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Bruneau Laurette : rencontre avec l’homme de fer

24 août 2020

Qui est-il ?

 

Le voir sortir de sa petite voiture (vous imaginiez un truc tout-terrain, non ?) et se déployer de toute son envergure physique, c’est assez impressionnant. Mais les présentations faites, l’homme se révèle courtois et posé. Accommodant aussi : la bruine de cette fin de matinée à Curepipe, les marches en pierre inconfortables et peu abritées du magnifique kiosque d’époque du jardin botanique ne le gênent pas pour cet entretien. Il mettra même son téléphone sur silence – il n’arrête pas de sonner car il est très demandé – pour nous donner toute son attention pendant l’heure qui va s’écouler. Il sera question de ses observations, de son combat, de son quotidien…

 

Mais aussi de l’homme qu’il est. Ouvert. Prêt à répondre à toutes les questions mais maîtrisant l’art de donner ici et là quelques informations personnelles (juste ce qu’il faut) quand il s’agit de sa vie privée, sans donner l’air de ne pas vouloir s’épancher. Alors, au fil de la conversation, nous découvrirons qu’il a 46 ans, qu’il est papa de quatre enfants, qu’il est divorcé, qu’il a grandi à Quatre-Bornes et qu’il y vit encore, que ses années de collège ont eu lieu à La Confiance et qu’à 28 ans, il a décidé de changer de vie.

 

Avant ce moment charnière, Bruneau Laurette a évolué dans un domaine qui s’apparente – si on veut faire le lien – à ce qu’il fait aujourd’hui : met prop ! «J’étais hygiéniste de formation, je mettais en place des systèmes d’hygiène. Je me suis occupé d’Anahita, par exemple. Puis, je me suis dit que cette vie n’en était pas une : autant d’heures à passer sur un chantier, ce n’était pas pour moi.» Il s’offre alors un changement drastique : «Je n’ai jamais fait les choses de façon conventionnelle.» Et il décide de laisser ses passions – le combat et les armes – imposer le rythme de sa vie. Lui qui est un passionné du dessin animé Ken Le Survivant – «C’est toujours le cas. Je regarde encore» – et qui, dans sa jeunesse, a pratiqué le valetudo («l’ancêtre» du jiu-jitsu), veut alors animer ses désirs d’enfant.

 

Jeune divorcé, il rejoint Israël où, auprès d’un colonel israélien, il se forme en combat et en protection rapprochée. À Santa Monica, aux USA, il développe ses connaissances sur les armes. Au fil des années, il enchaîne les formations partout dans le monde et les missions en milieu hostile en Afrique. Les opérations en terrains minés. Des instants de conflit, des moments où la vie ne tient qu’à un fil. Comme on en voit dans les films ? «C’est exactement ça», répond-t-il à notre question, candide. Il tire des coups de feu, ne sait pas s’il a provoqué mort d’homme : «Ce sont des tirs de sommation. Je ne vais pas vérifier.» Pour survivre à tout ça, il n’a besoin que de l’essentiel : «C’est une façon de vivre, un état d’esprit. Ce qui permet de tenir le coup ; c’est le détachement, la préparation. De toute façon, c’est mon quotidien. On est né pour mourir. Je marche avec la mort, je marche avec le diable.»

 

En 2010, la menace des pirates somaliens s’intensifie. Bruneau Laurette est appelé, il se formera et développera alors son activité concernant la sécurité maritime. Il est Maritime Security Operation Leader en free-lance et opère en collaboration avec une société internationale. Il est aussi instructeur, entraîne des militaires et policiers à l’étranger. Fait partie de l’équipe de sécurité de Huawei International : «Jusqu’ici, j’ai été low-profile. L’humilité, c’est la base de toute chose. Mais là, je ne pouvais pas ne rien faire.» Dans tout ça, il n’oublie pas son île : «Je fais le va-et-vient, je suis basé partout. Mais j’ai mes attaches ici. Rentrer permet de me ressourcer. Et aujourd’hui, je reste ici car je veux combattre l’injustice.»

 

Qu’est-ce qui le motive ?

 

Alors qu’il devait être en Afrique pour assurer des formations – la fermeture des frontières a quelque peu modifié ses plans –, Bruneau Laurette, de passage à Maurice, est interpellé par la situation des squatters : «Le timing était mal choisi. Comment on peut mettre des gens à la rue en plein confinement ?» Alors qu’il s’engage dans les pays d’Afrique, qu’il vient en aide aux enfants de rue, à ceux victimes de violences, il est interpellé par ce qui se passe : «Je suis aux côtés des opprimés, des vulnérables.» Face à l’injustice qu’il perçoit, il décide de s’engager, d’aider. Puis est venu le naufrage du Wakashio : «C’est mon domaine, je m’y suis intéressé.»

