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Décriminalisation de la sodomie entre adultes masculins consentants - Ryan Ah Seek : «J'ai apporté ma petite contribution pour faire de Maurice un endroit meilleur pour tout le monde»

Ryan et sa maman Pamela. Mère et fils sont très complices.

Ce mercredi 4 octobre, la Cour Suprême a rendu un jugement historique remettant en question l’article 250 du code pénal. Cette loi datant de l'ère coloniale et qui criminalisait la sodomie allait à l'encontre des droits de liberté en général, et ceux de la communauté LGBTQIA+. Ryan Ah Seek, qui a initié cette affaire en cour, raconte ce combat...

«J'étais à ses côtés et tout d'un coup, je l'ai vu bondir !» Il est 11h05, en ce mercredi 4 octobre quand Pamela apprend de son fils Ryan Ah Seek, 33 ans – un employé de banque –, que la Cour suprême a statué que la criminalisation de la sodomie entre adultes masculins consentants est anticonstitutionnelle. Si cette affaire touche particulièrement son fils, c’est que c’est lui qui a intenté, il y a quatre ans, une action en justice pour contester l’article 250 du code pénal mauricien qui érigeait en infraction les relations sexuelles entre hommes, passibles d’une peine pouvant aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement.

 

«Nous déclarons (...) que l'article 250, paragraphe 1, du code pénal est inconstitutionnel et viole l'article 16 de la Constitution dans la mesure où il interdit les actes de sodomie entre adultes masculins consentants en privé et qu'il doit donc être interprété de manière à exclure ces actes consensuels du champ d'application de l'article 250, paragraphe 1», fait état le jugement qui était très attendu par les membres de la communauté LGBTQIA+. Dans une autre contestation similair, dont les plaignants sont le fondateur de la Young Queer Alliance-Najeeb, Ahmad Fokeerbux, et trois autres membres de l’organisation – Vipine Aubeeluck, Imesh Fallee et Jürgen Soocramanien Lasavanne –, les juges David Chan Kan Cheong et Karuna Devi Gunesh-Balaghee sont arrivés à la même conclusion.

 

Devant le bonheur et l’euphorie palpables de Ryan après cette «victoire historique» pour la communauté LGBTQIA+, Pamela n’a pu contenir son émotion. «Je partage le bonheur de mon fils par rapport à cette décision historique. Je suis fière de son courage et je suis heureuse si ce jugement peut l’aider ainsi que toutes les personnes de la communauté à se sentir plus en confiance. Je félicite tous ceux qui se sont battus pour cette victoire», ajoute cette mère qui n’a cessé de cheminer aux côtés de son fils depuis qu’il s’est jeté dans cette bataille juridique : «En tant que maman, je tenais à soutenir Ryan. J’étais en cour lorsqu’il a déposé et lorsqu’il a raconté son histoire. Ce n’est pas quelque chose de facile de se raconter comme ça, devant des juges, entre autres. J’ai été avec lui pour le soutenir. Ça n’a pas toujours évident pour moi, une mère, d’être confrontée à son orientation sexuelle. Mais c’est mon enfant et mon rôle est de l’aimer tout simplement et c’est ce que je fais. J’aime mon fils et j’aime tous les aspects qui font de lui ce qu’il est. Et quand je le vois s'impliquer dans une cause comme il l’a été ces dernières années, je ne peux qu’être admirative...»

 

De son côté, Ryan passe par toutes les émotions depuis ce mercredi 4 octobre.  «Je suis encore sous le choc et je suis toujours en train de digérer cette bonne nouvelle», lâche-t-il, du soleil dans la voix : «Ce jugement est une avancée pour le pays... On parle là de droits humains. On ne parle pas de favoriser quiconque au détriment d'une autre personne. On parle d'égalité pour tous. On parle d'une discrimination qui a fait son temps. Je me suis impliqué dans cette bataille en tant que personne de la communauté LGBTQIA+ et pour qu'un changement dans notre Constitution puisse bénéficier à toute la communauté. Je suis super content que la bataille ait abouti à quelque chose de positif. Je l'ai toujours dit, l'objectif, c'est que tous les citoyens du pays puissent jouir des mêmes droits et non pas que certaines personnes soient pénalisées à cause de leur orientation sexuelle.»

