Sheila Bunwaree-Ramahrai, Associate Professeur à l’Université de Maurice, estime que la femme mauricienne reste très sous-représentée dans la politique à Maurice.
Q : Il y a eu une levée de boucliers la semaine dernière contre les radios privées. Quelle est votre analyse de la situation ?
R : C’est une très bonne chose qu’on ait bougé vers la libéralisation des ondes et je suis convaincue que les radios privées ont leur place dans le monde de médias mauriciens; mais vu qu’on vit dans une société plurielle, il y a plusieurs formes de sensibilités auxquelles il faut faire attention. Radios privées et libéralisation des ondes contribuent à l’élargissemnt de notre espace démocratique certes, mais ceci ne justifie pas des programmes qui peuvent offenser, voire même blesser certaines composantes de la population. Il faut un régulateur quelque part et, aussi, la formation des journalistes est primordiale. Il y a encore beaucoup à faire sur cette question, car ces journalistes jouent un rôle tres important et s’ils ne sont pas bien formés, ils risquent d’être responsables des dérapages au sein de notre société.
Q : La semaine dernière, Paul Bérenger a répondu favorablement aux invitations de divers groupes, allant des ‘hindi speaking’ aux tamouls, en passant par les Rajput et les Vaish. Que pensez-vous de l’emploi du temps du PM ?
R : Le Premier ministre a dû considérer que c’est de son devoir de répondre à ces invitations. Je ne peux pas me permettre de porter un jugement sur son emploi du temps mais à l’heure où ce pays est en train de subir des problèmes économiques et sociaux très importants, je me demande si le pays ne s’en sortirait pas si ceux qui nous gouvernent se penchaient plus sur leurs dossiers au lieu de s’engager activement dans les ‘ethnic politics’qui, très souvent, sont responsables de la balkanisation de notre société. Il faut, cependant, faire ressortir que la société civile devrait aussi se responsabiliser et ne pas chercher à tout prix à inviter tel ou tel ministre aux plus petites fonctions. Je suis sûre que ces activités peuvent très bien se faire sans la présence de nos politiciens. En plus, si c’est une cérémonie religieuse, il faut vraiment qu’on commence à éduquer tous nos ‘stakeholders’ sur la nécessité de séparer la religion et l’État.
Q : Paul Bérenger a déclaré aux délégués de son parti dimanche dernier que le MMM ira aux prochaines élections générales avec son partenaire, le MSM. Vos commentaires ?
R : Qui va en alliance avec qui, nous semble maintenant secondaire car les alliances ont été tellement banalisées; pire encore, il y a eu trop d’alliances et de mésalliances basées sur des intérêts personnels et non pas sur une idéologie. Les alliances ne sont pas nécessairement formées à partir d’un projet de société. Même losqu’on nous dit qu’il ya un programme gouvernemental commun, on sait qu’il ya beaucoup de discordes et la recherche d’un consensus n’est toujours pas facile. Et lorsqu’il y a consensus, c’est encore une fois pas nécessairement dans l’intérêt du peuple, mais plutot un moyen pour rester au pouvoir le plus longtemps possible.
Q : Deux items, à savoir la Muslim Personnal Law (MPL) et la Proportionnelle, divisent l’alliance gouvernementale qui cherche un consensus. Quelle est votre opinion sur ces deux sujets ?
