Jean Maurice Labour commente, dans cette interview, les propos de l’évêque au sujet du gouvernement. Pour le vicaire général, l’Église a atteint un but, celui de “faire le gouvernement sortir de son silence et donner des explications.”
Q: Comment devrait-on interpréter la sortie de Mgr Piat à la messe commémorant l’abolition de l’esclavage ?
R: Je dirai que c’est l’expression du ras-le-bol de tout le peuple catholique. Mgr Piat n’a pas parlé seulement en son nom personnel. Il est souvent sur le terrain et sur le terrain de toutes les opinions de son peuple. D’ailleurs, le samedi 31 janvier, donc la veille, il était avec les membres du conseil pastoral diocésain, un groupe de chrétiens, de religieux et de religieuses choisi pour conseiller l’évêque dans différents domaines. Et la question de son intervention a été abordée. C’était préparé et décidé. Son intervention était écrite. On ne peut alléguer que c’était un débordement spontané. Et je dirai qu’il y a une immense solidarité autour de Mgr Piat sur cette question.
Q: Pour quelles raisons fallait-il que l’évêque sorte en quelque sorte de son silence habituel ?
R: Parce qu’il y a eu un ras-le-bol suite au silence du gouvernement qui ne se fatigue pas à dire que l’Église est un partenaire privilégié. Et, pourtant, son partenaire privilégié, il le laisse traîner dans la boue par M. Tengur, par ceux qui le soutiennnent. Il trahit son partenaire à la Cour suprême et au Privy Council à travers ses hommes de loi en plaidant coupable alors qu’il est le premier accusé. Il nous laisse tomber. Dans les deux procès, le défendeur No 1 plaide coupable.
Q: Certains propos de l’évêque ont choqué, surtout quand il vient dire ‘Nou fine perdi ene bataille, nous pas fine perdi la guerre’...
R: La guerre de l’Église dans l’éducation n’est contre aucune communauté. Il ne faut pas croire qu’on est en guerre contre Tengur. C’est vrai que l’Église s’en va-t-en guerre, mais ce n’est pas la guerre des catholiques. C’’est une guerre nationale pour les 40% d’enfants mauriciens qui échouent au primaire et les 25% d’enfants qui échouent au secondaire. Ce sont des enfants inadaptés au système. On va à la guerre pour changer le système actuel qui ne se donne pas les moyens de s’adapter à la culture des enfants. Mgr Piat dit que ce ne sont pas les enfants qui ne sont pas intelligents, c’est le système qui n’est pas adaptable. - L’évêque parle également de trahison de la part du gouvernement..
R: Oui. Car, avant 76, nous faisions de la différenciation dans le traitement pour les catholiques qui payaient. Cette différenciation est légale et constitutionnelle si vous payez. La différenciation n’est pas illégale tant que vous payez. L’État est venu nous chercher en 1976 quand l’education est devenue gratuite. L’État dit alors qu’il va payer à la place des parents. La différenciation devient alors anticonstitutionnelle parce que ‘it is paid out of public funds’. Mais cette différenciation n’est pas discriminatoire et anticonstitutionnelle si on la justifie. Les ‘lords’ demandent au gouvernement de venir justifier cette différenciation, mais l’avocat ne l’a pas justifiée. Alors que la ‘justified differenciation’ n’est pas anticonstitutionnelle. N’oublions pas non plus que le ‘case’ de Tengur a été entré en Cour contre le gouvernement.
Q: N’est-ce pas un peu tard (presque deux mois après le jugement oral du Privy Council) pour faire maintenant cette sortie ?