 

Il n’est pas du tout près d’oublier la folle et longue journée qu’il a vécue le jour où le jugement est tombé. «Ce mercredi 4 octobre, je me trouvais à la maison et j'étais en télé-travail. Par coïncidence, ma mère était passée vite fait chez moi pour déposer quelque chose et un collègue, qui est aussi un ami, était venu me voir. Je ne savais absolument pas que le jugement allait être rendu ce jour-là. J’étais tranquillement en train de bosser quand j’ai reçu un texto vers 11h05 d’une personne de l’équipe qui suit l’affaire. Elle m’écrivait que le jugement de l’affaire concernant l’article 250 du code pénal mauricien était tombé. À ce moment-là, j’ai tout lâché, j’ai eu un moment de flottement. Je ne comprenais plus rien autour de moi», raconte Ryan, de l’excitation dans la voix : «Quatre ans s’étaient écoulés depuis qu’on avait initié l’affaire et avec le temps, une certaine distance s’était installée. Dans ma tête, les questions se bousculaient et je me préparais au pire. Ce n’est que 15 minutes après le premier message qu’un deuxième message m’a annoncé qu’on avait gagné.»

 

«C’était incroyable !»

 

C’est alors l’explosion de joie : «Si mon coeur battait la chamade avec le premier message, le deuxième texto m’a fait avoir un frisson de la tête aux pieds. C’était une sensation bizarre. C’était incroyable !  Je me suis posé des questions : est-ce que c'est réel ? Est-ce que je suis vraiment réveillé ? J’ai eu un grand moment d’émotion... En fait, je suis passé par un tourbillon de sentiments et, bien évidemment, de par la portée de cette nouvelle et ce que cela représente pour toute la communauté LGBTQIA+, j’ai versé une petite larme. Submergé par l’émotion, je me suis alors tourné vers ma mère et mon ami et j’ai lâché : on a gagné ! C’était vraiment quelques minutes très intenses...»

 

Avec cet heureux dénouement, Ryan ne peut pas ne pas penser à tout le travail et les efforts déployés pour arriver à ce résultat qui lui met des étoiles dans les yeux : «Pour moi, cette bataille n'était pas pour avoir la grosse tête, devenir célèbre, marquer l'histoire ou me retrouver sous le feu des projecteurs. Je suis un petit gars qui mène sa petite vie tranquille. Je bosse, j'ai mon chez moi... Bref, j'avance dans la vie, comme tout le monde. Avec ce jugement, je garde la tête froide et les pieds sur terre. Je ne suis qu'un maillon et dans la chaîne, il y a beaucoup d'autres personnes qui se sont beaucoup battues. Je tiens d'ailleurs à les saluer, tous nos partenaires, les personnes du Collectif, celles d'autres organisations qui ont aussi eu recours au judiciaire pour que cette injustice soit corrigée et tous ceux et celles qui nous ont soutenus durant toutes les étapes de l'affaire. Je me dis que j'ai simplement apporté ma petite contribution pour faire de Maurice un endroit meilleur pour tout le monde.»

 

Jetant un regard dans le rétroviseur pour contempler les quatre années qui se sont écoulées, il est difficile pour Ryan de ne pas penser au moment où il a pris la parole en cour : «Me retrouver dans la salle d’audience devant ces éminentes personnes, ces juges...Devoir me mettre à nu, raconter mon histoire, étaler ma vie personnelle, raconter qui je suis est définitivement quelque chose qui m’a marqué. Ce premier jour restera à jamais gravé dans ma mémoire. Je me souviens que la veille, j’étais dans tous mes états, me demandant si j’allais pouvoir le faire. Le jour même de l’audience, je me souviens avoir dû faire des exercices de respiration pour ne pas craquer... Mais au final, je me dis que toute cette expérience m’a forgé.»