R : Ces deux sujets ont refait surface ces derniers temps. Je trouve vraiment étonnant que dans un pays qui se dit laïque, certains veulent appliquer la Muslim Personal Law (MPL). Ceci mérite un vrai débat ouvert et franc mais à Maurice, on a tendance à occulter ce type de débats. On dit toujours que c’est trop ‘politically sensitive’. La majorite de musulmans, comme disent certains de nos compatriotes de foi musulmane, ne veulent pas de cette loi. Donc, pourquoi tant d’insistence? La proposition d’une Muslim Personal Law a déjà causé pas mal de réactions et de dissensions on entendra, à un certain moment, quelques voix réclamant une Hindu Personal Law et ainsi de suite. Ce sera la loi de la jungle et le pays sera encore plus fracturé. La Muslim Personal Law, il me semble, est incompatible avec la Constitution, car cela impliquerait que certaines lois seront régies par une religion particulière. Cela n’a vraiment pas de sens et risque de bouleverser beaucoup de gens. La stabilité elle-même sera menacée et ce n’est vraiment pas le moment. Déjà, on sent un fort repli identitaire et le communalisme prend de l’essor au sein de la société mauricienne. Il faut absolument que ceux qui nous gouvernent agissent d’une façon plus responsable et evitent d’nsulter l’intelligence et le savoir-faire des Mauriciens.
Quant à la réforme électorale et la proportionelle, c’est vraiment dommage qu’on n’arrive pas à obtenir un consensus. Encore une fois, il me semble que ce n’est pas l’intérêt national qui prime. La proportio´nnelle aurait aidé à mieux représenter les différentes tendances politiques et aurait même aidé à une meilleure représentation des femmes. Mais, malheureusement, la question est en train d’être écartée, il me semble. Le modèle mauricien , il faut nous le rappeler, est souvent cité comme un modèle de ‘bonne gouvernance’, mais il y a de plus en plus de gens qui questionnent ce modele. Les 60-0 souvent obtenus et l’absence d’une Opposition affecte certainement la qualité de cette gouvernance. On se souvient qu’Aristote disait : “If liberty and equality, as is thought by some, are chiefly to be found in democracy, they will best be attained when all persons alike share in the government to the utmost”.
Q : Le Parti travailliste, à travers son leader, Navin Ramgoolam, a dit dimanche dernier que si son parti arrivait au pouvoir, il y aurait une démocratisation de l’économie. Est-ce possible, selon vous ?
R : Oui, c’est possible mais tout va dépendre de la politique économique qui serait mise en place. Moi, je préfère parler de la démocratisation du développement et, pour atteindre cela il faut, bien sûr, faire grossir le gâteau national et s’assurer d’un partage plus équitable. Gandhi avait raison de nous dire : “Il y a suffisamment de ressources pour satisfaire les ‘basic needs’ de chaque humain mais pas suffisamment pour satisfaire la gourmandise d’une petite poignee de gens...”. C’est vrai que la richesse de ce pays est concentré entre les mains de quelques familles, mais il faut le dire que le ‘developmental state’ mauricien a pu mettre sur place une politique sociae aligné sur une politique économique. Mais, avec la globalisation actuelle et un agenda néolibéral, il y a plus de privatisation, plus de libéralisation et de de régulation qui, souvent, entraînent des pertes d’emplois et, dans ce contexte, il est difficle de parler de la démocratisation du développement. La ‘corporate social responsibility’ et la politique économique devraient se faire autour du développement humain.
Q : Demain, le 8 mars, c’est la Journée internationale de la Femme. Comment percevez-vous le rôle de la femme mauricienne dans notre société ?
R : Les femmes - je l’ai dit ailleurs et je le répète ici - ne forment pas un bloc homogène. L’évolution et l’émancipation de la femme dépendent beaucoup du contexte dans lequel elle évolue, de ses expériences, de la couche sociale à laquelle elle appartient. Mail il faut dire qu’en général, il y a eu beaucoup de progrès, quoi qu’il reste encore beaucoup à faire. Justement, on parlait de l’économie et de la politique tout a l’heure; la femme mauricienne reste très sous-représentée dans la politique et très marginalisée sur le marché du travail. Pire encore, il y a une féminisation de la pauvreté à travers le monde et à Maurice aussi. Il faut trouver plus de ressources et faire beaucoup plus d’efforts pour éduquer la société afin de travailler à un développemnt équitable et s’assurer que la femme mauricienne soit traitée comme citoyenne à part entière.