 

Et plus il fouille, plus il découvre des faits troublants qui le poussent à s’interroger, à donner de son temps et de sa personne, à poursuivre une enquête. Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond. Et il a un objectif en tête : «Je vais faire éclater la vérité ; ça prendra le temps que ça prendra.» Dans sa ligne de mire, l’incompétence du gouvernement et des autorités : «Je ne me bats pas contre le gouvernement, je me bats contre l’incompétence. Il y a des failles à tous les niveaux concernant la sécurité maritime et la sécurité nationale.» Son dossier complet, il l’a remis au leader de l’opposition et compte le faire parvenir au commissaire de police : «À eux de faire leur travail maintenant. Moi, je continuerai ma bataille sur le plan légal, quitte à traîner Pravind Jugnauth en justice. Je refuse que l’indemnisation soit versée dans les caisses de l’État. Elle devrait revenir aux habitants de la région et être gérée par des associations fiables.»

 

A-t-il peur d’être arrêté ?

 

Des intimidations. Des menaces d’arrestation. Il en serait «victime». Mais ça, ça ne freine pas Bruneau Laurette : «Je suis prêt à mourir pour défendre une cause. Aller en prison ne me fait pas peur. Send me to the wolves, i’ll lead the pack !» Il a montré de quoi il était capable : après une rencontre avec Nando Bodha «chez un ami», il a fait une entrée à la police, poussant le ministre des Affaires étrangères à préciser par le biais d’un communiqué qu’il s’agissait d’une rencontre cordiale.

 

Pour qui roule-t-il ?

 

Malgré les tentatives de récupération politique, il tient son cap. Pas d’affiliation. Des alliés de circonstances, under his terms : «Je suis neutre. Les gens peuvent fouiller, je n’ai pas de hidden agenda. Je ne cache rien. Je connais le monde politique, j’ai des connaissances dans tous les partis mais je n’appartiens à aucun.» Les commentaires à caractère communal, il les voit mais il ne réagit pas : «Ma grand-mère est marathi ! Comment je serai communal ? Quand on n’a plus d’argument, c’est ce qu’on fait ; on attaque sur ce côté-là. Moi, ça ne m’atteint pas, je n’alimente pas le négatif.»

 

Imagine-t-il un avenir en politique ?

 

«Je ne dis pas oui, je ne dis pas non. Mais certainement pas dans une formation qui a plus de 50 ans ! Je veux quelque chose de nouveau, qui prône le mauricianisme avant tout. Je veux des idées nouvelles. Un changement de mindset», confie Bruneau Laurette.

 

Qui le finance ? 

 

À la question de savoir comment il finance ses actions en justice, il dira : «La diaspora mauricienne se mobilise. Et je fais ma part avec mes économies. S’il faut aller plus loin, je ferai appel au crowdfunding.»

 


 

Ses troublantes observations

 

Des interrogations, il en a beaucoup. Que transportait le Wakashio ? Pourquoi le Stanford Hawk semblait être en stand-by ? Pourquoi les autorités locales n’ont pas agi rapidement ? Il parle de voluntary wrecking, de marchandise illicite, de complicité : «Je ne crois pas à la thèse de l’accident. Mais ce ne sont que des suppositions pour l’instant.» Bruneau Laurette s’appuie sur des images satellitaires pour mettre en lumière les détails troublants qui entourent le naufrage du Wakashio. En voici quelques-uns…

 

• Le Stanford Hawk aurait croisé le Wakashio avant son naufrage dans les parages de Madagascar : «Comment est-il dans les parages avant même qu’il soit question de naufrage ? Il sort d’Angola et de Namibie et semble attendre patiemment pour croiser le Wakashio qui sort de la région de Singapour. Les images sont troublantes.»

 

• Arrivé au port de Maurice, le Stanford Hawk a été accosté par un bateau-taxi au lieu d’une navette officielle.

 

• VB Cartier, un remorqueur, apparaît après le naufrage du Wakashio mais pendant plusieurs jours, il fait le va-et-vient dans les eaux qui se trouvent aux alentours et rallie par deux fois la côte ouest (entre La Balise Marina et Flic-en-Flac, précise Bruneau Laurette) où il n’y a pourtant aucune opération de sauvetage. «La veille du début de la marée noire, il approche finalement le Wakashio… Le lendemain matin, il y a la fissure et la perte d’huile lourde alors que le remorqueur rejoint l’île de La Réunion sans passer par le port mauricien», ajoute l’expert.

 

• Il se demande aussi pourquoi dans les premières/premiers heures/jours du naufrage, le gouvernement mauricien n’a pas opté pour l’aide internationale : «Il aurait fallu stabiliser le bateau, tout simplement. On aurait pu éviter la marée noire.»

 

• Dans le même souffle, il s’étonne de cette entreprise de sabordage, décision prise ultra-rapidement : «Ce bateau est un exhibit. Il aurait fallu le conserver jusqu’à ce que l’enquête soit finie.»

