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Ce réalignement salarial tant attendu : un exercice aux enjeux politiques et populaires

Radhakrishna Sadien et Reaz Chuttoo évoquent la situation salariale.

Échéance électoral et attentes de la classe des travailleurs.euses. Les étoiles semblent s’aligner pour répondre à la problématique des salaires. 

Dans le déséquilibre naissent les frustrations. Et elles prennent de plus en plus d’ampleur au sein de la classe des travailleurs.euses. Si le salaire minimal (et avec lui le revenu minimal garanti) qui a encore connu une majoration – annoncée lors du récent discours budgétaire – est salué par la plupart des Mauriciens.nes, c’est le réajustement des autres salaires, qui se fait attendre, qui pose un problème. «Un lanfle kamion avec 10 mois d’expérience touche le même salaire qu’un chauffeur qui a 30 ans d’expérience», résume Reaz Chuttoo, président de la Confédération des travailleurs du secteur privé (CTSP). L’analogie est simple et puissante.

 

Aujourd’hui, selon le syndicaliste, le réalignement salarial est un outil politique de choix. Le Premier ministre a évoqué ce rééquilibrage lors du polémique UN Public Service Day qui a eu lieu le dimanche 23 juin. Il a annoncé qu’il s’agissait d’un exercice qui prenait du temps mais que ce serait chose faite très bientôt pour la fonction publique. Shameem, 32 ans, fonctionnaire depuis plus de 20 ans, se sent flouée. Elle s’attendait à une réelle annonce dimanche dernier. C’est pour cela qu’elle s’était rendue à Pailles. Des années de service, des années d’efforts à grapiller les augmentations à coups de rapport Pay Research Bureau (PRB) et en grimpant douloureusement les échelons, et la voilà avec quelques milliers de roupies de plus qu’une personne qui est appelée à prendre de l’emploi : «Et mon expérience, et mon assiduité, et mes efforts ; cela ne compte plus ? Ce n’est pas comme si nous gagnions des salaires mirobolants ! En plus maintenant, les autorités ne décident de rien. Nou bizin res koumsa em ?», lâche-t-elle, visiblement agacée. Sa fiche de paie broie du noir ! Et elle n’est pas la seule dans ce cas.

 

Radhakrishna Sadien, président de la State and Other Employees Federation, ressent la frustration qui s’exprime de part et d’autre. Ce sentiment d’injustice qui lézarde la motivation des employés.es de la fonction publique (mais pas que) : «Il y a des employés.es dont le salaire est régit par le PRB qui touchent moins que le revenu minimal garanti, et ça ne changera pas tant que le PRB ne reverra pas sa copie. Que vous ayez de l’expérience ou pas, que vous ayez votre HSC ou pas, c’est le même salaire, ça crée des frustrations. Et elle est grandissante dans la fonction publique.» Il parle d’exode des cerveaux, de difficultés de recrutement, «surtout dans ces conditions, alors qu’il y a un malaise» : «Un avis de recrutement dans le secteur paraétatique parle d’un salaire qui est moins que le salaire minimum ! C’est vrai qu’il y a une allowance, mais ce n’est pas pensionable, ce n’est pas pris en compte dans le bonus de fin d’année.»

 

Que les autorités concernées ne prennent pas des actions plus rapidement, cela l’interpelle : «Plus ça tarde, plus ce n’est pas bon pour le service, pour la productivité. Pravind Jugnauth dit que le rapport doit être soumis sous peu ; j’accueille ses paroles et je me dis, pour l’instant, qu’elles ont été dites de bonne foi.» Pourtant, il y a un cadre légal pour s’assurer qu’il n’y ait pas un tel déséquilibre dans les salaires, rappelle-t-il : «La section 9 de la loi concernant le national minimum wage est claire et appelle à une prise de décision administrative afin de contrer la distorsion salariale. C’est connu de tout le monde.»

 

Il ne s’agit pas là, selon lui, d’un exercice si difficile à faire (contrairement à ce que dit Pravind Jugnauth) car le principe de relativité salariale est déjà bien présent dans la fonction publique : «Si, par exemple, un salaire est à Rs 15 000 alors que le salaire minimum est à Rs 9 000, il y  a une différence de Rs 6 000. Le salaire minimum augmente, la disparité entre les deux doit être conservée.» Chose qui n’a pas été faite ces dernières années : «Au même moment qu’on annonce la hausse du salaire minimal, il est essentiel de parler de réajustement. Sinon, c’est injuste ; les deux marchent ensemble.» C’est pour cela que Radhakrishna Sadien parle de correction de la distorsion avec un effet rétroactif ; à chaque fois que le salaire minimum a été augmenté au cours de ces dernières années, il fallait prévoir un réajustement.

