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Par Yvonne Stephen
27 août 2019 01:34
Évoquer Étienne Sinatambou avec ses proches, ses collaborateurs, ses adversaires politiques, c’est tap plin… du côté des qualificatifs. Pour faire dans la synthèse, ça oscille entre «brillant», «compétent», «dérangeant» ou encore «manipulateur». Tout dépend, bien sûr, où se situe l’interlocuteur par rapport au ministre de l’Environnement. Qu’importe les descriptifs, l’histoire d’Étienne Sinatambou s’apparente à une success story. Un lauréat (en 1984, il a obtenu la State of Mauritius Scholarship, Arts Side) détenteur de nombreux diplômes (avocat puis notaire), qui devient ministre à l’âge de 42 ans ; il fallait le faire. Mais dans toutes les «belles» histoires, il y a des zones d’ombre, des moments de noirceur. Comme sa révocation en 2008, suite à un remaniement ministériel qui mène à son passage au poste de Deputy Speaker, alors qu’il est ministre des Télécommunications rouge. Les rumeurs laissent entendre que c’est la «mauvaise réputation» dont le notaire serait affublé qui en serait la cause.
Il se chuchote qu’il aurait eu des mouvements d’humeur envers ses collaborateurs. Néanmoins, il ne se prononcera jamais sur ce sujet. Il y a eu, également, les accusations de brutalité de son ex-femme. Des accusations qui donnent encore un coup à son image alors qu’on le qualifiait alors de «grand espoir du Parti travailliste». Le fils du notaire Georges Sinatambou et de Claire Chantal avait été nommé, en 2007, Top Minister lors de l’African ICT Awards at the Gender and Media Organization for Excellence in Information and Communication Technology (ICT) Journalism in Africa.
Les débuts en politique de l’ancien élève du Collège Royal de Curepipe ? En 1999 : il répond à l’appel de Navin Ramgoolam qui veut motiver les Mauriciens de bonne volonté. Il envoie son CV – étalé sur cinq pages A4 – pour demander son adhésion au parti. En 2000, il participe à ses premières élections dans la circonscription nº 15 (La Caverne-Phœnix). Il ne les remporte pas. En 2005, posté à la circonscription nº 16 (Vacoas-Floréal), il devient député correctif. Après son parcours au sein du PTr, il rejoint le MSM et participe à la victoire de l’Alliance Lepep en 2014. Il défraie aussi la chronique pour ses remarques déplacées, notamment sur les repas des réfugiés de la pluie…
● Tout a commencé par la publication, le 11 août dans l’express et le Sunday Times, de factures de l’hôtel Maritim, laissant penser qu’un séjour et un dîner, dont aurait bénéficié le ministre, n’avaient pas été réglées. Puis le quotidien l’express en a rajouté une couche (voire plusieurs) en publiant d’autres factures de repas qui n’auraient pas été payées sur place, à l’hôtel Labourdonnais ou au Suffren. Sur ces factures, selon l’express, une particularité : «(…) elles portent toutes la signature du ministre de la Sécurité sociale et de l’Environnement. On retrouve aussi écrit à la main – avec une écriture qui s’apparente à celle d’Etienne Sinatambou – tantôt l’adresse du ministère de l’Environnement, tantôt celle de la Sécurité sociale et leurs numéros de téléphone respectifs.» Sur ces factures, Étienne Sinatambou s’est expliqué (voir hors-texte).
● Le ministre de l’Environnement et de la Sécurité sociale a, par la suite, porté plainte contre l’express, mais aussi contre Sunday Times, sous le Breach of Information and Communication Technologies Act.
● Le quotidien n’a pas fait état que des factures de manze bwar. Elle a mis en lumière les factures de CEB impayées pour son bureau de notaire. Néanmoins, Shamshir Mukoon, directeur général par intérim du corps paraétatique, a précisé qu’il y avait actuellement un litige sur ces factures.
● Il se présente comme un homme d’affaires. Et il serait proche du PTr. Rigg Needroo a décidé de porter plainte contre le ministre de l’Environnement à l’ICAC en se fondant sur l’article 7de la Prevention of Corruption Act qui explicite qu’il s’agit d’un délit si un «public official» utilise sa position pour bénéficier de certaines faveurs. C’était le jeudi 22 août.