 

Rendez-vous le 29 août

 

«Le message de cette manifestation est adressé au gouvernement ; ce sera pour dire non à son incompétence. Et lui rappeler qu’il est employé par le peuple et qu’on devrait pouvoir le mettre à la porte s’il ne fait pas les choses correctement. Ce sera également l’occasion de célébrer le mauricianisme», explique Bruneau Laurette. Il espère que ceux qui le suivent seront présents à midi, le 29 août, à la Place de la Cathédrale pour walk the talk lors de cette mobilisation que certains réseauteurs qualifient déjà d’historique. C’est un signal fort qui serait envoyé au gouvernement si les Mauriciens se déplacent en masse, estime l’activiste. Un début de solution. Car il ne croit pas en celle que certains proposent ; la démission des députés de l’opposition afin que des législatives anticipées soient organisées : «Le gouvernement ne bougera pas pour autant. Il a la majorité. Ça ne servira à rien. Imaginez qu’il gouverne sans opposition, ce serait pire.» Déjà, plusieurs mouvements ainsi que les partis de l’opposition ont signifié leur intention de se déplacer le samedi 29 août.

 


 


Arrestations, foule hostile, «jour historique»

 

Jonathan et Josué Dardenne interpellés. Ces deux habitants de Trou-d’Eau-Douce, activistes travaillistes, ont été interpellés le samedi 22 août, suite à une plainte logée par un activiste du MSM. Leurs avocats estiment qu’il y a eu beaucoup d’irrégularités dans l’enquête : pendant plusieurs heures, ils n’ont pu rencontrer leurs hommes de loi et savoir quelles charges avaient été retenues contre eux. Leur interrogatoire a débuté tellement tard qu’ils n’ont pu passer devant la Bail and Remand Court. Ils sont donc restés en détention pour la nuit. Mais leurs avocats affirment qu’ils seront là ce matin afin de tout tenter pour les faire libérer sous caution.

 

Une plainte pour agression. Elle a été logée par un proche du ministre Maudhoo à l’encontre des deux frères. Selon un des avocats des accusés, Adrien Duval, le plaignant, aurait modifié sa version afin que la charge passe à celle de Rogue and Vagabond (une arrestable offence).

 

Ambiance survoltée. Le vendredi 21 août, tous les regards étaient braqués sur la Grand-Port District Court. C’est là que les ministres Ramano et Maudhoo devaient se présenter suite à la plainte privée de Bruneau Laurette. Des partisans du MSM scandant des «Praviiiinnnd», des «Pa touss nou Sudhir», ont été vite pris à partie par d’autres personnes. Elles ont réservé le même sort aux deux ministres qui, en sortant de la cour, se sont fait huer.

 

«Un jour historique». C’est l’avocat de Bruneau Laurette, Sanjeev Teeluckdharry, qui le dit : «C’est la première fois qu’un citoyen amène deux ministres à se tenir dans le box des accusés.» Il a expliqué le move de son client : «Chaque citoyen a l’obligation légale de protéger l’environnement. C’est ce qu’on appelle l’Environment Stewardship sous l’Environment Protection Act. C’est un devoir de patriote.»

 

Le prochain rendez-vous. Le 10 septembre.

 

Ce qui s’est passé en cour ? Le bureau du DPP a fait la demande d’un rapport complet concernant les déclarations de Bruneau Laurette au commissaire de police.

 

Publication de documents concernant des infractions : «Je ne vais pas m’abaisser…»

 

Des amendes, des infractions… Des documents ont circulé sur les réseaux en fin de semaine concernant des police cases contre Bruneau Laurette. Le principal concerné ne plie pas pourtant : «On essaie de me déstabiliser mais je reste concentré sur mes objectifs. Je ne vais pas m’abaisser à leur niveau.» Il se défend et assure qu’il n’a jamais émis de chèque sans provision : «Quand ça s’est passé, j’étais en Chine. J’avais loué une voiture à quelqu’un. J’avais un check book avec des chèques déjà signés que j’avais oublié dans la boîte à gant… La seule erreur que j’ai commise, c’est d’avoir apposé une signature sur un chèque sans intention de m’en servir. J’avais une part de responsabilité et je l’ai accepté…»

 

Enquête policière : le capitaine et son second inculpés

 

Ils risquent gros. Jusqu’à 60 ans de prison s’ils sont reconnus coupables d'Endangering Safe Navigation. Le capitaine du Wakashio, Sunil Kumar Nandeshwar, et son second, le Chief Officer Subada Tilakaratna, ont été inculpés provisoirement cette semaine et placés en détention. Plusieurs interrogations sont à l’agenda des enquêteurs : la trajectoire du vraquier, l’absence du capitaine à son poste de commandement (anniversaire, recherche de Wi-fi ?), entre autres.

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