La vie des Bontemps a changé avec la venue de la petite Sarah qui a illuminé leur famille.
C’est à l’âge de 6 ans que Yukime a trouvé sa maman Rita. Depuis, elles ne se sont plus jamais quittées.
Que ce soit suite à des difficultés de conception naturelle ou par désir de donner son amour à un enfant abandonné par ses parents biologiques, l’adoption représente pour de nombreuses personnes un moyen de réaliser le rêve de devenir parent. Alors que l’Amérique a décrété le mois de novembre National Adoption Month, trois familles nous parlent sans détour de leurs expériences.
Un choix d’amour, un choix de vie. Au-delà des liens du sang, ils ont choisi d’aimer et d’élever un enfant qu’ils n’ont pas mis au monde. Pour réaliser ce rêve, ils ont emprunté une voie difficile, enduré de longues et pénibles épreuves, et fait fi du regard des autres et des préjugés. Comme une mère qui porte dans son ventre son enfant, ils ont attendu et désiré le leur. Ils l’ont cherché assidûment et ont su dès le premier regard qu’il leur était destiné.
Audrey Brutus Bontemps se rappellera toujours la première fois où elle a posé les yeux sur sa magnifique petite Sarah, aujourd’hui âgée de 3 ans. Elle n’avait, dit-elle, jamais ressenti une telle émotion auparavant : «À la première présentation qui a duré 30 minutes, nous l’avons rencontrée : une petite fille de six mois avec de grands yeux, l’air perdue et intriguée à la fois et avide de découvertes. Avant même de la tenir dans mes bras, mon choix était fait et j’ai dit à mon mari : ‘‘C’est elle’’». Une fois dans les bras de celle qui allait devenir sa maman, le bébé, son bébé, n’a cessé de lui toucher le visage, un instant magique qui a changé sa vie de femme : «Tout a basculé. C’était elle et personne d’autre. Ma vie a alors pris un sens, je voulais être sa maman, pas celle d’un autre enfant.»
Si l’adoption est un parcours ardu et complexe qui peut décourager ceux qui veulent y avoir recours, Audrey n’a jamais baissé les bras. Ce désir de devenir maman, d’accueillir un enfant afin de l’élever, de lui donner une famille a toujours été présent chez elle. Ainsi, quand ses problèmes gynécologiques ont fait leur apparition, le choix était tout fait : son époux et elle allaient adopter. Une fois la décision prise, il leur a fallu s’armer de courage car cette démarche relève d’un véritable parcours du combattant. «Il fallait pratiquement “trouver” l’enfant nous-mêmes car les institutions n’aident aucunement sur ce point. L’apport n’est qu’administratif», confie Audrey.
Après la première rencontre, Audrey et la petite Sarah ont été séparées pendant trois mois, une attente interminable pour le couple qui fait alors une demande pour être famille d’accueil avant d’entamer les démarches d’adoption. Pour recevoir Sarah dans sa nouvelle maison et sa nouvelle famille, ils avaient tout prévu : «On avait tout préparé, parc, jouets, biberons, vêtements, la totale quoi. Elle a pris quelques heures pour trouver ses marques et m’a souri pour la première fois dans la soirée du premier jour.» Un sourire qui voulait tout dire et qui a fait chavirer leur cœur.
Autre rencontre, même émotion. Celle de la première fois où Rita Venkatasawmy a fait la connaissance de Yukime, un moment qui restera à jamais gravé dans la mémoire de cette maman. Quand elle décide d’avoir recours à l’adoption, la directrice du CEDEM est une jeune veuve : «Je venais de perdre l’amour de ma vie. Je voulais devenir mère mais une chose était sûre : je n’allais jamais me remarier. Alors, j’ai tout de suite pensé à l’adoption.» En l’absence d’une agence d’adoption à Maurice, elle se retrouve livrée à elle-même. À cette époque, se souvient Rita, elle rendait souvent visite aux habitants de Cité La Pipe où vivaient des Rodriguais squatters, et s’était liée d’amitié avec une femme prénommée Odile. «Un jour, je lui ai dit de me tenir au courant si dans son entourage il y avait des femmes qui souhaitaient faire adopter leur enfant. Et là, elle m’a expliqué que c’était son cas et qu’elle était trop pauvre pour élever sa fille.»
