Hemandar Madhow veut que justice soit faite
Nathalie Spéville et deux de ses trois enfants, ainsi que Tracy et Elrick (à dr.), veulent que justice soit faite.
Une façon un peu différente de commémorer le 179e anniversaire de l’Abolition de l’esclavage : une rencontre publique avec des histoires à écouter.
À chaque coin de «stand», une histoire à raconter. Sous chaque arbre, dont le maigre feuillage laisse entrevoir une ombre illusoire, une histoire à écouter. Le soleil tape fort, en ce samedi après-midi. Une journée sans nuage. Mais avec beaucoup de sanglots. Ceux de ces personnes qui se battent au quotidien pour réclamer une vie décente. Rien d’extravagant, disent-ils. Juste le minimum. «La justice», c’est ce qu’ils veulent tous. Ce
1er février, jour de commémoration de l’Abolition de l’esclavage, le Collectif 1er février a réuni au Plaza, pour une journée d’activités, de nombreuses personnes en difficultés, de nombreuses personnes qui mènent un combat…
Face au micro, Nathalie Spéville n’est pas très à l’aise. Mais elle a décidé de prendre la parole, encouragée par ses sœurs de deuil. C’est vrai que le jardin du Plaza est presque vide (pas beaucoup de monde pour cette activité un peu différente en cette date importante du calendrier local). Malgré tout, faire entendre sa voix n’est jamais facile. Surtout pour ces anonymes projetés au-devant de la scène au nom du malheur. Quelques minutes plus tard, c’est avec soulagement qu’elle revient vers ses amies. La jeune femme mène un douloureux combat depuis 2007, année où elle a perdu son concubin en mer sur le King Fisher. Depuis, raconte-t-elle, elle se démène pour survivre avec trois enfants à sa charge, ne touchant qu’une pension pour ces derniers.
Incapable, pour l’instant, de travailler – son fils Elrick, étant autiste, a besoin d’une attention constante –, elle a du mal à joindre les deux bouts : «Dès que mon garçon ira à l’école, je pourrai commencer à chercher du travail», confie cette ancienne «miss» de la maternelle. Ce sera un soulagement pour cette habitante de Roche-Bois qui n’a pas droit à une pension de veuve : «Nous n’étions pas mariés civilement. Mais je trouve injuste de ne pas toucher cet argent. Nos enfants sont bien là pour prouver que nous étions un couple.» Il est là son combat pour la justice : «Je ne suis pas seule dans cette situation. Nous ne demandons pas beaucoup, juste un petit coup de main.»
Une aide pour aller de l’avant. Pour se construire une vie meilleure : «Certaines parmi nous n’ont même pas d’argent pour nourrir leurs enfants.» Après un élan de générosité et des fonds décaissés tout de suite après la tragédie, ces familles sont vite tombées dans l’oubli. Mais elles, elles ne peuvent oublier. Car la colère, la tristesse et la peur font partie de leur quotidien. Tout comme Fleurette Casimir, ancienne planteuse de Riche-Terre, qui demande, elle aussi, «justice» : «Nous avons été dépossédés. Depuis, nous vivons mal. Ce que je veux ? C’est que nous ayons un petit bout de terre pour recommencer à planter.»
Passer devant son ancien lieu de travail (là où se trouve désormais la zone commerciale de Jin Fei) tous les jours et constater que les terres sont inutilisées : un véritable coup au cœur. D’ailleurs, pour se faire entendre, cette mère de famille avait entamé une grève de la faim : «Je suis prête à donner ma vie pour que justice soit rendue.» Avec son mari, qui est pêcheur, le quotidien n’est pas rose : «J’ai un enfant à l’université et un autre qui devra bientôt prendre part aux examens du School Certificate : est-ce que j’aurai les moyens de payer ?» Elle se rappelle du temps où même sans avoir beaucoup d’argent, elle et les siens arrivaient à se débrouiller : «Comme je plantais, il y avait toujours quelque chose à manger.» Ce n’était pas beaucoup, mais c’était déjà ça, semble-t-elle dire.
