Il y a le politicien. Celui que tout le monde connaît. Celui qui a été durant 56 ans de sa vie au service de Maurice, qui a été élu six fois comme Premier ministre et qui a été pendant neuf ans président de la République. Il est celui qui est considéré comme étant le père du miracle économique dans les années 80 et on se rappellera aussi de lui comme étant le chef d'État qui a eu le courage, à maintes reprises, de prendre des décisions importantes pour le pays. Son sacré caractère, son franc-parler, ses phrases fracassantes – qui l'ont souvent rendu impopulaire – et son côté bourru ont marqué les esprits au fil des années, tout comme sa dévotion et son implication dans le combat pour la restitution des Chagos à notre île, qui resteront dans l'Histoire...
Sir Anerood Jugnauth était tout cela et plus encore. Politicien hors pair, il laisse, après son décès le jeudi 3 juin 2021, à l'âge de 91 ans, une empreinte indélébile dans les cœurs et les mémoires de tous ceux qui l'ont côtoyé, qu'ils l’aient aimé ou pas. Mais derrière le politicien (un aspect de sa vie très connu), il y avait aussi un frère, un époux, un père ou encore un grand-père qui, une fois loin des obligations officielles, se montrait autrement.
C'est ce que nous avait raconté, dans une ancienne édition, Sonika Jugnauth, une des trois filles de l’actuel Premier ministre Pravind Jugnauth, dans un entretien exclusif. Alors âgée de 11 ans, elle nous dépeignait SAJ sous un autre jour, dans son langage d'enfant. Ce matin du mois d'avril 2005, quelques jours après les célébrations des 75 ans de son grand-père, qui était alors président de la République, et dans le cadre du château du Réduit, les deux avaient accepté de nous recevoir pour nous parler de la forte relation qui les liait. Sir Anerood Jugnauth nous l'avait dit lui-même : il vivait une relation privilégiée avec ses petits-enfants.
Même si les gardes du corps et le chef de camp de la garde nationale n'étaient pas très loin, on avait rendez-vous, ce matin-là, avec un grand-père qui se disait heureux de nous raconter sa grande joie d'avoir dans sa vie des petits-enfants qui le comblaient. Et Sonika ne cachait pas non plus son affection pour SAJ. Son «poudada», comme elle l'appelait affectueusement, faisait sa fierté. «Il est pour moi un modèle, une référence, car il a accompli de grandes choses dans sa vie, en politique et pour notre petite île Maurice», nous avait alors confié celle qui était très complice avec son célèbre grand-père qu'elle décrivait aussi comme quelqu'un de «taquin, drôle... un grand-père gâteau...»
Parenthèse de bonheur
On rencontrait, pour l'occasion, une fillette qui était loin d'être timide. «Je suis une petite fille comme toutes les autres et mon grand-père nous enseigne (à elle et ses deux petites sœurs Sonali et Sara) ces mêmes valeurs», nous répondait-elle à la question de savoir si elle se sentait privilégiée d'être la petite-fille du président de la République.
Ce fameux jeudi était loin d'être un jour normal à la State House puisque le président devait y recevoir, quelques heures plus tard, le Premier ministre indien d'alors, Manmohan Singh, qui était en visite officielle chez nous. Alors que les préparatifs allaient bon train au château du Réduit pour accueillir son éminent invité autour d’un déjeuner, sir Anerood Jugnauth n'avait pas hésité à nous recevoir et à se prêter au jeu des questions-réponses avec sa petite-fille et à nous dévoiler le grand-père qu'il était. Même si une certaine animation régnait au château, SAJ et Sonika avaient ouvert, le temps de notre interview, une petite parenthèse de bonheur dans les jardins de la State House, baignés de soleil. D'ailleurs, la séance photo le démontre.
Détendu, souriant, main dans la main avec Sonika, SAJ, posé sur un banc, pas pressé, pas avare de son temps, entre sourires et éclats de rires, avait baissé la garde. «Elle est étonnante. Elle est parmi les premières de sa classe (…) Je suis très fier de Sonika. C’est une très bonne fille. Elle est très courtoise», nous avait-il déclaré, en faisant montre d'une grande admiration pour sa petite-fille. Pas de discussions formelles, pas de grands discours – même si SAJ avait un agenda chargé – mais des échanges empreints de tendresse pour mettre en lumière d'autres facettes d'un homme public connu pour ses multiples actions sur la scène politique. Lors de notre entretien, sir Anerood, en regardant sa petite-fille droit dans les yeux, nous avait confié avoir foi dans la jeunesse mauricienne : «La jeunesse d’aujourd’hui est très différente. Elle est beaucoup plus moderne. Il y a beaucoup plus de communication et ensuite, il y a eu beaucoup d’évolution. Il y a maintenant une jeunesse beaucoup plus éclairée, beaucoup plus renseignée. Les jeunes de nos jours ont l’esprit beaucoup plus large. C’est ce qui les différencie le plus des jeunes d’autrefois.»
Au fil des questions, la petite Sonika nous décrivait aussi sir Anerood comme une personne dotée d’un solide sens de l’humour, ordinaire, tendre et sincère. «Mon grand-père est un sensible mais il ne le montre pas trop. Il est aussi très généreux car il ne rate pas une occasion de nous gâter, mes sœurs et moi. Pour la fête de Noël, l’an dernier, il m’a offert une chaîne en or que j’aime beaucoup porter. Il raconte aussi des histoires et des plaisanteries qui me font beaucoup rire. Nous avons appris à parler, à nous apprécier. On aime cela tous les deux. Un grand-père sert toujours un peu de guide dans notre vie», nous avait raconté la fille aînée de l'actuel Premier ministre.
Son grand-père faisait bien son travail, disait-elle, en évoquant son statut d'alors : président de la République. Bien évidemment, le foot, sport préféré de feu SAJ, grand fan de Manchester United, était aussi de la discussion. «Le foot, c'est sa passion. Il adore regarder les matchs à la télévision et aime aussi beaucoup parler de football. Pour son anniversaire, je lui ai d’ailleurs offert en cadeau un dessin du badge de Manchester United que j’ai moi-même fait», nous avait déclaré une Sonika très fière de parler des traits de caractère de son «poudada», qui tranchaient avec la personnalité publique du politicien qui a été, durant 56 ans de sa vie, au service de Maurice et qui laissera à jamais sa trace dans l’Histoire de notre petite île...