R: Non. Dès son retour du Privy Council le 19 décembre, l’évêque a utilisé les mêmes termes de trahison. Dans le contenu, il n’y a rien de nouveau sauf plus de précisions concernant les 50% d’enfants qui sont rejetés. Toutefois, depuis le 19 décembre, il n’y a eu aucune réaction du gouvernement. Alors qu’entre-temps il y a eu des coups de téléphone entre Mgr Piat et les autorités gouvernementales. Il y a eu des rencontres. Mais malgré ça, il n’y a pas eu de réaction. Alors, Mgr Piat a saisi une occasion très symbolique (libération de l’esclavage) Dans l’histoire de l’Église, il y a toujours des prophètes. Les prophètes ont toujours dérangé. - ‘La colère de l’évêque qualifiée d’hystérique’, titrait l’express, mardi matin. Dans le même article, on apprend que les membres du gouvernement qualifient les propos virulents de l’évêque d’inacceptables. Vos commentaires..
R: Le ton était ferme et passionné, oui. Avec un peu de colère, oui. Mais hystérique, non. Hystérique qualifie quelqu’un qui est hors de lui et qui n’est plus logique, qui se laisse guider par ses pulsions. Or, ce n’était pas le cas. Mais les mots utilisés par le gouvernement traduisent le fait que l’intervention de l’évêque a fait mouche. On n’aurait pas trouvé que c’était hystérique si cela n’avait pas ébranlé quelque chose de plus profond chez ceux qui sont restés silencieux. Et le gouvernement a bougé. On a obtenu une prise de position du gouvernement sur la langue créole. - En même temps, en convoquant une réunion des ministres pour ensuite donner une conférence de presse, on peut dire que le PM n’est pas resté insensible aux propos de l’évêque..
R: C’est parce que le gouvernement a été drôlement secoué que les ministres ont été convoqués. Je comprends que le gouvernement dit que c’était inacceptable et hystérique. Et nous avons réussi. Il a bougé. Nous estimons avoir atteint un but, celui de faire sortir le gouvernement de son silence et donner des explications. Bravo. Car nous n’acceptions pas le silence coupable d’un gouvernement qui se dit notre partenaire.
Q: Dans sa conférence de presse de mercredi dernier, le Premier ministre, Paul Bérenger, propose que les 50% des places du BEC soient allouées sur une base sociale. Que va faire l’Église ?
R: En faisant cette proposition à l’Église, il ne faut pas que l’État se dérobe de sa responsabilité d’accueillir les pauvres dans ses collèges. Le combat de Mgr Piat est national, et non réservé aux catholiques. Nous estimons que le critère pauvreté ne va pas être le seul critère car il ne s’agit pas d’aller faire quelques recrutements en vue des admissions. Nous ne sommes pas en train de nous battre pour un quota. Nous sommes plutôt en train de réfléchir sur un système d’education révolutionnaire. En mettant, par exemple, comme critère qu’un enseignant ne peut donner des leçons particulières aux enfants de sa classe, en disant que si le syndicat se bat contre 12 heures de travail pour les adultes, comment peut-on laisser un enfant travailler plus de 12 heures par jour. Notre guerre est ciblée vers une conviction. Nous revendiquons une liberté pour faire une révolution dans le système éducatif. Qu’est-ce qui a fait échouer la pédagogie inclusive ? C’est parce qu’il y a un enseignant pour 45 enfants. On veut aller dans la direction des pauvres mais pas uniquement en remplissant les places.
Q: Pourquoi accepter aujourd’hui cette option sociale que vous aviez refusée en 2002 ?
R: Quand cette proposition avait été faite à l’Église de prendre le critère pauvreté, nous étions au coeur de la bagarre de la spécificité catholique. Nous disions que nous allions au Privy Council pour une question de principe, pour défendre la spécificité catholique de nos écoles. Pour ce qui est des enseignants, on demandait un minimum d’enseignants catholiques. Nous avions demandé la même chose pour les enfants. Au coeur de notre bagarre, on nous proposait comme alternative l’option pour les pauvres, qui est déjà notre spécificité. Le gouvernement a l’habitude des trocs. Nous le refusons. On nous offre en alternative le critère pauvreté. Nous avons refusé parce que cela touchait un principe trop fondamental pour nous. Les pauvres ne sont pas l’objet d’un troc. Quand on vient nous reprocher d’accepter ce que nous avions refusé, je dis: “regardons le contexte dans lequel les choses ont été proposées”. Maintenant, nous sommes dans un autre contexte où le critère religieux a été objectivement rejeté en Cour suprême et au Conseil Privé comme anticonstitutionnel. Nous acceptons le verdict. Nous disons que nous avons été secoués. Et nous nous remettons en question. - Le PM dit qu’il ne savait pas que le critère religieux était un des critères de recrutement dans les écoles catholiques?
