Dessine-moi une télévision privée ! Si le ministre des Finances Xavier-Luc Duval avait provoqué un tollé en annonçant, dans son discours budgétaire, l’introduction prochaine de la télévision privée qui devra se limiter à des films, des événements sportifs et des émissions de loisirs, le Premier ministre a apporté une nuance quelques jours plus tard en disant que l’information pourrait être introduite à moyen terme. En attendant l’avènement de cette promesse, nos interlocuteurs nous disent comment ils conçoivent la télévision privée locale.
Jean-Luc Emile, rédacteur en chef de Radio One
«De l’Infotainment, des Talkshows… »
Mon idée d’une télé privée :
Loin d’être une caisse de résonance des politiques, la télévision privée propose un éventail de programmes avec une diversité de points de vue dans le but d’éclairer ses téléspectateurs. Il ne faut pas confondre télévision privée et chaîne d’information en continue. Je ne conçois pas une télé privée sans informations (JT), et émissions d’enquête et reportages journalistiques. Le foot et les courses hippiques devraient faire recette assurément. Mais une chaîne privée devrait pouvoir faire la part belle à la pratique du sport et ainsi assurer la couverture d’événements sportifs touchant une plus grande palette d’activités sportives. Le divertissement a certainement sa place dans la grille de programme. Aujourd’hui, ce qui fait recette à l’étranger, en Europe ou ailleurs, ce sont les Talk Shows où hommes politiques, stars du cinéma ou de la chanson et acteurs de la société civile sont invités…
Les grands débats sur les enjeux de la société devraient aussi avoir leur place dans la grille des programmes. Je pense qu’une bonne télé privée peut aussi être une plateforme pour la production audiovisuelle mauricienne.
Mon petit plus à moi : Il est difficile de révéler son joker comme ça. Mais je pense que ce qui manque aux Mauriciens, c’est un vrai Breakfast Show à l’américaine, de l’Infotainment le matin à la télévision. Certains diront que les Mauriciens sont plutôt branchés radio le matin, ce qui n’est pas faux. Mais une télévision privée pourrait bouleverser les mœurs locales. En proposant de l’info avec les images et, en Breaking News, l’actu de la nuit et de la veille et aussi annoncer les rendez-vous de la journée.
Christina Chan-Meetoo, chargée de cours en communication et médias à l’université de Maurice
«De la rigueur, de la pertinence et de l’impertinence»
Mon idée d’une télé privée : Une bonne télévision privée serait, selon moi, une télévision qui informerait, divertirait et éduquerait les gens de manière intelligente, créative et surprenante. Ce serait une télévision qui ouvrirait l’esprit des gens, qui nous ferait découvrir toutes les facettes de notre pays et qui montrerait, par exemple, la vie des gens d’en bas sans misérabilisme et celle des élites sans voyeurisme, en proposant une vraie analyse. Il y aurait de la rigueur, de la pertinence et de l’impertinence, un sens de l’éthique, du fun et, surtout, de l’esthétique.
Mon petit plus à moi : Le gros plus serait une vraie identité locale, une véritable volonté de promouvoir tous les potentiels de notre pays, toutes les compétences et tous les talents locaux en mettant en avant le vrai melting-pot que nous sommes. Surtout, cette télé-là ne ferait pas dans du faux multiculturalisme de juxtaposition ni dans le «lèche-bottisme» envers les pouvoirs politiques ou économiques.
Jacques Aristide, journaliste-présentateur à Voice of America-VOA (Français)
«Il y a de la place pour tout le monde»
Mon idée d’une télé privée : C’est une télé qui doit avoir toute latitude pour rivaliser avec la télé publique, tant sur le plan du divertissement que celui de l’information. Il est grand temps que les politiques grandissent dans ce pays que j’aime mais qui est bourré d’intérêts égocentriques. Ayant eu des liens intimes tant avec la radio-télé nationale qu’avec une radio privée à Maurice, je pense être en mesure de dire qu’il y a de la place pour tout le monde afin de mieux servir les Mauriciens. En fait, une télé privée digne de ce nom chez nous poussera l’audiovisuel public à exercer ses vraies missions de service public. Elle incitera la MBC à concevoir et diffuser des émissions pluralistes, non commerciales, en utilisant à bon escient la redevance télé.
Mon petit plus à moi : J’ai beaucoup de «petits plus» en tête mais vous m’excuserez de ne pas les révéler.
Axcel Chenney, rédacteur en chef de Radio Plus
«Le succès d’une télé : elle cherche à savoir ce que veut le téléspectateur»
Mon idée d’une télé-privée : J’imagine la télé privée comme une plateforme d’expression pour les meilleurs talents et les plus créatifs, un lieu où les compétences explosent. La MBC, en refusant systématiquement d’acheter des productions locales privées, a toujours nourri une fausse idée de ce qu’est une télévision. Une télé ne devrait produire que 10 à 20 % de son contenu. Le reste est alimenté par des boîtes de production. Ces boîtes recruteraient les meilleurs journalistes d’investigation, les meilleurs présentateurs, les meilleurs monteurs-graphistes, les meilleurs cadreurs, les meilleurs réalisateurs ! C’est comme ça que ça marche ailleurs. En même temps, dans les écoles de journalisme, les étudiants bosseraient dur pour devenir les meilleurs. Si une telle concurrence s’installe, la qualité du produit va bondir, et nous n’assisterons plus au genre de clientélisme que pratique notre télé publique puisque ce serait économiquement suicidaire.
Mon petit plus à moi : Cette question est difficile. Car c’est le téléspectateur qui décide du contenu. Nous diffusons pour les téléspectateurs, nous devons donc leur proposer ce qu’ils veulent voir. C’est ce qui fait le succès d’une télé. Elle cherche toujours à savoir ce que veut le téléspectateur. Mais puisqu’il faut y répondre, je rêve de réaliser les «Guignols de l’info» ou «Le Petit journal de Canal+» à la mauricienne ! Sur ce coup-là, aucun doute, même pas besoin d’études marketing, ce genre d’émission ferait un tabac !
Vishwani Delmage, ex-journaliste-présentatrice à la MBC
«Des émissions de spiritualité et de valeurs humaines»
Mon idée d’une télé privée : Pour moi, une télé privée doit avoir pour objectif d’informer et d’éduquer le public, tout en offrant beaucoup de programmes de divertissement. Avec la conjoncture sociale et mondiale actuelle, il est du devoir de la télé privée de promouvoir des émissions de spiritualité et de valeurs humaines en gardant de l’objectivité. À mon avis, les émissions religieuses ne devraient pas figurer à l’agenda des programmes réguliers de la chaîne, car cela engendrerait d’autres obligations. Les émissions hebdomadaires politiques/économiques sont essentielles mais avec beaucoup plus de convivialité.
Mon petit plus à moi : Il me serait difficile d’être très originale, car tout a presque déjà été fait. Cependant, pour plus de proximité, les envoyés spéciaux comme pour les chaînes étrangères feront la différence pour nous, les Mauriciens. Pour ce faire, la chaîne doit s’assurer d’avoir les moyens financiers dès le départ. Une émission du genre Entre-Nous, qui était diffusée dans les années 90 sur la MBC TV, apporterait un plus aux Mauriciens.