Daniella Police-Michel, chargée de cours en linguistique et responsable du M.A.-French Language Studies à l’Université de Maurice, explicite sa position concernant l’introduction du créole comme médium d’enseignement et comme matière ‘examinable’. Elle égratigne certains prêtres de l’Église et fustige au passage le MMM pour qui le créole est devenu la langue dont il faut se méfier.
Q : Que pensez-vous de tout ce débat autour de l’introduction du créole comme médium d’enseignement ?
R : C’est un débat qui date d’une trentaine d’années et il est redevenu un sujet d’actualité à partir du moment où les Verts-Fraternels ont demandé que cette langue figure comme matière optionnelle au programme à l’école. Orienter le débat sur l’introduction du créole comme médium - moyen d’enseignement - plutôt que comme matière, relève de la stratégie politique. C’est une manière de rendre compliqué ce qui est simple et de remettre à plus tard ce qu’on croit être politiquement incorrect à réaliser aujourd’hui. Je ne comprends pas ceux qui prétendent être pour le créole comme médium d’enseignement mais qui rejettent son inclusion comme matière. Peut-on concevoir un système d’enseignement en français sans enseigner le français comme matière ?
Q : Vous êtes donc pour que le créole soit introduit comme matière académique et ‘examinable’ ? Pourtant, il y a des divergences sur la graphie.
R : Les divergences sur la graphie sont aujourd’hui minimes et se limitent, pour l’essentiel, à la graphie des voyelles nasales et des diphtongues. Ce problème est surmontable. Je suis d’avis que si l’on demande aux linguistes et aux écrivains de se mettre autour d’une table pour régler ces divergences en vue de l’inclusion du créole dans le programme scolaire, ils trouveront des solutions. Par ailleurs, le créole comme matière académique est aussi du créole oral. En tant que langue maternelle, il a toute sa place à l’école pour promouvoir le développement linguistique et, plus globalement, le développement cognitif de l’enfant.
Q : Cependant, le créole n’est pas considéré comme une langue internationale.
R : Tous les linguistes et les pédagogues avancent que la maîtrise de la langue maternelle permet l’accès à d’autres langues. Je ne dis pas d’introduire le créole et de rejeter le français et l’anglais; mais apprendre le créole permettrait un apprentissage plus rapide des autres langues, même si le créole mauricien n’est pas une langue internationale.
Q : Il y a beaucoup de parents qui parlent le français à leurs enfants. Le créole à l’école ne risque-t-il pas de devenir une langue étrangère pour cette catégorie d’enfants ?
R : Les parents mauriciens qui parlent le français à leurs enfants croient que ces derniers vont ainsi mieux réussir dans cette langue à l’école. C’est faux. Au contraire, ils ont toutes les chances de les handicaper, car le français parlé à la maison est un français approximatif par rapport au français écrit enseigné à l’école. En ce qui concerne l’enfant à qui on parle français à la maison, il conserve curieusement une compétence de compréhension plus développée en créole car il vit de toute façon dans un contexte créolophone. Entre eux, plus ils grandissent, les élèves parlent créole et apprennent en créole. Le créole est devenu aussi la langue des jeunes.
Q : N’a-t-on pas communalisé le débat sur la question, eu égard à la déclaration du Père Souchon qui a fait un appel aux élèves catholiques de ne pas prendre une langue orientale au CPE ?
R : La déclaration du Père Souchon est une prise de position opportuniste : il s’agit de rameuter le gros de la troupe. Certains prêtres de l’Église Catholique pensent que les créoles ne peuvent bouger sans eux. Je m’étonne que le Père Souchon se réveille seulement maintenant sur la question du créole comme langue optionnelle.
Q : Le créole est-il proposé pour contrecarrer les langues asiatiques ?
R : La proposition du créole comme matière optionnelle ne s’oppose pas aux langues asiatiques. Si l’on introduit les langues asiatiques comme options comptabilisables au CPE en raison du fait qu’elles sont des langues ancestrales, il faut aussi, pour être juste, introduire le créole au moins au même titre, car si le créole est une langue nationale, il est aussi une langue ancestrale qui plonge ses racines dans le contexte de l’esclavage dont plus de 38% des Mauriciens sont issus.
Q : N’a-t-on pas politisé le débat ?
R : On en a fait un enjeu politique. Pour comprendre cela, il faut remonter aux années 70/80. Tant que le MMM était dans sa phase contestataire et qu’il rassemblait la grosse majorité de la population, la langue créole était un des emblèmes de ce mouvement contestataire. Mais dès que ce parti a accédé au pouvoir et qu’il a fallu mettre en pratique l’idéologie qu’il prônait, nous avons assisté à un schisme et le créole est devenu, pour une partie des militants, la langue dont il faut se méfier. Aujourd’hui, lorsque le gouvernement propose des projets-pilotes pour tester le créole comme langue d’enseignement en Standard One, il cherche plutôt à calmer le jeu sans vouloir en vérité promouvoir cette langue dans le système scolaire.
Q : Si vous étiez parent, seriez-vous d’accord que votre enfant prenne le créole comme une matière académique à l’école ?
R : Absolument
Q : Le créole comme matière, ne serait-il pas un nivellement vers le bas ?
R : Un nivellement vers le bas ? Vous me faites rire. Mais je n’irai pas pour autant jusqu’à imposer mon point de vue à ceux qui pensent ainsi. La proposition du créole comme matière optionnelle n’est pas quelque chose que j’impose aux Mauriciens ; je veux que ceux qui veulent apprendre le créole à l’école aient le droit de le faire, car c’est une volonté légitime.