Jack Bizlall jette, en tant qu’ex-membre du MMM, un regard très critique sur ce parti qui tient ce matin sa première assemblée de délégués avec son leader comme Premier ministre. Le syndicaliste estime qu’il faut éviter qu’une dose de proportionnelle soit introduite dans notre système électoral pour favoriser une formation politique; il est d’avis que le MMM affaiblit avec calcul son partenaire, le MSM.
Q : Le MMM tient aujourd’hui sa toute première assemblée des délégués depuis l’accession de Paul Bérenger au poste de PM. Quel regard jette le militant que vous étiez sur cet événement ?
R : Quand on me parle de l’assemblée des délégués, j’ai envie de rire et de pleurer à la fois. Je ris parce que cette assemblée ne représente rien pour le MMM. Ce n’est pas une assemblée qui a le pouvoir de décision mais les militants votent les dirigeants sur une liste bloquée. On connaît sans doute dès aujourd’hui (ndlr : vendredi matin) quelles sont les décisions que la direction va soumettre devant l’assemblée.
Q : En quoi cette assemblée des délégués est-elle différente de celles tenues alors que vous étiez au sein de ce parti ?
R : À l’époque, pour entrer au MMM, il fallait adhérer à une cellule. La cellule comportait en son sein des militants d’un quartier, d’une rue. Le MMM était le creuset des idéologies, avec différentes tendances et était un parti vivant, démocratique, de gauche. Le jour de l’assemblée des délégués, c’était un moment de grand débat d’idées. Les militants de base étaient alors soucieux du choix de leurs représentants, du choix de leurs députés. Nous étions tous anticapitalistes, nous avions tous une dimension politique anticolonialiste, anti-impérialiste et il n’était pas question, à l’époque, d’avoir un leader, mais des personnes qui occupaient des fonctions. Maintenant, le MMM a un leader et des agents et ceux-là ne sont plus élus sur la base de leurs activités de branche, mais beaucoup plus de par leurs activités dans les groupuscules, dans les organisations religieuses. Ces agents-là sont protégés par la direction, ce sont des ‘yes-men’. Le MMM a changé complètement dans ses structures; c’est ce qui fait pleurer. Le MMM n’a plus aucun lien organique avec le monde syndical et c’est le cadet de ses soucis. Les avocats qui étaient membres à l’époque, défendaient la cause de la classe des travailleurs et des syndicats contrairement à maintenant.
Q : Et en termes idéologiques, le MMM a-t-il changé ?
R : Le MMM a complètement changé et n’est plus un mouvement, mais un parti politique traditionnel qui défend une classe particulière, soit les capitalistes. Un mouvement rassemble les gens en coupant à travers les classes sociales. Un mouvement n’est pas monolithique. Dans son itinéraire pour sortir du mouvement et devenir un parti politique, le MMM s’est débarrassé de toutes les tendances qu’il a animées et a éliminé tous les gens de gauche.
Q : Paul Bérenger serait-il un faux homme de gauche ?
R : Quand on regarde le MMM d’aujourd’hui, il suffit de demander où sont les autres, il ne reste plus personne. Le MMM est devenu la propriété d’un homme, Bérenger. Si jamais celui-ci disparaît politiquement, le parti n’aura pas d’avenir en tant que parti.
Q : Le leader du MMM peut-il être un jour à gauche et le lendemain à droite?
R : Il peut être un jour à gauche et un autre jour à droite, mais une fois au pouvoir, il fait abstraction de ce qui peut le lier à la classe ouvrière. Bérenger a opté pour ce consensus à travers l’action communautariste, c’est-à-dire la pratique de la division du pays sur les plans ethnique, sous-ethnique, castes,etc. C’est sur cette base que repose son action politique et d’autre part, il joue carrément la carte de l’oligarchie sucrière. Après tant d’années de bataille, sous le régime Ramgoolam père pour sortir du joug de cette oligarchie, l’industrie sucrière a été rétablie dans son pouvoir économique et politique.
Q : Avec l’aide de Paul Bérenger à chaque fois qu’il est au gouvernement ?
