Il y a eu la chance de côtoyer le grand homme.
Loïc Forget et Abdoolah Earally étaient en Afrique du Sud.
Le monde assistera aujourd’hui aux funérailles de celui qui est décrit comme étant un gardien de la paix. Deux Mauriciens qui ont partagé des relations particulières avec le grand homme nous racontent ces moments d’exception.
Minakshee Dosoruth : «Grâce à lui, ma carrière a décollé»
Elle lui sera, toute sa vie, reconnaissante. D’abord, dit-elle, parce qu’il lui a fait confiance. Puis parce qu’il lui a ouvert son cœur... Minakshee Dosoruth n’arrête pas de «remercier le ciel» de lui avoir donné l’occasion de rencontrer «une légende» en la personne de Nelson Mandela, dont les funérailles nationales auront lieu aujourd’hui. Elle a eu la chance de le côtoyer en 2004, alors qu’elle travaillait au Givenchy Spa de l’hôtel Le St Géran, où résidait l’ex-président sud-africain.
Pour Minakshee, pas question de rater la cérémonie en hommage à Nelson Mandela car celle-ci lui permettra d’être en communion avec tous ceux et celles qui, à travers le monde, pleurent ce grand homme. «Grâce à lui, ma carrière a décollé», nous déclare la jeune femme qui, depuis l’annonce de la mort du héros anti-apartheid, s’est replongée dans ses souvenirs, empreints d’anecdotes et de moments privilégiés avec celui qui a libéré les Noirs de l’Afrique du Sud. «Je me souviendrai toute ma vie de la première fois que je me suis retrouvée face à Madiba. C’était quelqu’un de fort impressionnant, notamment de par sa taille. Il était très grand, taillé comme un sportif, et avec un charisme qui ne laissait pas insensible. Et avec sa voix, il pouvait captiver facilement toute l’attention, tant elle était posée et chaleureuse», se rappelle, avec émotion, Minakshee qui avait alors été choisie pour être la masseuse personnelle de Madiba. «Il avait des problèmes aux jambes et se plaignait de douleurs. Je me souviens qu’il avait été très attentif lorsque je m’étais présentée à lui», poursuit-elle.
Pour la jeune femme, Nelson Mandela était quelqu’un de «humble» et de «très simple», qui n’avait pas peur de dire qu’il avait mal : «Pour son traitement, qui était dispensé dans sa chambre pendant plusieurs jours et plusieurs heures lors de sa visite chez nous, l’ex-président sud-africain se laissait aller et ne faisait pas le difficile. C’est ainsi que je lui ai proposé le Reiki, entre autres massages, pour le soulager.» Au fil des séances, une certaine complicité est née entre Minakshee et son «very important client» : «À un certain moment, je l’ai appelé Dr Mandela et lui m’a gentiment demandé de l’appeler Tata. Je l’ai regardé pendant un court moment et il m’a dit que cela voulait dire grandfather.» Minakshee réalise alors que Mandela était bien plus qu’un homme politique influent : «J’ai très vite compris que c’était avant tout un grand humaniste qui avait du cœur et qui avait surtout l’autre à cœur. Il était affectueux, touchant et très spirituel.»
Ainsi, la jeune femme se souvient d’un geste de «Tata», qui l’avait profondément touchée : «Aujourd’hui encore, je suis toute retournée lorsque je pense à cet instant. À un certain moment, l’occasion d’être photographiée avec lui s’était présentée. J’étais très hésitante mais lui a insisté pour que la photo soit prise. Il m’a même pris la main. Ce fut pour moi un grand honneur.» Si Nelson Mandela se montrait très reconnaissant envers Minakshee, c’est surtout parce que les massages de la jeune femme lui faisaient beaucoup de bien. D’ailleurs, un article de presse paru dans The Times UK-London à l’époque en faisait état : «The woman who enabled Nelson Mandela to swim for the first time in almost 50 years is now in London…» Le texte en question, que Minakshee garde précieusement, mentionne aussi l’existence d’une note de remerciement de l’ex-président sud-africain. «Best wishes and thanks to a wonderful masseuse», peut-on lire dans l’article qui raconte aussi le passage de la Mauricienne à Londres, pour travailler au service de l’ancien entraîneur de Lady Diana.
Pour Minakshee, sa vie après sa rencontre avec Nelson Mandela, qui disait qu’elle «était magique», n’a plus jamais été la même : «Beaucoup de choses positives me sont arrivées ; j’ai notamment reçu des Awards et c’est grâce à tout cela que j’ai pu travailler sous d’autres cieux, au service de plusieurs personnalités comme le milliardaire Lakshmi Mittal.» En attendant d’aller explorer d’autres horizons, elle s’accorde, en ce moment, un peu de repos, bouleversée, ces derniers jours, par la nouvelle de la mort de son «Tata» qui a, à jamais, changé le cours de sa vie !
