Demandez à n’importe quel Mauricien quel regard il jette sur Rodrigues et l’on peut deviner les réponses : Jolie petite île où il fait bon se reposer surtout en période de longs week-ends… le séga tambour est adorable…Trou-d’Argent reste l’une des plus belles plages du monde… les haricots rouges sont excellents tout comme les achards limons et autres piments ourite… Redemandez à votre interlocuteur ce qu’il pense des Rodriguais et sa vision change rapidement. Il oublie la délicieuse destination et sa vie tranquille pour voir surgir des images de pauvreté, de promiscuité où l’on s’entasse à plusieurs dans des bicoques en tôle à Karo Kaliptis, Bambous, Petite-Rivière, Batterie-Cassée, Bangladesh ou dans d’autres faubourgs des villes.
Qui ne sait pas pourquoi ils débarquent ? Rêvant d’un avenir meilleur, faute d’emploi, désillusionnés après les grands discours et les fausses promesses, ces Rodriguais préfèrent venir s’installer à Maurice, avec les moyens du bord, dans l’unique but de nourrir leurs familles quitte à faire face souvent aux regards méfiants des Mauriciens qui les prennent parfois de haut, oubliant que tous partagent le même quadricolore. Et dire que pourtant, l’un des grands axes de la mise en application de l’Assemblée régionale de Rodrigues depuis 2002 était justement le développement de l’île sous tous les angles et par conséquent la création d’emplois. Dix ans plus tard, à l’heure où les Rodriguais sont rappelés aux urnes, force est de constater que l’autonomie qui revient au cœur du débat politique ces jours-ci n’était pas totalement réelle tant le fonctionnement du système décisionnel a été perverti.
Par les violentes secousses Roussety-Von-Mally d’abord, par le Premier ministre ensuite qui devant sa majorité fragile – voulant s’assurer d’une voix supplémentaire au Parlement – a jugé utile de nommer un ministre de Rodrigues (un non-sens) après les dernières élections et contournant par la même occasion l’Assemblée régionale. Alors que, comme l’a si justement fait ressortir l’ancien juge Robert Ahnee, l’auteur de la loi sur l’autonomie, «le chef commissaire a le droit d’assister au Conseil des ministres, mais jamais personne ne l’a invité». Si jusqu’ici la cohabitation entre le chef commissaire et le ministère de Rodrigues n’a pas posé problème, c’est parce que Gaëtan Jhabeemissar, le chef commissaire sortant, est issu du MR de Nicolas Von-Mally, ministre lui-même. C’est dire qu’une victoire du MR ne changera pas la situation politique rodriguaise, car Von-Mally continuera à compter sur les «bonnes relations Port Louis-Port Mathurin» comme il l’a dit lui-même pendant sa campagne.
En revanche, si les Rodriguais votent pour le changement et que c’est Serge Clair qui est conduit dans le fauteuil du chef commissaire, nous assisterons alors à un mode de fonctionnement difficile sinon ingérable. Von-Mally ou Clair ? Au fond, au-delà de l’élection de l’un ou de l’autre, les Rodriguais aspirent, comme tout un chacun, à des droits élémentaires. De l’eau, une maison, du travail… Tous les candidats qui prennent part aux élections ce dimanche connaissent par cœur les difficultés de leurs compatriotes et ont promis des solutions dans leurs programmes respectifs. Paroles, paroles, paroles ? L’on saura, dans quelque temps, à l’heure des statistiques, si le nombre de Rodriguais venant à Maurice aura diminué ou augmenté. Et l’on saura aussi si ces élections-là auront servi à diviser ou à unifier le peuple de Rodrigues.