Un sentiment indescriptible
Peu après, la petite, alors âgée de 6 ans, lui rend visite, occasion pour laquelle Rita lui avait acheté une peluche. De retour chez sa mère biologique, raconte la directrice du CEDEM, Yukime n’a pas arrêté de pleurer en réclamant celle qu’elle considérait déjà comme sa maman. Après de nombreuses procédures administratives et légales, Rita Venkatasawmy, qui a écrit un livre portant le nom de sa fille Yukime Aashiana, devient officiellement maman : «Ça y est ! J’avais accouché de mon bébé. J’étais maman. C’est un sentiment indescriptible. Son arrivée m’a permis de retrouver la joie de vivre.»
Si certains couples se tournent vers l’adoption parce qu’ils ne peuvent pas concevoir d’enfant, d’autres ont fait ce choix parce qu’ils ont toujours ressenti le besoin de prendre un enfant abandonné sous leurs ailes. C’est le cas de Jonathan et Alicia Wedd, un couple d’Américains installé à Maurice. Voilà trois ans qu’ils forment une merveilleuse petite famille avec Behailou et Genene, deux Éthiopiens de 8 et 9 ans. «Nous avons toujours voulu commencer notre famille en adoptant. Nous avons, un an après notre mariage, commencé les recherches en Amérique», confie Alicia dont la mère avait été adoptée.
Le choix du couple se porte alors sur un pays pauvre, l’Éthiopie. «Quand nous avons reçu les photos de Behailou et Genene, nous avons eu ce sentiment incroyable d’être leurs parents. Nous voulions les aimer, les protéger», se souvient Alicia avec émotion. À l’époque, les petits, dont les parents sont morts du virus du sida, vivent dans un orphelinat avec d’autres enfants qu’ils appellent «frères et sœurs». Jonathan, dont le père est aussi mort du sida, voit là une manière de rendre hommage à son défunt père.
Comme une mère qui oublie les souffrances de l’accouchement en tenant dans ses bras son bébé, Alicia et Jonathan ont également oublié toutes les longues procédures et complications de l’adoption en rencontrant leurs deux fils. «Ça a complètement changé notre vie. En 2011, nous nous sommes rendus en Éthiopie et nous les avons rencontrés un 26 octobre. Depuis, nous commémorons tous les ans cette date que nous avons décrétée le Family Day», explique le père de famille. Alicia restera pendant deux mois avec les garçons dans leur pays d’origine avant qu’ils ne rentrent tous ensemble en Amérique: «C’était extraordinaire. Nous avons pris l’avion un 2 décembre. Pour eux, c’était une première. Ils avaient les yeux grand ouverts devant tout ce qu’ils découvraient. C’était une nouvelle vie qui commençait pour eux comme pour nous.»
Les garçons se souviennent, eux, de la peur qu’ils ont ressentie face à la nouvelle tournure que prenait leur existence mais ils gardent surtout en mémoire la joie et l’amour qu’Alicia et Jonathan leur ont tout de suite transmis. «Nous étions tellement excités. On se souvient de l’aéroport. Il était noir de monde. Et de notre lit. Nous n’avions qu’une envie, c’était de nous jeter dessus», déclare Behailou. «J’étais très content même si j’avais un peu peur car on ne parlait pas l’anglais. J’ai vu des choses que je ne pensais jamais voir quand j’étais encore dans mon pays», confie, à son tour, Genene.
Depuis qu’ils sont à Maurice, les Wedd sont plus heureux que jamais. Très proches l’un de l’autre, les deux garçons savourent leur nouvelle vie. C’est Alicia qui s’occupe de les éduquer à la maison et à chaque après-midi, quand Jonathan rentre du travail, c’est le même rituel. Les petits sautent dans ses bras, prouvant une fois de plus que ce ne sont pas les liens du sang qui font une famille mais bien l’amour qui existe entre chaque membre.
