qu’il ne savait rien de cette option d’achat. Qui dit vrai ?
R : Le rapport de la MPA (ndlr : réf : FY2003/2004 Paper No 168. Item No 2 (ii) of Agenda for Board Meeting of 31 March 2004), avant d’atterrir au Board de la CHC, a été discuté entre la MPA, la CHC et le ministre Sangeet Fowdar. C’était le 25 mars 2004, soit six jours avant que le Board ne ratifie l’offre en faveur de IMCC. Le ministre, selon le document, a donné son feu vert pour aller de l’avant avec le projet.
- Vous laissez entendre donc que le ministre Fowdar était parfaitement au courant de toutes les transactions.
R : Le ministre Fowdar savait très bien que c’était une ‘purchase lease’ et il était au courant de tout le dossier du début à la fin parce qu’il a donné son “green light” (ndlr : terme utilisé dans le rapport de la MPA) pour aller de l’avant.
- Pourtant, lors de la Private Notice Question (PNQ) du leader de l’Opposition le mardi 4 mai dernier, Sangeet Fowdar a dit qu’il n’était pas au courant qu’il s’agissait d’une ‘purchase lease’.
R : Peut-on croire le ministre Sangeet Fowdar quand il vient dire qu’il n’était pas au courant ? Je fais remarquer que, lors d’un deuxième ‘statement’ dans l’après-midi suivant la PNQ, il est venu dire qu’il n’avait pas été adéquatement informé. Pour nous à la MTPEU, ce ne sont pas seulement la CHC et la MPA qui sont fautives dans cette histoire, mais également le ministre, car ces deux oganismes tombent sous sa tutelle et il a donné son feu vert le 25 mars 2004.
Q : Vous portez de graves accusations, M. Ibrahim
R : Je constate les faits qui parlent d’eux-mêmes. Si M. Fowdar est pris dans cet engrenage, qu’il assume ses responsabilités.
Q : Venons-en à Gaëtan Pillay, président de la CHC : en quelle capacité est-il parti à Abu Dhabi en compagnie de Nizam Bundhun, Secrétaire permanent du ministre Fowdar ?
R : Était-ce leur devoir d’aller à Abu Dhabi pour aller voir les portiques ? Quelles sont leurs compétences techniques ? C’est franchement ridicule. S’il fallait aller voir le ‘yard’ de IMMC, on aurait dû envoyer des professionnels, des techniciens ou des ingénieurs qui ont des compétences en la matière. Quel était le but d’une telle visite ? De voir si la compagnie peut construire les portiques.
Q : Il faut reconnaître que la CHC s’est tournée vers le Central Tender Board (CTB) pour rechercher son avis sur l’acquisition de ces portiques à travers un crédit-bail.
R : Il faut savoir ce que la CHC a écrit dans sa lettre adressée au CTB. Si, par exemple, la CHC a écrit que c’était un ‘operating lease’, c’est que cela a été fait délibérément pour induire en erreur le CTB. Car le document de la MPA fait mention d’une ‘lease purchase option’. Si on pose une mauvaise question, on a une mauvaise réponse. Toutefois, le CTB est un garde-fou et protège les fonds publics. Avant de répondre, le CTB aurait dû demander un supplément d’information à la CHC, car on parle ici de Rs 400 millions.
Q : Vous qui avez levé le lièvre, iriez-vous témoigner devant la commission d’enquête nommée par le gouvernement ?
R : Si les ‘terms of reference’ sont limitées au seul ‘bribe’, nous, au syndicat, nous ne sommes pas disposés à déposer. Je constate que le leader de l’Opposition a été piégé par Paul Bérenger qui a axé les ‘terms of reference’ sur le seul bribe, puisque Navin Ramgoolam avait dit qu’il avait des preuves qu’il y avait eu ‘bribe’. Or, il est impossible de prouver que des ‘bribes’ ont été obtenus. On ne va arriver nulle part avec cette commission d’enquête; tout le monde sera blanchi car les ‘terms of reference’ ne permettent pas d’aller dénicher les coupables. À quoi cela sert-il d’aller témoigner ? Par contre, nous donnerons au président de cette commission les documents qui sont en notre possession.
Q : Pensez-vous que tous ceux mis en cause dans ce scandale devraient ‘step down’, à défaut de démissionner, le temps des travaux de la commission d’enquête?
R : Ceux qui ont pris la décision ou qui ont donné le ‘green light’, à commencer par le ministre Sangeet Fowdar, doivent ‘step down’. Pourquoi quand un simple travailleur commet une faute est-il interdit jusqu’à ce que son affaire soit entendue ? La seule présence de Gaëtan Pillay et du ministre Sangeet Fowdar peut influencer quelque part, car le président de la commission d’enquête ira vers eux pour leur demander des renseignements et ce sont eux qui donneront ces renseignements.
Q : Au port, la perception est qu’il y aura tentative de cover-up. Se peut-il qu’il en soit ainsi ?
R : Sans dire que je n’ai pas confiance en l’ex-juge Glover et sans mettre son intégrité en doute, la peur du cover-up existe, car les travailleurs du port craignent que ne se répète le même scénario que lors de la précédente commission d’enquête sur la CHC sur le fameux IOU (ndlr : I Owe You). Au lieu d’être remerciés, certains ont obtenu une promotion, alors que d’autres sont partis avec un ‘golden hand shake’. D’où la colère de la plupart des petits travailleurs contre ces nominés politiques de tous bords qui se trouvent à tous les niveaux de la CHC et qui agissent comme seuls maîtres à bord.
Q : Est-ce que mention est faite dans le document de la MPA de ce fameux 3% ? (ndlr : L’Opposition avait affirmé que des banques commerciales avaient proposé de financer l’acquisition des portiques à travers un prêt au taux d’intérêt de 3%)
R : L’offre de 3% n’est nullement mentionnée dans le rapport à partir duquel la décision a été prise d’aller de l’avant avec le soumissionnaire IMMC. Pour quelle raison cette offre n’a-t-elle pas été communiquée au Board et aux comptables siégeant au sein du comité finance pour l’acquisition de ces portiques ? Si cela a été le cas, pourquoi alors ces comptables n’ont-ils pas attiré l’attention du Board ?