 

Malgré  la longue attente, Ryan souligne n’avoir jamais perdu espoir : «Malgré le laps de temps qui s’est écoulé, j’ai toujours gardé la foi. Je n’ai jamais été défaitiste. J’ai peut-être été fatigué d’attendre, mais je n’ai jamais baissé les bras. L’affaire a été déposée en 2019, mais avec l’épisode Covid-19 et les restrictions, ce n’est qu’en 2021 que j’ai été  entendu en cour. À un certain moment, je me suis demandé si on aura un retour un jour. Et finalement, on enlève enfin cette épée de Damoclès... Avec un peu de recul, je me dis que toute cette affaire m’a rendu plus fort et m’a fait croire davantage en moi.»

 

Croulant sous les appels et les messages, Ryan dit être reconnaissant envers tous ceux qui saluent ce jugement : «Je remercie toutes ces personnes qui me félicitent. Certaines me disent que je suis un exemple et tout, mais moi, je reste humble en me disant que j'ai tout simplement fait ce que mon coeur me disait de faire. Et je suis très content de l'avoir fait et d'avoir été jusqu'au bout.»

 

Et est-ce qu’on peut s’attendre à revoir Ryan Ah Seek, impliqué dans d’autres combats ? «Je ne sais pas... Je vais certainement  continuer à oeuvrer pour la communauté, tout simplement parce que je n’aime pas les injustices. Mais de là à savoir si je vais me jeter dans d’autres batailles, je vais répondre que seule l’avenir nous le dira», conclut un Ryan déterminé et motivé, la tête dans les nuages, mais les pieds bien sur terre...

 

Dhanalakshmi Goundan, directrice de la Young Queer Alliance

 

«La communauté LGBT accueille favorablement ce jugement du fait que sexuellement parlant, elle n'aura plus à craindre d'étre traitée de criminel. Cette loi criminalisait la sodomie pratiquée par des personnes de la communauté LGBT. Avec ce jugement, on ne peut fermer les yeux sur ceux qui critiquent cette avancée tout simplement parce qu'ils ne croient pas en la diversité. Zot promouvwar la enn. Zot believe dan enn zafer et zot believe ki tou dimoun bizin viv parey. On ne doit pas oublier que les personnes de la communauté LGBT sont des citoyens au même titre que n'importe quel autre citoyen et qu'elles ont les mêmes droits que n'importe qui...»

 

Un grand pas pour la communauté LGBTQIA+

 

Avec ce jugement, Maurice rejoint d’autres nations africaines telles que le Botswana, l’Afrique du Sud et les Seychelles, qui ont courageusement supprimé de leurs livres de loi des dispositions pénales obsolètes datant de l’époque coloniale. 65 pays dans le monde criminalisent encore les personnes LGBT.

 

Pour Jean-Daniel Wong du Collectif Arc-En-Ciel, ce jugement représente un grand pas pour la communauté LGBTQIA+. «Cette bonne nouvelle a été accueillie avec euphorie et avec beaucoup de fierté parce que c'est un jugement historique après plus d'un siècle concernant cette loi qui agissait comme une épée de Damoclès sur tout le monde, incluant les personnes de la communauté LGBTQIA+.  Tout  doucement, cela représente, même s'il a encore du chemin à faire, un pas en avant avec plus d'inclusion, plus d'égalité en soulignant aussi toutes les discriminations», nous confie Jean-Daniel Wong.

 

Qu’en est-il des futures batailles du collectif ? «Force est de constater qu'il y a pas mal d'absence dans notre cadre légal, telle que la pénalisation et criminalisation de tout ce qui concerne les incitations à la haine en se basant sur les orientations sexuelles et les identités de genre ainsi que les propos homophobes et transphobes...  L'union civile entre deux personnes du même sexe est aussi un aspect, entre autres, que les décideurs politiques  devraient considérer car nous sommes en 2023. On espère que le Gender Equality Bill refera surface pour qu’il y ait des discussions avec la société civile, parce que notre prochaine bataille, c’est pour l’inclusion de l’identité transgenre», souligne Jean-Daniel Wong.