Stellio Rosa : «Ensemble, on parlait beaucoup de Maurice»
Dans sa mallette marron cuir, il a tout gardé. De la cravate qu’il portait lors d’un dîner de gala accueillant des personnalités au World Trade Center, à Johannesburg, au stylo qu’il avait tendu à Mandela lors de la signature d’un accord, en passant par les photos qu’ils ont prises ensemble, la petite valise de ce Mauricien est remplie de souvenirs dont il ne s’est jamais séparé. Mandela, qu’il a eu la chance de côtoyer, était pour lui la plus grande inspiration de sa vie.
C’est en 1992 que Stellio Rosa et son épouse Mai débarquent en Afrique du Sud pour prendre de l’emploi au World Trade Center. Si Mai, qui travaillait dans le département Housekeeping, n’a pas eu la chance d’approcher de près Madiba, ce n’est pas le cas de son époux qui a été, pendant longtemps, en contact direct avec le grand homme. «Je devais m’occuper personnellement de sa suite. Je le servais souvent et je m’assurais qu’il ne manquait de rien. Je préparais les réunions et les conférences, entre autres», raconte Stellio.
À cette époque, les négociations autour de la Convention For A Democratic South Africa (CODESA) et du «multi-party system» impliquant Frederik de Klerk, le président d’alors, et Nelson Mandela, du Congrès national africain, battent leur plein. Sa première rencontre avec celui qui a lutté contre la ségrégation raciale en Afrique du Sud, Stellio s’en souvient comme si c’était hier : «Il a passé le seuil du World Trade Center avec une foule de gens autour de lui. Tout le monde dansait et chantait. Lui aussi s’est mis à danser.»
Impressionné par l’aura de ce grand homme, qu’il décrit comme «grand et corpulent», «à la voix imposante» et avec «la tête du Père Laval», le Mauricien se présente à lui avant de l’installer dans sa suite. «Je me suis présenté en disant que j’étais de l’île Maurice. Il m’a serré la main. Il était très content et m’a demandé des nouvelles du Père de la Nation. ‘‘He is a good guy’’, me disait-il. Je tremblais tellement que j’étais ému», se souvient Stellio, toujours sous le coup de l’émotion.
Nelson Mandela, se rappelle-t-il, résidait au World Trade Center deux à trois fois par semaine, pendant plusieurs mois, avant de revenir pour la CODESA 2. Les nombreux moments que Stellio a partagés, jusqu’en l’an 2000, avec celui qu’il «aime comme un père», lui permettaient de mieux comprendre l’homme qu’il était : «C’était quelqu’un d’exceptionnel, de dévoué envers les autres et envers son travail. Il était très simple et n’avait aucune exigence. D’ailleurs, il mangeait que du ‘‘fish & chips’’. Il avait toujours un mot gentil et un sourire, même quand il était en colère. Il s’enfermait alors dans son bureau et restait seul. J’étais le seul à entrer car je devais le servir et vérifier son ‘‘mini-bar’’. Malgré sa
colère, il me souriait et m’appelait toujours ‘‘my little Mauritian friend’’.»
Leurs conversations, confie Stellio, tournaient surtout autour de Maurice et du Père de la Nation, pour qui il avait une grande admiration : «Ensemble, on parlait beaucoup de Maurice et du gros travail de sir Seewoosagur Ramgoolam pour l’Indépendance. Il me disait toujours qu’il rêvait que l’Afrique du Sud soit comme notre pays mais que l’histoire n’était pas faite ainsi.» Aujourd’hui, Stellio garde en mémoire ces merveilleux souvenirs comme la fois où Madiba a posé la main sur son épaule en l’appelant, comme il le faisait toujours, «my little Mauritian friend».
Témoignage des deux envoyés spéciaux de La Sentinelle
Cela a été à la fois physique et émotionnel. Pour plusieurs raisons : l’envergure de Mandela, l’émotion suscitée à travers l’Afrique du Sud par son départ, le gigantisme de l’événement et, enfin, le fait d’être témoin de l’histoire. Tout journaliste aurait aimé être là. Les reporters qu’on a rencontrés venaient du monde entier. Ils se considéraient privilégiés de pouvoir témoigner de la disparition du politicien le plus vénéré de tous les temps. Du coup, Loïc et moi, avons commencé à tourner sur place un court documentaire sur la couverture médiatique de l’événement. Mais pour l’instant sur lexpress.mu , nous avons posté des témoignages, un reportage sur «Qunu, la dernière destination de Mandela», et viendra aujourd’hui un reportage-hommage à Mandela à travers des témoignages des Mauriciens installés en Afrique du Sud, des Sud-Africains et des jeunes Sud-Africains. Visiter Qunu, le village natal de Mandela, subir le froid intense, voir la pauvreté, le désespoir ont été pour moi une expérience émouvante. Je me suis demandé si mon pays/le monde pourrait jamais reproduire un homme de cette envergure.
Christophe Karghoo/Amy Kamanah