R : Pas forcément, car Bérenger n’est qu’un homme. Quand il aura tout privatisé et que le pouvoir politique ne pourra s’exercer sur la classe capitaliste, c’est cette classe capitaliste qui va décider quoi produire, à quel prix, quand investir et où. La mondialisation pousse le capitalisme dans son absolu en éliminant les anciennes modes de production. Le développement se fera dans l’intérêt des capitalistes seulement. Même le secteur informel, que le gouvernement veut régulariser, va disparaître. Cela se fait avec une vision, avec calcul de la part de l’oligarchie sucrière qui a fait main basse sur l’ensemble de notre économie. Et là, je parle de 14 familles. Nous retournons à la situation d’avant-70.
Q : Le leader du MMM ne serait qu’un pion entre les mains des capitalistes, selon vous ?
R : Paul Bérenger est plus qu’un pion pour les capitalistes, il est un facilitateur. La classe capitaliste n’a pas confiance en Bérenger à cause de son action politique, car Bérenger a toujours préconisé une stratégie qui n’a jamais été celle qu’il pratique aujourd’hui. Cette oligarchie sait que cet homme est un opportuniste et s’il y a un basculement; cet homme peut changer de camp. Bérenger a le charisme, c’est quelqu’un qui est aimé, admiré. Mais il fait abstraction de ses valeurs politiques des années 70. Bérenger ne veut pas garder l’image politique de ce qu’il a été et ce n’est pas par honte. Il est un technocrate pour l’oligarchie sucrière; n’est pas libre et ne se donne pas de liberté. Il est devenu prisonnier de lui-même et on se sert de lui et, ici, je pense aux organisations socioculturelles. Après ces défaites en 1983 et en 1987, le leader du MMM a constaté qu’il était préférable de jouer la carte des minorités, comme Duval l’avait fait avant lui. Il voulait être le dirigeant des minorités, dans le sens des communautés qui ne se retrouvent pas avec la communauté hindoue. Paul Bérenger a su tactiquement dégager une alliance avec SAJ en 2000 pour devenir Premier ministre en rotation. Il a pu atteindre son but en étant le leader des minorités.
Q : Peut-il rejouer cette carte lors des prochaines élections générales ?
R : Si cette carte peut être rejouée, il faudra qu’il rende le poste de PM au leader du MSM. Je ne pense pas qu’il a cette idée en tête; il voudra conserver ce poste de PM durant les cinq prochaines années à venir. Il est en train de casser le pays en miettes avec l’espoir qu’un pays divisé peut rechercher en lui un rassembleur. Si cette tactique se confirme, forcément, il aura à en parler au MSM et trouver une entente sur cete base. Si le MSM ne marche pas, le MMM ira alors seul aux élections. D’où sa tactique de chercher dans la proportionnelle une solution pour le MMM dans une lutte à trois. D’où la Muslim Personal Law et les centres culturels. Il soigne son image de rassembleur présentement, avec une tactique bien délibérée de se porter candidat en 2005 en tant que Premier ministre désigné par une alliance ou par son parti. Paul Bérenger est un tacticien qui ne réfléchit pas sur l’avenir du pays et il prépare son parti pour les élections de 2005.
Q : Le pays risque-t-il d’être déchiré en deux camps, comme cela avait été le cas en 1983 ?
R : Paul Bérenger a utilisé une tactique en 2000 en incorporant dans l’alliance le PMSD et le MR. Il n’est pas exclu qu’il pousse certaines fractions à créer d’autres petits partis politiques dans les mois à venir et que lors des prochaines élections, il décide de présenter le MMM comme la force principale d’une alliance de groupuscules et d’individus, y compris Boodhoo.
Q : Et le MSM dans les calculs politiques de Bérenger ?
R : Paul Bérenger a affaibli le MSM et va encore l’affaiblir. Un exemple : il a provoqué la confusion lors de la partielle au No 7 avec la candidature ambiguë de Prakash Maunthrooa. Il n’avait aucune raison de rencontrer Cehl Meeah, encore moins de soulever la question de la Muslim Personal Law (MPL). Il sait que le MSM ne peut constituer une alliance avec le Parti Travailliste parce que ce sont deux blocs politiques qui pensent chacun représenter la communauté majoritaire. Bérenger affaiblit aussi le PTr en laissant filtrer des informations à l’effet qu’il y a des contacts juste après la partielle au No 7. Le pays est sous la dictature de Bérenger, car cet homme contrôle tout.
Q : Le MMM peut-il être seul au pouvoir ?