À sa vie d’avant, Hemandar Madhow, président de la Mauritius Institute of Training and Development (MITD) Employees Union, y pense aussi. Suspendu de ses fonctions au sein de l’organisme depuis presque un an, dans le sillage de l’affaire de pédophilie alléguée, impliquant un enseignant et une élève de l’institution de formation, il réclame lui aussi justice : «La vie n’est pas simple. Ce n’est plus vivre. C’est survivre en ce moment.» Selon lui, cette affaire n’a pas été traitée dans la transparence. Il n’est pas satisfait, dit-il, des agissements de la Commission for Conciliation and Mediation censée mettre de l’ordre dans toute cette affaire : «Il y a eu et il y a encore de l’ingérence politique. Je souhaite qu’enfin le Premier ministre ouvre les yeux et agisse.»
Il veut mettre fin à ces longs mois de stress. Cette bataille de tous les instants, pour le moment, l’a seulement laissé à bout de forces. Néanmoins, Hemandar, tout comme Fleurette et Nathalie, ne baissera pas les bras. Son histoire, il continuera à la raconter. Une façon pour lui de poursuivre son combat...
Il y avait aussi…
Tant de combats, tant de revendications. Sur la scène aménagée dans le jardin du Plaza, les orateurs ont défilé. Pour animer cette journée de contestation, Jeff Lingaya et Jocelyne Minerve ont passé le micro aux différents intervenants. Certains ont parlé des protestations contre la centrale à charbon de CT Power qui devrait être construite à Pointe-aux-Caves (contestations qui concernent, également, toutes les autres centrales à charbon de l’île). D’autres se sont prononcés contre la carte biométrique et l’accaparement des plages. D’anciens dockers qui n’ont pas reçu de compensation et des retraités de l’industrie sucrière insatisfaits se sont également exprimés.
Jack Bizlall : «Il est temps
pour une 2e République»
La parole à l’un des hommes derrière cette journée d’activités et auteur du «Code noir 2013»…
Votre sentiment après cette journée de contestation ?
Ceux présents se sont exprimés. Ils ont fait promesse de solidarité. C’est ce que j’ai voulu. Imaginez pouvoir rassembler pour le même événement des gens qui luttent contre la drogue, d’autres qui œuvrent en faveur de la légalisation du gandia, des femmes de pêcheurs qui ont perdu leurs maris et sont sans ressource, des dockers en colère, des planteurs qui cherchent encore réparation, des militants anti-charbon… C’est presque inimaginable. Mais ça a été notre réalité aujourd’hui.
Une concentration de combats et de malheurs que l’on retrouve dans le «Code noir 2013» de l’Observatoire de la Démocratie, lancé aujourd’hui…
Eh oui ! Il s’agit de l’histoire de tous ces gens. Je n’ai fait que la mettre sur papier. Je n’ai été qu’un nègre. Ça doit être la première fois qu’un nègre assume son rôle et le proclame un 1er février !
Que faire pour une meilleure île Maurice ?
Je pense que tant qu’on n’aura pas une nouvelle Constitution et une deuxième République, beaucoup de nos problèmes ne seront pas résolus. Notre système est dépassé. Et j’estime que le 12 mars, il faudra venir de l’avant avec un Mouvement politique pour une 2e République.
Avec une entrée en politique au programme ?
Ce mouvement pourra se présenter aux élections législatives ayant comme objectif la mise en place
de cette deuxième République, oui.
Avec le MMM ?
Le MMM est dépassé. C’était le parti qui a lancé
les gens de ma génération. Mais c’est fini pour nous. Il nous faut désormais encadrer la nouvelle génération, celle de la fin des années 60, des années 70 et 80, pour l’aider à travailler dans le bon sens,
faire la différence et donner un nouveau souffle
à l’île Maurice.