Danielle Turner a été parmi les premiers à porter plainte.
Des Mauriciens, principalement ceux de la communauté créole, estiment que Darlmah Naëck, du Défi Media Group, les a offensés et a porté atteinte à l’unité nationale à travers son texte d’opinion intitulé «Pourquoi les créoles posent problème». Le journaliste a présenté des excuses pour ses propos.
La colère gronde. Avec raison, estime Danielle Turner, directrice du Centre Nelson Mandela pour la culture africaine. Selon elle, le texte d’opinion de Darlmah Naëck paru dans le quotidien Le Défi, le mercredi 8 août, est «une grave atteinte à l’harmonie sociale allant même jusqu’à l’incitation à la haine raciale». Le texte ayant pour titre «Pourquoi les créoles posent problème» avait également été posté sur le site Internet de ce groupe de presse. Et depuis mercredi, les réactions diverses et variées de personnes de la communauté créole et d’autres communautés ne cessent de pleuvoir. Sur le site du Défi Media Group, sur Facebook et dans les forums des journaux, notamment.
Danielle Turner et deux autres membres du centre ont porté plainte à la police à cet effet, suivis d’une dizaine d’autres personnes. Le lendemain, un groupe d’au moins 40 personnes avec à leur tête, la directrice du centre Nelson Mandela, Jean-Yves Violette, Jean-Marie Richard, entre autres, ont fait une marche pacifique jusqu’au quartier général du Défi Media Group à Grande-Rivière, pour protester contre le texte d’opinion en question qui, selon eux, est offensant pour la communauté créole dans son ensemble.
Danielle Turner s’explique : «Je parle en tant que femme créole. Ce texte m’a plus que choquée. Je ne trouve pas les mots pour expliquer ce que j’ai ressenti. S’il avait écrit un article, on pourrait croire à un dérapage mais tel n’est pas le cas pour un texte d’opinion qui est un texte réfléchi. De plus, il a persisté dans ses propos lorsque les gens ont réagi sur son blog. C’est pour cela que j’ai du mal à croire à ses excuses qui arrivent trop tard.» Darlmah Naëck a effectivement présenté des excuses dans Le Défi d’hier en parlant de «maladresse» (voir hors-texte).
La directrice du Centre Nelson Mandela souligne aussi qu’une plate-forme a été constituée : le Collectif pour la Justice et la Vérité. «Ce mouvement regroupe des associations créoles et des particuliers, à savoir des avocats, des médecins et des ouvriers. On s’attend à ce que Darlmah Naëck soit arrêté.»
«Intolérable»
Jean-Marie Richard du Grupman Larkansiel Kreol est, lui, d’avis que cette opinion «véhicule des stéréotypes et des préjugés insultants contre la communauté créole dans son ensemble». Selon notre interlocuteur toujours : «Il est intolérable dans un pays où coexistent plusieurs communautés ethniques et religieuses, qu’un commentateur de presse se croit autorisé à stigmatiser les membres de la communauté créole, partie intégrante de la population de la République de Maurice.»
Le père Alain Romaine, lui, s’interroge : «Après avoir lu et examiné ce texte à plusieurs reprises, je constate qu’il ressemble étrangement à un tract contre la communauté créole de par le style d’adresse, les paroles et le genre littéraire. D’ailleurs, qui est ce “nous” dans “(...) comprenez-nous bien” ?».
Par ailleurs, le centre Nelson Mandela, le Collectif pour la Justice et la Vérité et la Plateforme artis pour solidarité ek la zistis e la verite invitent la population à un concert familial de solidarité au Jardin de la Compagnie, ce dimanche 12 août, de 16 heures à 18 heures. «L’invitation est lancée à tous ceux et celles qui sont vraiment mauriciens et qui croient dans l’unité nationale. Il faut respecter la communauté créole et les autres communautés. (…) Les créoles ont leur droit», a lancé Bruno Raya, via Facebook, hier.
Du côté des Casernes centrales, on ne reste pas insensible à cette affaire. Il nous revient que le cas Darlmah Naëck est sujet à plusieurs discussions mais, selon la police, on ne pourra pas le poursuivre pour un débat d’opinion. Affaire à suivre…
L’avocat Nilen Vencadasmy
«Ces propos peuvent être considérés comme une incitation à la haine raciale»
L’homme de loi Nilen Vencadasmy est monté au créneau sur Facebook pour dénoncer le contenu du texte d’opinion de Darlmah Naëck : «Ces propos peuvent être considérés comme une incitation à la haine raciale qui est une offense criminelle. Personnellement, je m’attends à une réaction de la police suite à toutes les dépositions consignées contre l’éditorialiste. J’ai été personnellement très outré par son texte. Il n’est pas approprié de sa part de dire ces choses alors que le pays vit une période chaude surtout après les propos sectaires sur Facebook. On ne doit plus tolérer des dérapages de la sorte.»
Le Conseil des Religions
«Engageons-nous à ne pas détruire l’arc-en-ciel»
Le Conseil des Religions qui regroupe des représentants de plusieurs religions a aussi réagi suite à cette affaire via un communiqué de presse :
«Au moment où le Conseil des Religions venait tout juste d’exprimer son point de vue sur “l’affaire Facebook” et le danger potentiel que de telles déclarations représentent pour l’unité et la cohésion nationale, nous sommes encore interpellés par un article paru dans le quotidien Le Défi du 8 août 2012 et concernant la communauté créole. Puisqu’il est aussi question dans cet article de l’Église catholique qui est membre du Conseil des Religions, nous sentons qu’il est de notre devoir de répéter à temps et à contre-temps combien de tels articles peuvent nuire à la bonne entente entre les différentes communautés et religions qui constituent notre arc-en-ciel national. Nous prenons acte des excuses publiées par la direction du Défi dans sa livraison du jeudi 9 août. C’est certainement un pas dans la bonne direction. “Nous sommes un pays arc-en-ciel, mais la nature de l’arc-en-ciel est d’être éphémère”, nous dit encore un penseur mauricien. Engageons-nous, chacun à notre place et dans toutes nos relations, à être des apôtres qui font le serment de ne pas détruire l’arc-en-ciel».
Darlmah Naëck
«J’ai voulu lancer le débat»
Rencontré à son domicile jeudi, l’éditorialiste du Défi Media Group nous a fait la déclaration suivante : «Je n’ai pas de commentaire à faire car j’ai reçu des instructions de mon directeur. Je peux cependant vous dire que j’ai voulu lancer le débat à travers ce texte mais il est dommage que les gens m’aient mal compris.»
Cependant, il a présenté des excuses dans le Défi Plus du samedi 11 août. «(...) J’ai pu constater les maladresses que j’ai commises de bonne foi en écrivant mon article d’opinion. (...) Comme maladresse il y a eu, je présente à tous mes frères créoles mes plus plates excuses».
Eshan Khodarbux, directeur du Défi Media Group
«C’est très malheureux»
Le directeur du Défi Media Group, Eshan Khodarbux, qui n’était pas au pays lors de la publication du texte d’opinion qui fait polémique, souligne qu’il n’y a pas d’excuses pour justifier l’éditorial de Darlmah Naëck. Il précise qu’il ne s’attendait pas à cela de son employé : «Ce qui s’est passé est très malheureux. C’est pour cela qu’il a présenté ses excuses. J’ai été choqué. Ses paroles ont eu l’effet d’une bombe. Je rappelle que c’est pour cela qu’on a pris des sanctions immédiates contre lui. Il a été suspendu. Il va être entendu devant un comité disciplinaire présidé par un avocat.»