R : Le MMM sera toujours au pouvoir au sein d’une grande coalition et Bérenger fait tout pour que le MMM soit la locomotive. On aura alors un régime autocratique, avec la politique d’un seul homme; les autres devront se taire. Il devient d’ailleurs de plus en plus mégalomane, il cherche maintenant ses origines. Il n’aurait jamais protesté s’il n’avait pas été invité à un rassemblement par exemple. Il commence à prendre goût au pouvoir. Ce que je crains le plus, c’est que cette mégalomanie soit soutenue par certains journalistes.
Q : Il y a deux gros macadams au sein de l’alliance MSM/MMM : la MPL et la proportionnelle. Votre avis sur la question ?
R : La majorité des Mauriciens sont contre l’introduction de la MPL. La majorité des musulmans sont aussi contre. Quand SAJ avait abrogé cette loi, il n’y avait ni résistance ni jubilation. L’action de SAJ allait dans le sens d’un État laïque. Il n’y avait aucune raison pour que Bérenger revienne avec la MPL. Ce n’est qu’une infime partie de la communauté musulmane qui veut que cette loi passe à l’Assemblée nationale sans qu’aucun député ne puisse donner son point de vue sur son contenu. En clair, pas de débat. Je suis tout simplement révolté. Bérenger ne va pas permettre de porter un jugement sur le contenu du Coran. Il va faire passer la loi et la faire codifier après. Personne ne réalise que la codification ne vient pas avec la loi; elle vient après à travers les ‘Regulations’. On codifiera la MPL avec l’aide de personnes qui appartiennent à la communauté musulmane.
Q : D’où la prise de position du MSM contre cette loi ?
R : Le MSM a raison de contester cette loi, comme il avait eu raison de l’abroger en 1987. Sa stratégie pouvoiriste fait faire n’importe quoi à Bérenger.
Q : Et la proportionnelle ?
R : Quand le MMM avait soutenu la proroportionnelle dans les années 70, c’était pour briser la base électorale liée aux races, à l’ethnicité et aux communautés. En 2004, on retourne avec la proportionnelle pour renforcer la base communaliste et c’est cela le paradoxe. Le pays doit adopter, un jour ou l’autre, la proportionnelle, mais elle ne doit pas être introduite pour favoriser un parti politique à Maurice. La proportionnelle doit répondre à une nécessité électorale d’un pays et non aux ambitions d’un parti et encore moins à celles d’un régime.
Q : Vous visez le MMM ?
R : Certainement !
Q: Que pensez-vous du rapport Collendavelloo ?
R : Le rapport Collendavelloo sera mis dans les tiroirs dans les mois à venir. La proportionnelle mérite un vrai débat, surtout dans un pays multiethnique. Toute politique proportionnelle demande un changement qualitatif, culturel. Le MMM propose une proportionnelle et, en même temps, il encourage le sectarisme religieux et ethnique. Ce sont deux forces contradictoires qu’on veut faire cohabiter.
Q : La polémique au sujet de l’invitation à Grand-Bassin (ndlr : le PM, lors du Comité central de son parti le samedi 21 février, a déclaré qu’il n’avait pas été invité, alors que la MSDTF avance le contraire) remet sur le tapis une question, à savoir si les politiciens doivent prendre la parole lors des fonctions religieuses. Vos commentaires ?
R : Un politicien est comme le commun des mortels quand il participe à une fonction religieuse. Il n’a pas besoin d’avoir une place en première ligne et qu’on lui tende le micro. Laissons les religieux s’adresser à leurs fidèles. Il y a des endroits où les politiciens ne doivent pas mettre leur nez. Je ne l’ai jamais fait moi-même. Ce que les gens attendent des politiciens, c’est qu’ils soient honnêtes, propres et qu’ils fassent attention à ne pas semer la confusion quand ils parlent. On a besoin de politiciens qui soient comme Monsieur Tout-le-monde. Ils croient qu’ils sont des superhommes. C’est ça le mal.
Q : Il y a un débat sur l’utilisation de la langue créole comme médium d’enseignement et comme matière à être enseignée à l’école. On ne vous a pas trop entendu sur la question.
R : Je ne vais pas donner mon point de vue à l’intérieur d’une confusion généralisée. Le communalisme a pris une dimension énorme. Tout a une connotation communale. Toutes les langues doivent être soutenues et enseignées à l’école, même le créole. La grande majorité des gens ont le créole comme langue maternelle, alors comment veut-on que les enfants trouver leur place au soleil s’ils ont à developper leur savoir à travers des langues qui leur sont étrangères.
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