 

Années de service effacées

 

Reaz Chuttoo est bien de cet avis. Le syndicaliste qui œuvre pour les employés du secteur privé s’étonne, aussi, que les autorités n’aient encore rien fait. Surtout que le rapport est déjà là pour le private sector : «Il a été réalisé par un ancien directeur du PRB. Néanmoins, Business Mauritius a freiné les choses en objectant qu’il n’y a pas eu assez de consultations.» Pour le président de la CTSP, le réajustement promis est une attente des employés.es du secteur privé qui est long overdue (même si le Premier ministre n’en a pas parlé dimanche dernier) : «Depuis 2019, avec le Workers’ Right Act, une nouvelle catégorisation par corps de métier, avec progression salariale, est attendue.»

 

Surtout que, comme dans le public, la colère gronde : «Il y a une grande attente au niveau des employés.es. Et de nombreuses personnes se sentent humiliées. C’est la première fois dans l’histoire de l’île que le principe des années de service a été effacé. Aujourd’hui, c’est le même salaire pour ceux qui donnent des ordres et pour ceux qui les reçoivent. La hiérarchie n’existent plus.» Et pour Reaz Chuttoo, il faut être clair, même le revenu minimal garanti n’est pas «enn kado». Il devrait être à Rs 21 000 : «Selon le dernier Household Budget Survey, les dépenses moyennes mensuelles pour une famille de deux adultes et de deux enfants tournent autour de Rs 42 000. Donc, selon le calcul, environ Rs 30 000 par bread owner. Le salaire minimal est supposé être 70% de cette somme, ce qui arrive à Rs 21 000.»

 

Le réajustement salarial ne comprendra pas, visiblement, le chiffre qu’il avance. Néanmoins, on s’en approche avec les Rs 20 000 de revenu minimal garanti à partir du 1er juillet 2024. Il s’agit d’une décision budgétaire : le salaire minimum passe à Rs 17 000 et le revenu minimum garanti à Rs 20,000 (Rs 16 500 + Rs 500 (contribution du gouvernement) + Rs 3 000 de CSG Allowance). «S’il y a assez de fonds dans le Consolidated Fund pour payer ça, les autorités peuvent trouver les moyens de satisfaire les travailleurs.euses», estime Radhakrishna Sadien. Il souhaite que ce soit le cas.

 

Et il est bien possible, estiment les syndicalistes, que l’enjeu électoral à venir soit une bonne chose pour les travailleurs.euses. Car il met le gouvernement face à un time frame. Surtout que la question des salaires est une affaire qui touche tous les Mauricien.nes : «Je pense que le réajustement des salaires aura lieu avant les élections, afin ki bann travayer trouve seki pe fer pou zot. Si le gouvernement ne le fait, ce sera suicidaire pour lui. L’enjeu politique est clair», explique Reaz Chuttoo. Radhakrishna Sadien pense la même chose, surtout qu’«il y a beaucoup d’impatience au sein de la fonction publique qui comprend environ 85 000 employés.es que ce soit au niveau du gouvernement, des corps paraétatiques et des municipalités».

 

Si au niveau du privé, la question semble plus compliquée, Reaz Chuttoo rappelle que «c’est le vote qui est important dans une élection et le gouvernement le sait» : «Même s’il y a des vautours qui pensent pouvoir buy time, qui pensent pouvoir retarder l’échéance et attendre un autre gouvernement qui dira qu’il y a des squelettes dans les placards et qu’il est impossible de faire les changements nécessaires, le gouvernement sait quelle est sa priorité avec les élections qui viennent.» Il espère que «le secteur privé n’utilisera pas le money politics pour faire du chantage. (…) Les entreprises financent les partis politiques pour les élections. C’est pour cela qu’on n’entend pas vraiment l’opposition sur ce sujet important. C’est le népotisme et l’hypocrisie présents dans ce pays. Mais, le gouvernement ne peut se soustraire à cet exercice à cause de la pression du secteur privé... Enfin, espérons-le.»

 

Car, rappelle-t-il, dans le déséquilibre naissent les frustrations. Et les frustrations sont un élément essentiel lors d’une élection.