Lui parler de son histoire ou pas ?
De nombreux parents adoptifs se posent la même question : dois-je parler de son adoption à mon enfant ? Selon la philosophe et psychothérapeute française, Nicole Prieur, auteure de Raconte-moi d’où je viens, parler à un enfant adopté de ses origines lui permet d’organiser son monde intérieur, de se forger un sentiment de sécurité et de confiance. Aux interrogations des enfants, dit-elle, il n’y a rien de mieux que la vérité car le secret peut créer des souffrances irrévocables.
Aujourd’hui, le droit de l’enfant adopté de connaître ses origines est un droit acquis et certains parents comme Audrey Brutus Bontemps ont décidé d’en parler sans trop perdre de temps. À 3 ans, Sarah pose déjà beaucoup de questions, selon sa maman, sur le ventre des femmes enceintes. Une occasion pour Audrey d’aborder en douceur le sujet : «J’en profite pour lui dire qu’elle n’était pas dans mon ventre. Mais que ça ne changeait rien car au contraire, elle n’est pas arrivée dans nos vies par hasard. Nous l’avons cherchée, elle a été choisie et est très spéciale pour ces raisons. Je ne sais pas si c’est la bonne méthode. Mais c’est celle à ma portée pour le moment.»
Behailou et Genene ont eux une histoire différente de celle de la petite Sarah. Vivant dans un orphelinat et étant assez grands pour comprendre, ils ont toujours su qu’ils seraient adoptés un jour. Malgré cette évidence, ils ont quand même eu à faire face à une nouvelle vie. Pour leurs parents, il est primordial de leur permettre de garder des liens avec leur pays et leur ancienne vie : «Alicia a appris à cuisiner des plats éthiopiens traditionnels et ils adorent ça. Nous sommes retournés en Éthiopie l’an dernier et les garçons ont pu revoir leurs frères et sœurs qui sont toujours à l’orphelinat. C’est important pour nous qu’ils gardent ce lien avec leur pays et leur culture.» Ainsi, outre le Family Day instauré par les Wedd, la petite famille fête Noël deux fois par an : à l’américaine et à l’éthiopienne. Un vrai bonheur pour Behailou et Genene.
Tout comme les deux garçons, Yukime, aujourd’hui âgée de 23 ans et étudiante en danse en Malaisie, a toujours été au courant de son histoire. Rita Venkatasawmy a d’ailleurs gardé de très bonnes relations avec sa mère biologique : «On se parle souvent au téléphone et c’est bizarre quand elle me demande comment va ma fille.» Mettre de côté les préjugés et le regard des autres, bien que ce soit difficile, est aussi essentiel. «Il y a toute sorte de commentaires désagréables sur le fait que je sois hindoue et elle rodriguaise. Certains lui disaient : “C’est pas ta maman”. Qu’est-ce que je n’ai pas entendu, et devant Yukime qui plus est. Il y a eu beaucoup de larmes et de détresse.» Dans ces cas-là, la confiance et le dialogue sont nécessaires pour préserver la relation.
Parole de pro
Aisha Seedat, psychologue
«L’enfant adopté se posera des questions sur son histoire»
De nombreux couples idéalisent la venue d’un enfant tant attendu. L’adoption fait-elle de nous immédiatement des parents ?
Pas forcément. Contrairement aux parents biologiques qui développent presque instinctivement un lien avec leur bébé, il est essentiel de construire une relation, de créer un lien entre soi et l’enfant afin qu’il y ait un véritable attachement. Ceux qui attendent un enfant ont neuf mois pour se préparer psychologiquement, émotionnellement et psychiquement à l’arrivée d’un nouveau membre dans la famille. Par contre, quand vous adoptez, vous devez apprendre les règles, étudier la loi, prendre en considération tous les éléments qui pourraient avoir un impact sur votre adoption. Certaines personnes prennent du temps pour se mettre dans la peau des parents et ajuster leurs responsabilités afin d’assurer le bien-être de cet enfant.
«L’adoption est une aventure à risques», disait Pierre Lévy-Soussan, pédopsychiatre. Qu’en pensez-vous ?
