Siven Virahsamy et Gilbert Palmyre font route ensemble depuis plusieurs années.
Kanta Napaul dort derrière l’église Immaculée Conception à Port-Louis.
Noël, Saint-Sylvestre… Nombreux sont ceux qui ont déjà entamé les préparatifs en vue des fêtes de fin d’année. D’autres, par contre, n’ont pas cette chance.
Parmi eux, l’on compte des sans domicile fixe (SDF). Rencontre avec certains d’entre eux.
Vous êtes-vous déjà demandé à quoi ressemble le Noël d’un sans-abri ? Comment se sent-il à l’heure où des milliers de personnes font la queue dans les magasins pour dénicher le cadeau idéal à offrir ? Ce qu’il ressent lorsqu’il voit une famille entière, tout sourire, sortir d’un supermarché, le caddie rempli à ras bord ? Ou encore ce qu’il est à faire au moment où vous trinquez à la nouvelle année ? La période des fêtes, il ne doit pas la vivre le cœur joyeux.
Josiane Labelle, par exemple, est une sans-abri de 60 ans. Depuis un an et demi, elle dort tous les soirs sur un morceau de carton posé juste devant la Mauritius Commercial Bank (MCB) de Beau-Bassin. «Je suis mère d’une fille de 27 ans. Elle est mariée et vit dans une maison d’une pièce. Elle est dans une situation très difficile. Je ne peux donc pas habiter chez elle», confie-t-elle, le regard dans le vide.
À la mort de son époux, il y a plusieurs années, elle n’a eu d’autre choix que de squatter un appartement de l’État, situé à Floréal. «On était locataire avant que mon mari ne meure. Après son décès, je n’étais plus en capacité de payer le loyer. J’ai squatté un appartement jusqu’ à ce qu’il soit rasé. Depuis, je suis à la rue. Le jour, je vais me laver dans les toilettes publiques de Rose-Hill. Puis, j’achète un thé au marché de la ville», raconte Josiane.
Son souhait, c’est de sortir de la situation dans laquelle elle se trouve actuellement. Pour, par exemple, passer un Noël dans la joie. «Ce sera mon deuxième Noël dans la rue. J’ai le cœur meurtri. Je fais actuellement des démarches pour trouver un abri de nuit ou un couvent qui voudra bien m’accueillir avant Noël. C’est loin d’être gagné. Mais je ne perds pas espoir. L’année dernière, pour Noël et le Nouvel an, j’étais ici, seule. J’ai beaucoup pleuré», se souvient-elle.
La tristesse des festivités dans la solitude, ils sont nombreux à la ressentir. Comme à Port-Louis, à la tombée de la nuit. La capitale se transforme alors en un véritable nid de sans domicile fixe. À la rue Desforges, devant les ATM de la MCB, un vieil homme vêtu de haillons, un sac en bandoulière, attend qu’un marchand de briani lui offre des restes.
Un peu plus loin, soit en face de la Cour suprême, Siven Virahsamy, 38 ans, et Gilbert Palmyre, 52 ans, sont allongés l’un à côté de l’autre sur du carton faisant office de matelas. «Cela fait 13 ans que j’erre dans les rues de la capitale», lâche Siven. Son calvaire a commencé à la mort de ses parents. «Après leur décès, les conflits ne cessaient pas entre mes frères et mes sœurs. Las de la situation, je suis parti de la maison qu’on louait et, depuis, je suis dans la rue», raconte-t-il, non sans peine. Il poursuit : «Je connais Port-Louis comme ma poche. Je me suis habitué à la situation mais, à l’approche des fêtes de fin d’année ou à n’importe quel autre événement important, je me sens seul au monde, comme un moins que rien. Cela, alors que tout le monde fait la fête.»
Faire la tournée des magasins, s’acheter des vêtements… Tout cela ne fait pas partie de son agenda à l’approche à l’approche de Noël ou encore du Nouvel an. Siven travaille comme porteur au marché de Port-Louis et il gagne Rs 200 par jour. A l’approche des fêtes, il a d’autres projets. «Chaque année, il y a des familles qui m’apportent à manger. Je les attendrai, puis j’irai me coucher sur l’asphalte, comme tous les jours», lâche-t-il.
De son côté, Gilbert Palmyre est sans abri depuis peu. Cela fait trois ans qu’il n’a plus de maison. «Ma famille est décédée. On n’avait pas de maison. C’est dur de dormir dans la rue, surtout lorsqu’il pleut. Nous devons nous accommoder aux intempéries», souligne-t-il. Tout comme Siven, Gilbert est porteur au marché de Port-Louis. Toutefois, sa paye à lui varie au jour le jour, dépendant du volume de travail accompli. «Le jour, je me lève à 4 heures. Je prends un bain dans les toilettes du marché où j’achète aussi mon thé et le déjeuner, entre autres. Travay zordi manz zordi», dit-il. «Noël, le Nouvel an… Qu’importe l’occasion, elle passe désormais inaperçue. Alors qu’auparavant, tout cela avait une vraie signification pour moi.»
Quelques mètres plus loin, nous rencontrons Rajendra Chooramun, 47 ans. À première vue, il semble pourtant plus âgé. Lorsque nous lui adressons la parole, lui s’exprime dans un langage décousu, donnant Wl’impression de se perdre dans le temps. «Je suis un fils de la capitale. Mais j’ai tout perdu», confie-t-il, tout en dégustant un briani. Ce repas lui a été offert par un bon Samaritain. Mais faute d’une assiette convenable et d’une cuillère, c’est dans un sac en plastique, à l’aide de ses doigts, qu’il avale ses bouchées.
Après quelques mots échangés, nous nous dirigeons vers l’église Immaculée-Conception. À l’arrière du bâtiment, une femme tente tant bien que mal de trouver le sommeil. Kanta Napaul, 43 ans, une ex-habitante de Camp Firinga, à Pointe-aux-Sables, n’a toutefois pas l’air d’apprécier notre présence. Ce qui se comprend. Car, comme Josiane, Siven, Gilbert et Rajendra, c’est dans la solitude et la tristesse qu’elle se prépare à vivre les fêtes.