● Des allégations qui lui font du tort, mais aussi à sa famille. Des accusations diffamatoires sans fondement qui laissent penser qu’il n’est pas une personne intègre. Ce sont les explications d’Etienne Sinatambou pour justifier l’autre plainte qu’il a déposée en Cour suprême, le vendredi 23 août contre La Sentinelle Ltée, Impress Print Ltd, Nad Sivaramen, Audrey Harelle, Anju Ramgulam et Axcel Chenney. Prochaine étape : le 19 septembre, jour où cette affaire sera appelée.
Le vendredi, 23 août, Anju Ramgulam, journaliste à l’express et chroniqueuse à la plume acide et acidulée, s’est rendue aux Casernes centrales, accompagnée de ses collègues journalistes. Après trois heures d’interrogatoire, elle en est ressortie et a dit son appréciation du soutien qu’elle a reçu. En cause : son billet publié le 16 août et intitulé «Etienne : pa vinn gat makaroni».
Plus tôt cette semaine, c’est la rédactrice en chef de Sunday Times, Zahirah Radha, qui était convoquée aux Casernes centrales dans le cadre d’un texte publié sur les factures du Maritim, suite à la plainte d’Étienne Sinatambou. L’interpellation de ces deux journalistes a provoqué une vague de réactions et de soutien à travers le pays. Nombreux sont ceux qui s’interrogent sur ce qu’ils qualifient de tentative de museler la presse.
Concernant les factures du Maritim, Étienne Sinatambou a tout nié en bloc : «La semaine dernière, j’ai été systématiquement attaqué d’une façon que je considère fausse et indigne quant à un séjour et un dîner apparemment gratuits mais qui ne l’étaient nullement. J’ai fait l’objet de toutes sortes d’attaques diffamatoires, injustes et mesquines.» Dans ses explications, il affirme qu’il détient un compte qui lui donne accès à des facilités de crédit : «Je suis un habitué de l’hôtel et j’ai un Paymaster Account. Quand j’y ai dîné avec mes cinq invités au soir du 30 juin, la facture a été transférée à ce compte-là. Je règle quand je veux.» Néanmoins, l’express a affirmé qu’il n’y avait pas de Paymaster Account au nom du ministre. Sur sa page Facebook, le lundi 12 août, Étienne Sinatambou a également publié une vidéo pour réfuter toutes les allégations faites contre lui. Dans la semaine, sur les ondes d’une radio privée, il a donné d’autres explications, notamment concernant son entertainment allowance, utilisée pour tout ce qui est «entertainment personnel». Les sorties officielles (comme celles qui concernent ses factures, selon Étienne Sinatambou) ? «Les entertainement officiels, comme les working diners, passent par le ministère et sont avalisés par l’Acounting Officer s’ils sont trouvés valables», a déclaré le ministre à Radio Plus. Actuellement, a confié le ministre à l’express, ces allégations sont dures pour lui et sa famille. Sa fille subissant même les invectives de ses camarades : «On lui dit “ton papa est un voleur !” Elle s’est isolée et elle va aussi très mal.»
Quand Pravind Jugnauth s’exprimera-t-il sur cette affaire ? Pour l’instant, le Premier ministre serre les dents et se refuse de donner un petit canapé à ceux qui souhaitent qu’il réagisse. Au sein même du MSM, on se demande ce que dira le chef du gouvernement qui doit, une nouvelle fois, faire du damage control concernant un de ses ministres. Un membre du MSM se demande même s’il ne s’agit pas là que d’une tactique interne pour se débarrasser d’un potentiel candidat dérangeant : «Je crois que son caractère et ses déclarations font de lui un indésirable.» Dans la bande à Pravind Jugnauth, on estime que les récentes «révélations» tombent très mal en tout cas. «Il ne manquait que ça ! Pourtant le leader avait demandé de ne pas faire de faux pas», confie un député.
Néanmoins, les proches d’Étienne Sinatambou parlent d’un coup monté mis en place par les partis de l’opposition : «Qui sont ces dénonciateurs ? On se le demande ! Est-ce qu’ils sont bien intentionnés ? Est-ce qu’ils sont neutres ? Je ne crois pas. Et la presse qui s’engouffre dedans, ce n’est pas possible», confie l’un deux. Dans le contexte d’une campagne électorale, ces coups font mal : «Surtout que ce sont des pratiques courantes. On peut entamer une réflexion sur la nécessité de les modifier, mais on ne peut pas accuser quelqu’un de quelque chose qui se pratique depuis des années sans problème. Qu’il l’ait fait ou pas.»
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