Les personnes ayant été adoptées n’ont, en général, pas une vie qui se différencie des autres. Cependant, ils vivent des expériences uniques de par leur histoire et cela peut avoir des répercussions sur leur vie et celle de leurs proches. Plusieurs études ont été consacrées aux sentiments que peuvent ressentir les personnes ayant été adoptées. Parmi elles, on retrouve l’impression de perte et de deuil par rapport aux parents biologiques, le développement de l’identité personnelle et de l’estime de soi, l’intérêt pour les informations génétiques. Si ces interrogations ne sont pas bien prises en charge, elles peuvent causer des problèmes émotionnels sur le long terme.
L’enfant adopté vit-il avec le sentiment d’avoir été abandonné par ses parents biologiques ?
Il y aura toujours une phase dans sa vie, qu’il ait eu assez d’amour ou pas, de sécurité émotionnelle, psychologique, physique ou pas, où il se posera des questions sur son histoire et son identité génétique. L’enfant adopté se pose souvent des questions reliées à un sentiment de perte et d’abandon. Bien sûr, tout dépend de la personne, de sa personnalité et des circonstances. Cela peut changer avec le temps. Toutefois, si l’enfant adopté se sent parfaitement bien et qu’il a grandi dans la confiance, l’amour et la sécurité, ces questions ne deviennent donc pas un épineux sujet pour lui.
L’enfant adopté a déjà une histoire lorsqu’il arrive dans sa famille. Pensez-vous qu’il soit important qu’il sache d’où il vient ?
Un enfant qui n’a pas grandi avec sa famille biologique, qui ne la connaît pas, est quelqu’un qui a perdu la notion de la continuité et de la stabilité familiale. Chaque enfant adopté a, à un moment donné de son développement, été privé de cette relation primitive d’avec sa mère. Ce traumatisme et cette rupture sont au cœur de ce qui est propre à la psychologie de l’enfant adopté.
Il peut présenter des complications dans le développement social et émotionnel, connaître une profonde crise d’identité et une perte de l’estime de soi s’il découvre son statut d’adoption dans le tard et de manière brutale. La réaction peut alors être de la colère dirigée vers les parents adoptifs, la dépression et des problèmes de confiance dans d’autres relations intimes. Il est donc important que l’enfant adopté connaisse son histoire biologique car cela l’aidera à une meilleure compréhension. Cependant, il ne faut pas oublier qu’il faut révéler ce genre d’information au bon moment.
Les idées reçues concernant l’adoption sont encore bien présentes. Pourquoi, alors que nous sommes en 2013, le sujet est-il toujours aussi sensible ?
Tous les sujets liés à l’identité, au sentiment d’appartenance et à la confiance ont toujours été un problème dans les relations humaines. Ajoutant à cela les longues procédures de l’adoption et l’impact des lois et des règles en matière d’adoption, je pense que nous avons le bon mélange pour faire de cette question un sujet sensible pendant un certain temps.
Le saviez-vous ?
La National Adoption Council Act, promulguée en 1987, a vu la création du National Adoption Council, une entité du Prime Minister’s Office qui, comme son nom l’indique, se charge des procédures en matière d’adoption à Maurice, ou presque. Les Mauriciens qui veulent adopter des enfants mauriciens ne peuvent faire appel à ce département qui se charge uniquement de l’adoption d’enfants étrangers par des Mauriciens et de l’adoption des enfants mauriciens par des étrangers. L’objectif du National Adoption Council se résume à enquêter sur toutes les demandes d’adoption des citoyens par des non-citoyens avant que la demande ne soit faite au juge en chambre, à conseiller le ministre sur toutes les questions relatives aux demandes et à travailler en collaboration avec les organismes officiels à l’étranger et engagés dans l’adoption et le bien-être des enfants. Toutes les explications concernant les démarches administratives, les applications et les procédures sont disponibles sur le lien suivant : http://dha.pmo.gov.mu. Les formulaires d’applications relatifs à ces deux types d’adoption sont téléchargeables en ligne.