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13 juin 2016 12:41
Soulagé.C’est le premier mot qui lui vient à la bouche lorsqu’on lui demande de décrire son état d’esprit. Assis dans son salon après avoir passé deux nuits sur un lit en béton dans une cellule au poste de police de Flacq, Hayward Marie est heureux d’avoir retrouvé son épouse Mary-Lee et les autres membres de sa famille.
Ce skipper de 57 ans, habitant Grande-Rivière-Sud-Est, a obtenu la liberté conditionnelle après avoir fourni une caution de Rs 10 000 et signé une reconnaissance de dette de Rs 20 000. «Le plus dur était de rester en place sans rien faire car d’habitude, je bouge beaucoup», lâche Hayward qui a retenu les services de Me Chetan Baboolall. Malgré le soulagement, il est difficile pour ce vieux loup de mer de faire l’impasse sur le terrible drame qui l’a conduit en cellule. «Ziska ler mo pale krwar seki finn arive. Premie fwa ariv mwa enn zafer parey alor ki mo konn sa lamer la depi mo zanfan. Lamor sa kat dimun la pez lour lor mwa. Mo profit sa lokazion la pu prezant mo sinpati fami bann viktim. Mo kone ki lavi pu dir pu zot. Pu mwa osi li pu difisil pu viv apre sa maler la», confie l’homme.
Ce malheur n’aurait jamais dû se produire, dit-il. «Ce drame aurait pu être évité. Je sais de quoi je parle puisque je connais ce trajet par cœur. Je peux le faire de jour comme de nuit. Cet accident ne se serait pas produit si les passagers avaient suivi mes instructions.» Les circonstances de son arrestation et ses deux comparutions en cour l’ont également marqué à vie. «Je comprends que j’ai dû passer deux nuits en cellule policière pour des raisons de sécurité. Toutefois, lors de ma première comparution en cour, la police a objecté à la libération sous caution arguant qu’une enquête est en cours et qu’il n’y avait pas de gilets de sauvetage sur la pirogue. Or, la police a recueilli 13 gilets lors de la reconstitution le lendemain. Quatre autres ont été repêchés dans le lagon par la suite. Voilà pourquoi la police n’a pas objecté à ma remise en liberté sous caution lors de ma deuxième comparution.»
Hayward insiste, une fois de plus, qu’il y avait des gilets de sauvetage dans la pirogue, même si l’épouse du policier Mungur affirme le contraire (voir texte en pages 8-9) : «Il y avait des gilets pour 18 personnes. J’ai aussi deux autres en réserve. Il y avait également deux bouées de sauvetage. Lorsque les passagers sont montés à bord, je leur ai dit qu’il y avait des gilets et qu’ils devaient les porter. Je leur ai aussi montré où ils se trouvaient, soit à côté de leurs pieds. Je précise aussi que des officiers de la National Coast Guardbasés à Deux-Frères leur avaient aussi demandé de mettre les gilets car la mer était légèrement instable, mais personne ne l’a fait», soutient le skipper.
Lorsque la pirogue a pris la direction de l’île-aux-Cerfs, il a, dit-il, lancé les consignes habituelles, notamment de rester à sa place quoi qu’il arrive. Le trajet dure environ 30 minutes en temps normal. «Ti deza dan lapre midi. Lanbians dan bato ti trankil. Ti ena inpe vag. Mo ti insiste pou ki zot res en plas. Seki zot tou ti fer ek tou ti pass bien. Mo sipose al pran zot 4h pu retourne», souligne Hayward. C’est finalement vers 16h40 que ses clients ont décidé de rentrer : «Ils m’ont dit qu’ils n’avaient pas vu le temps passer. Une fois à bord, je leur ai demandé de prendre place des deux côtés. L’accident s’est produit alors qu’on était à deux minutes de la terre ferme.»
Tout s’est passé très vite. «J’ai pris quelques secondes pour réaliser ce qui s’était passé. Il y avait 15 passagers. La pirogue a chaviré lorsque cinq d’entre eux se sont mis debout pour chanter et danser. L’un d’eux jouait du dolok.Ils bougeaient beaucoup de gauche à droite. Je leur ai demandé de reprendre leur place, en vain. Le bateau a chaviré car, à un moment, il y avait trop de monde d’un seul côté.»
