Dans l’interview qui suit, Jooneed Jeerooburkhan, un des fondateurs du MMM, qui a émigré au Canada depuis 1972, retrace brièvement l’histoire du MMM, une histoire ratée, selon lui. Il livre aussi ses impressions sur le pays qu’il revoit après plusieurs années et aborde les événements en Irak. Il a vécu les débuts de la guerre dans ce pays en tant que journaliste.
Q. Quel regard jetez-vous sur le pays depuis votre départ il y une trentaine d’années?
R. Il y a eu un changement. Le pays a suivi, en apparence, la tendance modernisatrice du monde dans son ensemble. Maurice se maintient au diapason; avec les pressions mondiales, il ne pouvait en être autrement. Toutefois, dans le fond, le pays n’a pas tellement changé. Sous la surface, l’on peut même dire qu’il y a eu régression, il y a une montée du chômage notamment. Les gens se plaignent d’une hausse du coût de la vie. Il y a aussi le phénomène des nouveaux ‘coolies’, c’est-à-dire les ouvriers chinois, indiens, qui travaillent sous contrat, preuve que notre économie n’a pas beaucoup changé et perpétue un peu le système esclavagiste. L’on ne peut pas dire qu’il y a l’esclavage comme il y avait deux siècles de cela, mais nous nous trouvons dans un contexte que j’appelle de l’esclavage ‘soft’.
Q. Vous avez été un des fondateurs du MMM. Cette formation est aujourd’hui au pouvoir. Que pouvez-vous dire de l’évolution du MMM depuis sa création au début des années 70 jusqu’à nos jours?
R. Le MMM a vu le jour en 70 et présentait, à l’époque, un projet rassembleur. Il y a deux grandes forces qui influent sur un parti politique : la race et la caste. Ainsi, quand on a lancé le MMM, on voulait bâtir une nation mais le MMM a échoué dans cette entreprise. Il a même fait volte-face. Ce parti a pactisé avec les forces traditionnelles et Paul Bérenger s’est revelé être un practicien du communalisme scientifique.
Q. Pensez-vous qu’il existe encore un parti qui incarne les idéaux du MMM?
R. Peut-être Lalit, mais ce parti n’a pas été en mesure d’élargir sa base. Il faut qu’il fasse son autocritique pour savoir pourquoi il est resté limité. Lalit a tenté de présenter des candidats, comme l’on dit chez nous, ‘colour blind’, c’est-à-dire qu’il a cherché à présenter des candidats qui ne représentaient pas la majorité communale de la région où ils étaient en lice, mais cela n’a pas été bien accueilli. Je trouve aussi que le programme du MMM des débuts se retrouve dans celui de ‘Les Verts’.
Q. Que pensez-vous des retombées de l’affaire Deelchand?
R. Je trouve que c’est très bien pour la démocratie. Il y a tellement d’ordures à déballer à Maurice. C’est la preuve que le journalisme d’investigation se porte bien à Maurice. Toutefois, ceci n’est que la partie visible de l’iceberg. Maurice est un petit aquarium et quand les projecteurs sont braqués sur les petits poissons, il y a des gros requins qui se cachent dans l’obscurité.
Q. Vous travaillez actuellement au journal ‘La presse’ à Montréal et en tant que journaliste, vous avez eu l’occasion de couvrir la guerre en Irak. Un an après, la situation est chaotique, notamment dans les villes de Nadjaf et de Falloudjia. Votre analyse?
R. La guerre en Irak est une suite logique d’événements. Après la fin de la guerre froide, on a vu une poussée des Occidentaux au Moyen-Orient. L’on a parlé de nouveau Vietnam pour les Américains mais je pense que cette analogie ne tient pas la route. Mais il est vrai que l’Irak pourrait devenir le théâtre d’un nouvel échec pour les Américains. L’occupation de l’Irak par les Américains peut être vue comme une volonté américaine de surmonter le syndrome vietnamien, c’est-à-dire un sentiment d’échec, et de démontrer qu’ils ne fléchiront pas. Personnellement, j’ai vécu la guerre de près, et je peux témoigner de la manipulation médiatique des Américains dans cette guerre.