R: Comment est-ce que le gouvernement peut venir dire qu’il apprend, le témoignage de Michaël Atchia, que le critère religieux est un des critères qui priment pour allouer 50% des places réservées ? Alors que le ‘select committee’ de 93 (rapport de L’Estrac) est basé dessus, alors que tous les guides d’explication des écoles catholiques font état de la spécificité religieuse, alors même que le cas de M. Tengur est basé dessus et alors que le MOU y faisait aussi référence. Je laisse au public le soin de qualifier cette attitude.
Q: Alors que l’évêque a déclaré dans son discours ‘zot risse nou, après zotte déclare MOU illégal’, le PM, de son côté, répond que le gouvernement est ouvert à la négociation d’un nouveau MOU. C’est comme un début de dialogue ?
R: Nous accueillons favorablement la demande de l’État de venir s’asseoir autour d’une table et travailler sur un nouveau MOU. On va dialoguer dans la vérité et dans la fermeté. L’Église s’engage à mettre en place un système d’éducation qui pourra mieux accompagner les enfants les plus démunis.
Q: L’évêque accuse le gouvernement d’être resté “tranquille” face à l’“accusation diffamatoire” de Tengur contre les collèges catholiques. Le PM répond que c’est l’Église qui a “tardé à répliquer à Tengur.”
R: Dès que M. Tengur a commencé, on lui a servi une mise en demeure. Il y a eu des réactions de ma part. Mais pourquoi un partenaire qui se dit privilégié attend-il notre réaction pour réagir ? Nous étions comme des mendiants qui attendaient que notre partenaire vînt nous défendre. Alors que nous avons sorti l’argent de nos caisses et que nous sommes en train de payer des interêts sur Rs 10 millions, M. Tengur vient dire que nous avons volé Rs11 millions. Sa preuve viendrait d’une lettre anonyme. Est-ce que l’ICAC se base sur une lettre anonyme ? C’est pour ça que je dis que Tengur n’est pas seul malgré le fait qu’il essaie de se faire passer pour un martyr de la justice des enfants mauriciens.
Q: Des représentants d’organisations catholiques réclament l’inclusion du créole comme option aux langues orientales dont les points seront comptabilisées en 2004. Pensez-vous que c’est une solution ?
R: Il faut reconnaître que l’affaire des langues orientales constitue une injustice vis-à-vis des enfants qui ne sont pas exposés aux langues orientales depuis leur enfance. Et puis, il faut se demander qui va préparer les questionnaires des langues orientales ? Est-ce que c’est le MES ou des associations ? Quel sera le niveau de ces examens ? Si le niveau des langues est très bas, ce sera une injustice. Tous les pédagogues vous disent que le créole, langue maternelle, est un véhicule pédagogique indispensable. Je pense qu’il faut aller dans cette direction. C’est une solution pédagogique et non un troc politique. Car, une fois de plus, le gouvernement veut faire un troc. Il veut calmer les ardeurs, donner les langues orientales d’un côté, la langue créole de l’autre. Inclure le créole serait une solution pédagogique et non politique. Dans la mesure où le créole est une langue nationale. Les langues orientales ont le droit d’exister. Même moi, je dis que c’est dommage que je n’aie pas appris une langue orientale.
Q: Pour résumer, on aura un groupe qui défend les langues orientales face à un autre qui adopte une posture pour défendre la langue créole...
R: Tout débat qui existe à Maurice se polarise autour d’un rapport de force, de différence ethnique. Il ne faut pas faire du créole une idéologie. Le créole se défend de lui-même et il ne faut pas l’imposer. À Maurice, quand vous éternuez, vous éternuez comme un créole, pas comme un être humain...