Il est très vite remonté à la surface. «Une fois à la surface, mon premier réflexe a été de secourir une dame. Je l’ai tirée vers le bateau. J’ai ensuite nagé pour secourir un enfant. Il y avait deux mètres d’eau. Les autres personnes ont été secourues par des volontaires. Les victimes étaient coincées sous la pirogue. Avec l’aide de la NCG, des volontaires ont tenté de redresser l’embarcation avec une corde, mais on a échoué car les structures du tarpaulinétaient coincées dans la boue.»
Une fois à terre, Hayward a donné une première déposition aux officiers de la NCG. La police l’a ensuite conduit au poste de Bel-Air où il a fait une deuxième déposition avant d’être transféré à Flacq. Sur place, il a été placé en détention. «Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit. Je n’arrêtais pas de me dire que ce drame pouvait être évité si les clients avaient respecté mes instructions. J’étais toujours dans ma cellule lorsque j’ai entendu la sirène d’une ambulance le lendemain matin. Un policier m’a ensuite dit que la dépouille du constable porté manquant avait été repêchée.»
Certaines blessures prennent du temps à cicatriser. Celle d’Hayward sera «éternelle», dit-il. Il compte essayer de trouver un peu d’apaisement dans la prière.
Ils se trouvaient sur le wharf, soit le débarcadère de Deux-Frères, lorsque le drame s’est produit. Kissoon Ashish, un skipper de 23 ans, et son collègue Jimmy Rabaye, 45 ans, ont d’ailleurs aidé à extirper les corps de la policière, du bébé de sept mois et du garçon de 4 ans, de sous la pirogue qui avait chaviré. Le lendemain, ces deux habitants de Deux-Frères ont également transporté la dépouille du policier Mungur vers la terre ferme dans leur pirogue avant que les policiers ne prennent le relais.
«La pirogue d’Hayward a chaviré en une fraction de seconde. J’étais sur le wharfavec mon collègue Jimmy lorsque je l’ai vu dans l’embouchure de la rivière qui sépare Grande-Rivière-Sud-Est de Deux-frères. L’accident s’est produit dans un endroit appelé Dernière Ligne. Je voyais tout à vue d’œil. Des personnes étaient debout sur la pirogue. Je ramassais mes affaires lorsque j’ai entendu un bateau démarrer en trombe. J’ai ensuite eu le choc de ma vie. La pirogue de Hayward avait chaviré. Sans hésiter, Jimmy et moi sommes entrés dans l’eau avec notre pirogue pour secourir les passagers», raconte Kissoon.
Des officiers de la NCG en poste à Deux-Frères ont également secouru les passagers, raconte, pour sa part, Jimmy : «Les rescapés ont pu regagner la terre ferme par le ferry boat. Je me suis personnellement jeté à l’eau pour retirer la jeune femme, le bébé et le petit garçon restés coincés sous la pirogue. La mer était alors modérée. Nous les avons transportés à terre où d’autres volontaires ont tenté en vain de les ranimer, mais il était déjà trop tard. La belle-sœur d’Hayward avait le bébé dans ses bras. Elle a tout essayé pour le sauver. Le lendemain, nous avons également repêché et transporté la dépouille du policier.»
Quand avez-vous fait l’acquisition de cette pirogue et comment s’appelle-t-elle ?
Son nom, c’est Luv et je l’ai depuis 2010.
Depuis quand travaillez-vous avec Hayward Marie ?
Depuis 2010. Je précise que je n’ai jamais eu de problème avec lui.
Y avait-il des gilets de sauvetage sur la pirogue le jour de l’accident ?
Je vous assure qu’il y en avait. La polémique sur les gilets de sauvetage n’a pas sa raison d’être puisque Hayward Marie est un skipper professionnel. Il a son permis depuis 10 ans. À l’époque, j’avais obtenu un contrat des autorités pour assurer le ferry entre Deux-Frères et Grande-Rivière-Sud-Est. Il a assuré ce service 7j/7 pendant cinq ans, de 6 heures à 18 heures. Depuis 2015, on propose nos services à ceux qui veulent faire la traversée vers l’île-aux-Cerfs. Je précise que chaque semaine, des officiers de la NCG viennent vérifier la pirogue, mon permis d’opération, nos équipements de sécurité et le permis de mon skipper.
Qu’avez-vous à dire sur ce drame ?
Cet accident est très grave. Je peine toujours à croire ce qui s’est passé. J’ai un profond chagrin. Je sympathise avec les proches des victimes. Je dénonce cependant le fait qu’on a voulu traiter mon skipper comme un criminel. Il avait comparu en cour la première fois avec des menottes. Cet accident est très grave, mais un accident reste toujours imprévisible. Hayward a toujours bien travaillé. Il est également très honnête.
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